Promesse de fortune ou bulle spéculative ? Le débat sur les crypto-actifs reste vif entre investisseurs et régulateurs mais aussi nébuleux pour les non-initiés. Sont-ils le futur de la monnaie ?

Les crypto-actifs, comme le bitcoin ou l’ether, sont des actifs numériques créés et échangés sur une technologie de registre distribué, comme la blockchain. Leur objectif premier est de se faire passer pour une véritable monnaie, autant que Pinocchio voulait devenir un vrai petit garçon.

En effet, les cryptos-actifs sont loin d’être des monnaies, n’en remplissant pas les trois fonctions : ni un instrument d’échange (ils ne permettent pas d’acheter ou de vendre un bien au quotidien), ni une unité de compte (leur valeur est trop fluctuante) ni une réserve de valeur (il est trop risqué d’épargner pour le futur).

S’ils sont populaires, c’est surtout grâce à une technologie innovante. La révolution numérique a profondément transformé nos habitudes de paiements, avec une plus grande utilisation des moyens de paiement digitalisés. La technologie blockchain porte une promesse : répondre au besoin croissant de rapidité, de disponibilité et de sécurité pour les échanges.

Les crypto-actifs sont toutefois porteurs de nombreux risques. D’abord, ils contournent le système financier traditionnel et la réglementation qui s’y applique, ce qui entraîne des fraudes ou des faillites, souvent retentissantes (Terra-Luna, F²TX) ; ensuite, ils n’ont pas de valeur garantie, car ils n’ont pas de cours légal, à de rares exceptions près. Ainsi, le Salvador a bien adopté le bitcoin en 2021, mais il n’est en pratique pas utilisé par la population, qui lui préfère… le dollar américain.

Les banques centrales surveillent attentivement les crypto-actifs, qui peuvent nuire à la stabilité financière. La forte volatilité de ce marché – en raison d’une forte spéculation - conduit à son instabilité : en 2022, le bitcoin a ainsi perdu près des ¾ de sa valeur ! L’interconnexion avec les marchés financiers traditionnels, le risque de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme ou les cyberattaques font des crypto-actifs un point d’attention majeur pour les banques centrales.

Loin d’ignorer la « tokenisation » de la finance, les banques centrales se sont emparées du sujet et exploitent aujourd’hui le potentiel d’innovation de ces avancées technologiques, par exemple en s’impliquant dans des projets de développement de monnaie numérique de banque centrale (MNBC), qu’elle soit « de détail », ou « de gros ». Contrairement aux crypto-actifs, il s’agit d’une véritable monnaie, stable et de confiance, puisqu’elle est garantie par la banque centrale. Outre le fait qu’elle constitue l’actif de règlement le plus sûr, la MNBC présente l’avantage de réduire les coûts de transaction et d’assurer la sécurité des paiements, tout en étant plus rapide.

Se mettent ainsi en place partenariats et coopérations afin de mener des expérimentations sur les MNBC. La Banque de France a été pionnière en la matière avec une douzaine d’expérimentations réalisées entre 2020 et 2023, sur les cas d’usage de règlement de transactions tokenisées d’une part, et de paiements transfrontières d’autre part. L’Eurosystème a engagé pour sa part depuis avril 2024 un programme de travaux exploratoires pour examiner plusieurs solutions techniques pour le règlement en monnaie de banque centrale de transactions portant sur des actifs tokenisés, dont la solution blockchain DL3S portée par la Banque de France et qui permet de régler ces transactions en MNBC.

Au plan international, la Banque de France, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) et la Banque nationale suisse, par exemple, ont réalisé une expérimentation, « Jura », qui a permis de montrer comment fluidifier les règlements interbancaires entre devises, alors même que les opérations de change sont à l’heure actuelle coûteuses, lentes et complexes. Le projet Mariana, porté par les mêmes acteurs, rejoints par l’Autorité Monétaire de Singapour, a poursuivi les travaux menés pour créer un « pool » de monnaies numériques pour faciliter les échanges de devises en s’appuyant sur la monnaie centrale. Enfin, dans la continuité, tel le pont vénitien éponyme, le projet Rialto, porté par le Centre d’Innovation de la BRI, vise à surmonter les obstacles et à explorer notamment l’apport d’un teneur de marché automatisé pour les opérations de change dans le cadre des paiements transfrontières.

L’objectif est de réduire les risques de liquidité, de crédit et de règlement pour l’ensemble du système financier. La Banque de France représente en outre l’Eurosystème dans Projet Agorá de la BRI qui couvre 7 zones monétaires (avec outre l’Eurosystème, la Fed de New-York, la Banque d’Angleterre, la Banque Nationale de Suisse, la Banque du Japon, la Banque de Corée et la Banque centrale du Mexique) et vise à explorer les règlements en MNBC dans le domaine transfrontière.

La MNBC « de gros », accessible aux établissements financiers, pourrait être suivie par ou concomitante à une MNBC « de détail », ou « euro numérique » - l’équivalent numérique d’un billet. Celui-ci serait une nouvelle forme de moyen de paiement, pour compléter ceux actuels mais sans les remplacer. Si la MNBC reste une monnaie du futur, elle n’entend pas devenir à elle seule le futur de notre monnaie.