« Dès que vous passez la porte d’un hôtel, qui que vous soyez, en principe vous êtes bien traité, souligne Nicolas Micallef, cofondateur et CEO de Factory, une société de stratégie immobilière, création et aménagement d’espaces de travail. Mais dans l’entreprise, ce n’est pas toujours le cas… Vous pouvez très bien trouver deux espaces de restauration différents, le meilleur des deux étant souvent réservé aux cadres dirigeants. Autres exemples : un mauvais café, des sanitaires pas au niveau, une mauvaise lumière dans certains bureaux, une répartition des étages en fonction du niveau hiérarchique, des places de parking réservées aux dirigeants…
En entreprise, le niveau de service et d’attention pour les équipes reste souvent très bas. Dans ces conditions, quel message pensez-vous que vous envoyez à vos salariés ? Fort heureusement, les choses sont en train de changer. »
Symétrie des attentions
Nicolas Micallef défend l’image d’un bureau qui doit devenir un endroit où le salarié se sent apprécié, compris, écouté. Un endroit confortable, qui ajoute à sa performance. « Quand vous allez à l’hôtel, vous vous attendez à ce que tout soit mieux que chez vous, depuis la pression de la douche jusqu’à la qualité du petit-déjeuner. C’est pareil pour le bureau : sinon, vous restez chez vous. Le salarié est un client interne. »
Surpris ? Sachez que ces conseils, Nicolas se les applique d’abord à lui-même : « Chez Factory, nous sommes passionnés par nos clients, mais nous commençons par nous occuper de nos équipes. Nous avons par exemple décidé d’offrir le déjeuner à tout le monde. Les collaborateurs sont servis à table, trois entrées, trois plats, trois desserts, avec des produits frais exclusivement. Le résultat ? Notre restaurant devient un lieu d’échanges et de rencontres. On ne force personne à venir au bureau… mais on crée des conditions telles que tout le monde a envie d’y être. Nous sommes sûrs d’une chose : des happy employees, cela donne des happy customers. »
Un risque apparaît, certes : celui que le salarié ne devienne un « client » au mauvais sens du terme : exigence, caprices, ingratitude. C’est un risque d’autant plus immédiat que la guerre des talents fait rage. « Donc, ce n’est pas le palace que l’on vise, mais plutôt la nouvelle génération d’hôtels, avec une qualité de service et une expérience cohérente avec ce qui est demandé aux salariés », reprend Nicolas Micallef.
Le futur de l’hôtellerie, c’est le service
Et en effet, si l’entreprise gagne à s’inspirer des hôtels, il est pertinent de s’interroger sur le futur de l’hôtellerie… Jérôme Cherpin a dirigé des hôtels chez Accor (pendant 24 ans) et chez Pullman (où il a ouvert le Pullman Montparnasse, 1000 chambres), il est aujourd’hui DG en charge de l’Asset Management chez QuinSpark Investment Partners. Interrogé sur les tendances qui préfigurent le luxe de demain, il fait d’abord remarquer que dans l’hôtellerie aussi, la guerre des talents est devenue une priorité ! « C’est notre principal enjeu. Les salariés sont de plus en plus difficiles à recruter. » Et de prôner à son tour la symétrie des attentions : « Dans un hôtel, cela me paraît tellement évident, mais c’est encore loin de l’être pour tous les employeurs : vous ne pouvez pas accueillir vos clients dans le luxe et faire travailler vos salariés dans des conditions épouvantables en back-office. Plus que nulle part ailleurs, il faut être cohérent, non ? »
C’est d’autant plus juste que pour Jérôme Cherpin, l’avenir de l’offre hôtelière passe par le contact humain. « La qualité du service que vous apportez dépend avant tout de vos employés. Un hôtel, c’est une vraie PME, avec un DRH. La technologie nous fait évoluer. Mais le nerf de la guerre, c’est toujours le contact. C’est de cela dont les clients vont se souvenir : la qualité de leurs interactions avec le personnel. »
Parmi les sujets les plus immédiats, l’IA et la Data vont également jouer un rôle immense dans quelques années, sur toutes les problématiques de revenue management notamment. Elles permettront aussi d’offrir un meilleur service : « On doit arrêter de faire des checkings qui durent 10 minutes. » Et elles ont déjà donné naissance aux jumeaux numériques, pour modéliser et optimiser toutes les consommations de l’hôtel.
On travaille aussi… dans les hôtels !
Emmanuelle Mordacq, fondatrice de NeoPlaces, qui accompagne les hôtels dans la transformation de leur offre, précise que si l’entreprise s’imprègne des codes de l’hôtellerie, l’inverse est vrai également : « Lors de la pandémie de Covid, les hôtels se sont mis à accueillir des clients qui viennent pour travailler. Mais bien avant cela, ils s’étaient déjà adaptés au nomadisme digital. Il y a 10 ou 15 ans, certaines marques comme Selina se sont construites exactement sur ce type d’offres. Elles proposent des environnements fabuleux, avec une promesse identique dans un grand nombre de pays. Aujourd’hui, elles se posent la question des enfants, car leurs premiers clients digital nomads sont désormais parents… »
Emmanuelle Mordacq attire notre attention sur la modularité des hôtels, qui est en train d’exploser. « On avait enlevé les bureaux des chambres, mais on les y remet. On imagine des bureaux portatifs, des systèmes de connectivité fluides, certains hôtels vous permettent même de sélectionner votre chambre en fonction de l'arrière-plan que vous aurez pour vos visioconférences. »
Vers des hôtels modulables à volonté ?
La tendance du « blended living » s’impose : « On ne fait plus de distinction d’une chambre à l’autre en fonction de son usage, mais on s’organise au contraire pour que tous les usages soient possibles dans chaque chambre, explique Emmanuelle Mordacq. Elles deviennent toutes entièrement flexibles, avec le retour des lits escamotables, des services de customisation pour dîner dans sa chambre, y suivre un cours de yoga ou encore y jouer avec ses enfants. La modularité, techniquement c’est très difficile à mettre en place. Mais les hôteliers font ce pari. »
Une tendance, encore ? Demain, la distinction entre un hôtel et un logement ne se fera plus sur le bâtiment, mais bien sur le niveau de service. « Avec service, c’est un hôtel. Sans service, c’est un appartement ! Les deux peuvent d’ailleurs co-exister dans un même lieu. « Imaginez un immeuble d’appartements, avec des services à la demande. Il en existe déjà à Dubaï. Dans ce cas, on peut très bien se demander pourquoi il nous faudrait, en plus, des bureaux… »
Passer la nuit au bureau, version 2030
A quoi ressemblera demain un bureau-hôtel ? Parmi les idées que Nicolas Micallef repousse, figure le gaming et ses systèmes de récompense, trop infantilisants. L’excès de digitalisation, aussi : « Je ne crois pas qu’on ait besoin d’une application pour savoir à quel étage se trouve un collègue… »
Et de conclure sur la fonctionnalité primitive des hôtels (dormir), encore peu explorée en entreprise : « Aujourd’hui, dans un bureau, on peut prendre le petit-déjeuner, animer une conférence, organiser un cocktail… On peut tout y faire… sauf y dormir ! Et encore… pourquoi ne pas y dormir ? Demain, on pourrait imaginer que l’entreprise mette à disposition des chambres pour ses salariés qui sont loin du siège, par exemple. Ou prenne des dispositifs pour loger ses équipes, lorsque le marché immobilier est aussi tendu qu’à Paris. Les cités ouvrières n’étaient pas seulement des propositions paternalistes, elles avaient aussi leurs bons côtés. Michelin a émis des propositions très intéressantes sur le logement de ses collaborateurs et a su les faire évoluer dans le temps. »
En conclusion, le futur du travail passe peut-être par le fait de remonter significativement le niveau de services et d’attention offerts aux salariés (les actions valent plus que des mots), ainsi que par la modularité et l’hybridation des bureaux, qui sortent progressivement de leur fonction d’origine - le bureau précisément - pour embrasser toute la palette des activités possibles en entreprise. Car on peut travailler en déjeunant, en marchant, en recevant des clients autour d’un café !