La rentrée n’avait même pas sonné qu’une nouvelle quelque peu déroutante est venue perturber la fin de la trêve estivale dans la tech française. En effet, l’annonce du départ des trois des cinq fondateurs de H, pépite annoncée de l’IA qui avait bouclé un premier tour de table spectaculaire en amont de VivaTech, a jeté le trouble sur ce projet ambitieux, amené à jouer dans la même cour que des acteurs comme Mistral AI.

Ainsi, ce sont Karl Tuyls, Daan Wierstra et Julien Perolat, des chercheurs ayant tous évolué dans le giron du laboratoire Google DeepMind, qui ont décidé de quitter le navire. Dans un post publié sur LinkedIn, la jeune pousse a simplement évoqué des «différences opérationnelles» pour justifier ces trois départs prématurés. Seuls deux fondateurs sont toujours de l’aventure : Laurent Sifre, le directeur technique, et Charles Kantor, le patron de la société.

Si voir des fondateurs quitter leur entreprise est quelque chose de fréquent, des défections aussi précoces sont cependant assez rares, surtout au vu du potentiel de H, qui a réussi l’exploit de boucler une levée de fonds d’amorçage de 220 millions de dollars en mai dernier. Dans ce contexte, comment peut-on expliquer cette fracture aussi rapide dans l’équipe fondatrice ? «Cela fait partie de la vie des entreprise. C’est une boîte très jeune dirigée par une équipe jeune. Il peut y avoir des risques de conflits, des egos qui s’expriment de manière plus prononcée… Il n’y a pas que les valorisations qui sont accélérées. Tout est accéléré, y compris d’éventuels désaccords entre actionnaires ou entre fondateurs», analyse un investisseur de la place parisienne.

«L’argent vous achète du temps et de la compétence»

Dans la bulle de l’IA générative qui ne cesse de grossir depuis l’apparition de ChatGPT fin 2022, les montants investis dans le secteur ne cessent d’atteindre des sommets avec des valorisations exorbitantes. Par exemple, Mistral AI a rejoint le cercle des licornes sept mois après sa création et la valorisation de la société frôle déjà les 6 milliards d’euros. Et avec un tour de table initial à neuf chiffres, H semblait bien parti pour suivre le même parcours…

Cependant, l’entreprise a-t-elle eu tort de collecter autant d’argent dès ses premiers mois d’existence ? «S’ils avaient la possibilité de prendre 220 millions à ce stade de développement, ils ont eu raison de le faire. Cela procure un avantage compétitif significatif. L’argent vous achète du temps et de la compétence. C’était une bonne décision», estime un autre acteur d’un fonds de capital-risque, qui a préféré rester anonyme. Avant d’ajouter : «Nous sommes au début d’un nouveau super cycle avec l’IA. Et dans celui-ci, il faut tout reconstruire. Au départ, la différence se fait sur la compétence technique des entreprises, mais elle se fait aussi sur la profondeur de leurs financements. Dans la biotech, on finance pendant des années des sociétés qui n’ont pas de chiffre d’affaires. Mais celles qui gagnent, ce sont les mieux financées.»

Aux yeux de cet investisseur, ce sont les orientations potentielles à donner à l’investissement colossal de H qui ont pu mener à des désaccords profonds dans l’équipe fondatrice. «Des différences sur la manière de flécher l’argent ont pu émerger. Certains veulent montrer une logique de croissance rapidement perceptible pour les actionnaires, tandis que d’autres veulent plutôt travailler sur le produit et rester plus discrets. La frontière entre produit et service peut être flottante pendant un certain temps. Et puis ils ont peut-être levé beaucoup plus d’argent qu’ils n’auraient pensé…», analyse-t-il. Et d’ajouter : «Il s’agit de personnes ayant travaillé chez Google dans des écosystèmes assez universitaires. La logique de marché n’est pas toujours la leur, il faut un temps d’adaptation. Et puis ce n’est pas forcément surprenant cette situation quand on voit ce qu’il se passe chez OpenAI.»

OpenAI également touché par une vague de départs

En effet, malgré l’euphorie déclenchée par l’arrivée de ChatGPT il y a bientôt deux ans, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille dans les rangs d’OpenAI. C’est même tout le contraire ! Et pour cause, personne n’a oublié l’incroyable séquence de la fin d’année 2023, durant laquelle, Sam Altman, patron emblématique d’OpenAI, a été évincé par le conseil d’administration de l’entreprise avant d’être rapidement intégré quand Microsoft, principal investisseur d’OpenAI, avait proposé d’embaucher le patron de la pépite américaine et que la majorité des salariés menaçait de démissionner.

La situation ne s’est pas vraiment apaisée depuis, puisque plusieurs figures majeures de la société sont parties au cours de ces derniers mois. Ainsi, Ilya Sutskever, co-fondateur et scientifique en chef d’OpenAI, a claqué la porte de l’entreprise en mai dernier, tout comme Jan Leike, l’un des cadres de la pépite californienne. Ces dernières semaines, John Schulman, qui a joué un rôle clé pour sécuriser ChatGPT, a également décidé de quitter OpenAI pour rejoindre Anthropic, son principal rival. Dans le même temps, Greg Brockman, le président d’OpenAI, a annoncé prendre un congé sabbatique pour le reste de l’année. Une cascade de départs qui isole un peu plus Sam Altman et Wojciech Zaremba, autre co-fondateur de la société américaine.

Une série de modèles et de produits promise avant la fin de l’année

Dans ce contexte, il ne faut pas tirer de conclusions hâtives concernant l’avenir proche de H. Mais il sera intéressant d’observer les points de chute des trois fondateurs sur le départ pour en tirer des enseignements. En attendant, tout n’est pas noir pour la société basée à Paris, puisqu’elle compte désormais une quarantaine de collaborateurs, contre 25 il y a trois mois. Ces effectifs ne seront pas de trop pour concrétiser les ambitions de l’entreprise tricolore.

Lors de l’annonce de son premier tour de table au printemps, H assurait vouloir créer des modèles «pour augmenter la productivité des salariés». A l’aide de ses modèles de fondation d’action, la startup entend en effet faire un pas décisif vers l’AGI (intelligence artificielle générale), qui serait capable de prendre des décisions de manière totalement autonome en prenant en compte son environnement. Pour l’heure, H préfère évoquer le terme d’IA agentique pour décrire ses travaux. Dans ce cadre, la société entend s’appuyer sur son tour de table initial pour se doter des puissances de calcul et des données nécessaires aux percées dans le domaine des modèles agentiques.

Pou l’heure, aucun produit n’a été révélé par H, mais la société assure vouloir «lancer une série de modèles et de produits avant la fin de l’année». Et elle n’a pas vraiment d’autre choix alors que la concurrence est particulièrement rude dans le secteur. Maintenant, reste à savoir si la vision initiale de la société survivra à son passage à la phase de commercialisation. En tout cas, H doit capitaliser sur le momentum du marché de l’IA générative pour ne pas perdre en attractivité auprès des investisseurs. Sa capacité à boucler un second tour de table dans les prochains mois sera à surveiller alors que Mistral AI enchaîne les opérations d’envergure pour se positionner en acteur européen incontournable du secteur.