Arrivée à la tête de la Mission French Tech, elle aura tenu sa place de directrice malgré les vagues et les tempêtes économiques, géopolitiques, sociales… Clara Chappaz a vécu l’euphorie post Covid à son arrivée, côtoyé les sommets avec des levées de fonds à 9 chiffres puis assisté au retournement de l’économie, aux startups qui serrent les dents et au virage de l’hypercroissance à la profitabilité. Son contrat touche à sa fin, étant de trois ans renouvelable une fois, mais elle n’a pas fait le choix de rempiler et s’apprête donc à quitter ses fonctions à la fin du mois du septembre. Par ailleurs, «de manière anecdotique», sourit Clara Chappaz, «cela coïncide avec la naissance de mon deuxième enfant».
«Je reste disponible et je suis très mobilisée pour répondre aux questions des candidats, et il y en a beaucoup !» Clara Chappaz et son équipe ont reçu plus d’une centaine de candidatures. Le nouveau visage de la French Tech sera connu à la fin du mois, après qu’un jury présidé par Thomas Courbe tranche parmi les candidats.
«Nous avons eu quelques très bonnes avancées pour l’ensemble de l’écosystème sous son mandat», nous confie une personnalité de l’écosystème. «Son bilan est excellent car elle a mené des actions qui vont beaucoup plus loin que simplement la notoriété et le branding de notre écosystème. Elle a le sens des affaires», renchérit un investisseur. «Cela n’a pas été facile pour elle, elle a manqué de soutien politique et la French Tech connaît une grave crise», confirme un banquier. Clara Chappaz fait l’unanimité malgré quelques légers regrets de l’écosystème.
Le lancement du programme French Tech 2030
C’est l’une des réussites de cette ancienne de Vestiaire Collective : le lancement du programme French Tech 2030. «Il y a un réel besoin d’innovations dans les secteurs de ruptures, listés dans le plan France 2030, dans la Deeptech, avec l’IA, le quantique, toutes les solutions ayant trait à la transition écologique. Ce sont des modèles d’innovations très différents du SaaS ou du numérique.»
Lancé en 2023 avec Jean-Noël Barrot, à l’époque Ministre du Numérique, ce programme en partenariat avec Bpifrance et le Secrétariat Général pour l’Investissement (SGPI dirigé par Bruno Bonnell) accompagne 125 entreprises sur tout le territoire français. Elles bénéficient par exemple d’un startup manager dédié au sein de l’équipe de la Mission French Tech, d’une visibilité renforcée, d’un accompagnement commercial et réglementaire ainsi que financier. Parmi les lauréats, Alice&Bob dans le quantique, My Job Glasses, Ynsect, Javelot, Exotrail, Unseenlabs, Enchanted Tools, Photoroom, Resilience Care, Wandercraft ou encore Ascendance Flight.
«Plus de la moitié des entreprises sont issues des laboratoires de recherche, 75% d’entre elles sont industrielles», insiste Clara Chappaz. «Pouvoir mettre l’expertise de la French Tech pour les accompagner et les rendre plus visibles, c’était très important. C’est un virage que nous avons su anticiper et que nous avons beaucoup soutenu. Nous collaborons très bien avec Bpifrance et avec le SGPI.» Un engagement d’ailleurs salué par un investisseur français engagé au service de l’écosystème : «Clara Chappaz a su adresser les challenges industriels et notamment autour de la deeptech.»
Faire de la France, un territoire attractif pour les investisseurs étrangers
Autre défi que s’était lancé Clara Chappaz à son arrivée en 2021 : dynamiser et intégrer les territoires. «Cela fait partie de notre ADN depuis le début de se dire qu’un entrepreneur qui se lance à Paris, à Marseille, à Lyon, à Dijon a les mêmes chances de succès et le même accès à tout l’écosystème French Tech.» Un autre point salué par l’écosystème.
Lancé en 2021, le programme French Tech Rise permet aux startups créées en régions de rencontrer des investisseurs via des événements organisés par les capitales French Tech. Sous forme d’un concours régional, les vingt meilleures startups se retrouvent à Paris pour une grande finale et pour des moments d’échanges privilégiés avec des investisseurs de la place. Cette année, le programme s’est allié avec le Fundtruck et Maddyness pour pérenniser ces moments de rencontres dans toute la France.
Plus largement, plusieurs acteurs reconnaissent, sous son mandat, l’émergence de la France comme un territoire attractif pour les talents et les investisseurs étrangers. «Clara Chappaz et la mission French tech ont beaucoup fait pour l’attractivité de la tech française. Ils ont réussi à mettre la France sur l’échiquier mondial de la tech», salue un top manager de scaleup. Plusieurs licornes françaises, comme Doctolib, Mirakl, Contentsquare, étaient présentes lors de la dernière édition de Choose France, à la rencontre des investisseurs étrangers. Une initiative saluée.
Bilan mitigé pour Je Choisis la French Tech
Impossible de ne pas évoquer le programme Je Choisis la French Tech comme l’une des actions phares de Clara Chappaz à la tête de la Mission French Tech. Si elle se félicite de la réussite de ce programme, dans l’écosystème, les avis sont plus mitigés.
Je Choisis la French Tech a fêté ses un an à Vivatech. «C’est un sujet qui a toujours été compliqué et en un an, 500 entreprises se sont engagées à doubler leurs achats aux startups. La semaine dernière à la REF, (universités d’été du Medef, ndlr), nous avons généré plus de 100 rendez-vous entre startups et grands groupes. Quand nous recevons des SMS d’acteurs de grands groupes pour saluer cette initiative et nous dire qu’ils ont rencontré les bons interlocuteurs, c’est très encourageant.» Si de nombreuses entreprises ont signé le pacte de Je Choisis La French Tech, on ne connaît pas les retombées concrètes de ces engagements.
«On ne connaît pas les chiffres, mais je ne pense pas que cela ait radicalement évolué», souligne un VC. À Vivatech, 8 grands groupes ont tout de même annoncé 685 millions d’euros de commande auprès des startups. «C’est une bonne initiative mais limitée. Sans soutien politique, cela n’ira pas plus loin», commente un autre acteur côté startup.
Autre axe d’amélioration pour les années à venir : la parité et l’inclusion. «Sur les sujets d’inclusion et de diversité, c’est beaucoup de communication, je pense qu’on peut faire mieux», poursuit un patron de fonds. Une seule femme est dirigeante au sein du Next40. Certes, c’est mieux que les années précédentes où elles n’étaient pas représentées. En 2022, la directrice de la Mission French Tech réunit les entrepreneurs du French Tech 120 pour travailler sur des pistes d’actions concrètes pour encourager la parité dans l’écosystème tech. En sort le Pacte Parité.
«Nous comptons plus de 700 signataires du Pacte Parité. Différentes études montrent la progression de la parité dans ses entreprises, elles signent et elles s’engagent», insiste Clara Chappaz. «Chez les signataires, il y a plus de 43% de femmes dans les effectifs et 38% au niveau de management, cela progresse !» La part des femmes dans les boards augmente également mais elles restent rares parmi les fondateurs de startups.
Protéger les acquis de la French Tech ?
Pourquoi ne pas poursuivre après son congé maternité ? «Je suis convaincue que la crédibilité du poste vient du fait que la personne qui est à la tête de la Mission ait une expérience terrain très concrète. Trois ans, c’est une bonne durée pour capitaliser sur ce que l’on a vécu et mettre en place beaucoup de choses. Dans le même temps, je trouve que c’est bien de passer le relai à quelqu’un qui aura cette expérience terrain, et de mon côté, je ne partirai pas très loin de l’écosystème !»
Les trois prochaines années seront décisives pour l’écosystème, ce n’est un secret pour personne. L’instabilité politique ne rassure pas les investisseurs étrangers et la fin du mandat d’Emmanuel Macron, qui a beaucoup œuvré pour la «startup nation», pourrait menacer certaines politiques mises en place. «L’enjeu du prochain mandat sera de continuer à porter une politique de soutien aux startups alors que ce ne sera sans doute pas la priorité. Il faudra au moins s’assurer de ne pas avoir de mesures anti-tech», analyse un observateur.
La Mission French Tech devra jouer des coudes, en lien avec le futur ministre ou secrétaire d’Etat au Numérique, pour défendre sa place. Le jury devra avoir cela en tête lorsqu’il désignera le remplaçant ou la remplaçante de Clara Chappaz.