En à peine deux ans, Côme Prost-Boucle est devenu un personnage clé du Web3 en France. Après avoir créé la conférence NFT Paris avec Alexandre Tsydenkov, il a été choisi en février pour diriger la filiale française de Coinbase, célèbre plateforme d’échange de cryptomonnaies. Un poste en or mais évidemment lourd en responsabilités.

Entre un cadre réglementaire qui se structure en Europe, les scandales qui ont secoué la crypto-sphère et les ambitions de la plateforme américaine en France, ce ne sont pas les défis à relever qui manquent pour Côme Prost-Boucle. Maddyness a pu s'entretenir avec lui pour les évoquer.

MADDYNESS – Avant de prendre les rênes de Coinbase France en début d'année, vous étiez connu dans l'écosystème crypto avec votre conférence NFT Paris. Celle-ci vous a permis de vous faire un nom dans le secteur...

CÔME PROST-BOUCLE – J'ai commencé à investir dans l'écosystème crypto en 2019. A partir de ce de moment-là, je suis rentré un peu plus dans la technologie et dans les cas d'usage. C'est alors que j'ai découvert les NFT, surtout au travers de l'art digital au début, puis d'autres cas d'usage comme le gaming et la fidélisation client. Et en discutant avec un ami qui s'appelle Alexandre (Tsydenkov, ndlr), qui est devenu mon associé chez NFT Paris, nous nous sommes rendus compte qu'il y avait des gros événements sur tous ces sujets-là aux États-Unis, mais qu'il n'y avait pas grand chose qui se passait en France, alors que nous avions tout de même de belles entreprises comme Sorare, Ledger ou encore Sandbox.

Par conséquent, nous avons décidé de nous lancer dans cette aventure parce que nous étions tous les deux passionnés par cette technologie. Et dans ce sens, on s'est dit que le meilleur moyen de créer un projet, c'était avant tout de commencer par une communauté. Nous avons alors lancé NFT Paris comme ça. Cela a commencé par des petits meet-up dans des bars, avec 50 personnes au début, avec un gros focus sur l'art digital. Il y avait des collectionneurs, des artistes, des maisons de vente aux enchères, des curateurs... Et puis petit à petit, ça a grossi.

Nous avons organisé une première édition de NFT Paris à Station F, puis la deuxième et la suivante au Grand Palais éphémère. Sur la première, c'était compliqué, avec une vague de Covid en France. Jusqu'à la dernière minute, les personnes de Londres ne pouvaient pas venir parce qu'il y avait des restrictions. Nous avons eu beaucoup de galères sur cette première édition. Mais malgré cela, nous avons quand même réussi à ramener 1 000 personnes avec beaucoup d'acteurs internationaux et des grosses marques.

Lors de la deuxième édition, nous sommes passés de 1 000 à 10 000 personnes sur un lieu assez démentiel (Grand Palais éphémère, ndlr). Forcément, on a eu des soucis d'ordre logistique car cela a été un peu un tsunami opérationnel assez important mais c'était hyper formateur. Franchement, ça a été une très belle aventure. La troisième édition se profilait alors à l'horizon et j'avais un peu envie de changer après avoir connu ces deux ans dans l'événementiel. C'est un secteur assez cyclique où l'on travaille pendant un an sur un événement. Celui-ci se tient durant deux jours, puis on repart sur l'édition d'après.

C'est une dynamique sur laquelle j'ai beaucoup appris. On s'est fait un vrai gros réseau en France et on a réussi à fédérer une belle communauté, mais j'avais envie de rentrer un peu plus dans la technologie et dans les cas d'usage. Je voulais pousser davantage l'écosystème à travers un produit. Et c'est à ce moment-là que j'ai vu que Coinbase recrutait et les discussions se sont engagées comme ça. Finalement, je les ai rejoint en tant que Country Manager pour la France afin de les aider à se développer dans l'Hexagone.

Lorsque vous avez été nommé à la tête de Coinbase en France, Daniel Seifert, le patron européen de la plateforme américaine, avait fait savoir que l’objectif de la société était de devenir leader dans l’Hexagone. Comment comptez-vous y parvenir ?

Il y a plusieurs choses. La première, c'est la marque Coinbase qui est assez forte et qui pousse des produits et des services. Des services qui sont assez innovants et qui sont vraiment les meilleurs services et les meilleurs produits sur le marché. Coinbase investit énormément dans cette vision qui est d'amener un milliard de personnes à utiliser les bénéfices des cryptos. Et dans ce cadre, je pense qu'il y a de grosses opportunités pour s'étendre, et notamment auprès d'un public français qui a, historiquement, une grosse aversion au risque par rapport à d'autres marchés européens.

Nous voulons non seulement adresser les particuliers, avec notamment l'application trading et le wallet. Mais il y a aussi tout un tas d'outils qui sont des produits hyper simples d'utilisation, intuitifs, sécurisés et régulés, qui permettent progresser petit à petit dans tout cet écosystème Web3.

Sur la partie institutionnelle, nous avons aussi des équipes dédiées avec des produits institutionnels de grande qualité qui ont leurs ses preuves aux États-Unis. Et sur la partie concernant les développeurs, nous avons aussi une grosse volonté de fédérer cette communauté en France et d'amener de nouveaux développeurs à construire les prochaines sociétés on-chain.

La France, 4e marché mondial de Coinbase

Quel est votre regard sur le marché français des cryptomonnaies ?

La France a toujours été stratégique pour Coinbase. C'est notre quatrième plus gros marché au niveau mondial, après les États-Unis, l'Angleterre et l'Allemagne. C'est assez logique quand on voit le dynamisme du marché. Le dernier rapport de l'Adan montre que 12 % des Français détiennent des cryptomonnaies, ce qui représente une augmentation de 28 % par rapport à 2023.

La France est l'un des pays d'Europe qui a le plus gros dynamisme en ce moment en matière d'adoption et une position assez unique, avec notamment toute une vague de nouveaux investisseurs qui se tournent de plus en plus vers les cryptomonnaies par rapport à d'autres pays. Il y a aussi de gros acteurs qui ont une résonance assez internationale. Avec tous ces ingrédients, le marché français est très prometteur.

Les startups comme Ledger et Sorare ont-elle servi de locomotives pour peut-être casser des barrières et donner confiance à cet écosystème français pour devenir un marché majeur et assez respecté sur la scène mondiale ?

Effectivement, ces sociétés ont vraiment construit un terreau assez fertile pour l'expansion de cet écosystème et sa reconnaissance à l'international. Il y a aussi un gros travail qui a été fait sur la partie régulatoire et ces sociétés ont joué leur rôle pour pousser ces régulations. La France a été l'un des premiers pays à mettre en place un cadre pour les cryptomonnaies qui, d'ailleurs, a donné le cadre européen que l'on connaît bien aujourd'hui (MiCA, ndlr).

Je pense que cette clarté réglementaire favorise énormément l'attractivité du continent sur tous les sujets crypto. De facto, l'Europe est devenue attractive pour des sociétés américaines comme Coinbase, qui peuvent ainsi adresser un énorme marché qui correspond à toute l'Union européenne (450 millions de consommateurs, ndlr).

«Le cadre européen a le mérite d'être très clair»

Coinbase a décroché son enregistrement PSAN en décembre dernier. Une étape importante alors que le règlement MiCA régit désormais le marché européen. Le cadre réglementaire en France et en Europe est-il trop sévère ou plutôt équilibré à vos yeux ?

Effectivement, le cadre européen est assez restrictif et il est assez dur, mais il a le gros avantage d'être défini par rapport aux États-Unis où il y a encore une incertitude sur le marché. Qui doit réguler quoi entre la SEC et la FTC ? Ce manque de cadre là-bas ne bénéficie pas à l'expansion d'un écosystème de façon pérenne, alors qu'en Europe, le cadre est ce qu'il est. Au moins, il a le mérité d'être très clair. Et ça, c'est quelque chose que Coinbase recherche et depuis le début, que ce soit aux États-Unis ou à l'international,

Coinbase a eu toujours cette volonté et cette mission de travailler main dans la main avec les régulateurs, même quand ce n'était pas une stratégie gagnante et qu'on voyait tous les »exchanges offshore» gagner de plus en plus de part de marché. Finalement, aujourd'hui, on voit que c'était la solution gagnante dès le début, d'être conforme aux régulations, de travailler main dans la main avec les gouvernements locaux et de vraiment construire des produits qui répondent aux normes en vigueur dans chacun des pays.

L’écosystème crypto a été secoué ces dernières années par plusieurs scandales, notamment celui de FTX. Plus récemment, Binance s’est retrouvé dans le viseur des autorités. Est-ce que cela met plus de pression sur les épaules de Coinbase ?

Forcément, cela change la perception médiatique de l'écosystème. Et un travail qui est important à faire dans ce contexte, c'est de dissocier les différents acteurs du secteur. Évidemment, quand un acteur agit mal et qu'il y a des répercussions financières assez lourdes, cela entache tous les autres acteurs, même s'ils n'ont rien à voir et qui n'ont pas du tout les mêmes positionnements.

Dans ce contexte, Coinbase a vraiment voulu affirmer de plus en plus son rôle de leader auprès des autorités aux États-Unis et en Europe pour pousser les cadres réglementaires à être de plus en plus clairs. Clairement, ces affaires ont changé des choses sur notre façon d'interagir avec cet écosystème. On a vu l'expansion aux États-Unis et maintenant au Royaume-Uni d'organismes qui permettent d'avoir des discussions ouvertes avec les régulateurs et les gouvernements locaux pour que cet écosystème travaille main dans la main avec les autorités locales.

«La prochaine étape, c'est l'agrément MiCA»

Quels sont les projets de Coinbase en France dans les prochains mois ?

Le premier sujet va être vraiment sur la partie produits. Comme Coinbase a vraiment la volonté de construire les produits et les services les plus fiables, mon rôle est de faire que les utilisateurs français aient vraiment accès à l'intégralité de ce que l'on peut offrir. Concrètement, cela veut dire investir pour avoir des meilleurs onboardings, des meilleurs clients et des meilleurs services, de manière à avoir une qualité générale de produits améliorée, une expérience d'utilisateur améliorée et un meilleur service client.

Dans un deuxième temps, il y a forcément la partie communication sur ces produits et services. Cela passe par des stratégies marketing assez classiques, notamment avec des partenariats avec des acteurs locaux et en travaillant main dans la main avec des communautés et des acteurs qui sont reconnus en France.

Cela passe aussi par des échanges fréquents avec le régulateur et l'ensemble des autorités ?

Oui, complètement. Comme vous l'avez dit, nous avons obtenu notre enregistrement PSAN (prestataire de services sur actifs numériques, ndlr) en décembre 2023. La prochaine étape, c'est l'agrément MiCA. Pour le coup, c'est notre entité en Irlande qui est concernée car c'est là-bas que nous le plus gros de nos clients. Une fois qu'on aura cet agrément MiCA, on pourra le mettre en place dans tous les pays européens. C'est un gros travail, mais je pense que tous les acteurs du secteur ont MiCA en ligne de mire en ce moment.

Il y a aussi la communication avec les autorités locales. Quelques temps après mon arrivée chez Coinbase, j'ai eu la chance de rencontrer Marina Ferrari pour discuter avec elle des projets de Coinbase en France et des différentes actions que le gouvernement peut mettre en place pour soutenir l'écosystème crypto. C'était une discussion assez intéressante.

Malheureusement, Marina Ferrari ne devrait pas rester votre interlocutrice sur les sujets numériques au gouvernement au vu de la crise politique actuelle. Pour vous, ce qui se passe actuellement en France sur la scène politique peut constituer une menace pour l'écosystème tech alors que le gouvernement était jusque-là pro-«Startup Nation» ?

Il y a forcément des incertitudes sur ce qui peut se passer. Surtout, il y a un manque de clarté sur le positionnement de chaque parti vis-à-vis des cryptomonnaies. Quand on regarde les États-Unis, c'est assez clair pour le coup. Pour l'instant, il y a un peu de «wait and see». Et je pense que la seule chose à faire, c'est de continuer nos efforts pédagogiques et les efforts auprès des différentes entités réglementaires pour vraiment pousser le développement de l'écosystème et sensibiliser aux différents enjeux qui sont importants aujourd'hui.

Dernière question, avez-vous un message à transmettre aux détracteurs du monde des cryptomonnaies et du Web3 ?

Ce qui est important de comprendre, c'est que les cryptomonnaies ne font pas seulement l'objet de spéculations. Ce n'est pas seulement une tendance. C'est une technologie qui est là pour durer et ce qu'on pense réellement, c'est que ça va être le futur de l'argent pour aboutir à un système financier beaucoup plus rapide, beaucoup plus efficient, moins cher et plus juste.