Hadj Khelil a fondé en 2014 son data lab et enseigné l’intelligence artificielle à Sciences Po Paris avant de lancer Hyko.ai en 2024.
La prochaine révolution industrielle, elle est déjà là. Pour la vivre, et en tirer profit, il convient de comprendre ses armes bien sûr, mais surtout son champ de bataille. C’est sur les plateformes d’automatisation qui mettent à la disposition de quiconque profane techniquement tout l’écosystème de l’IA, gavée de fonds et de talents, qu’elle est en train d’être menée.
L’IA générative a un potentiel révolutionnaire, et cette prophétie s’auto-réalise depuis que les investissements se concentrent sur elle. Pourtant, si l’IA ne parvient pas à se combiner avec l’expertise humaine, elle ne sera pas l’innovation de rupture tant promise et ne restera qu’une attraction comme le furent les tentes où l’on projetait les premiers films dans les foires. Un choix éthique et politique se pose dès lors à nous : comment créer une automatisation des process par l’intelligence artificielle qui soit « human-centric » ?
Philosophiquement, voulons-nous donner le pouvoir à des techniciens de la donnée ou à des experts de leur métier ? En permettant à tout un chacun d’automatiser ses tâches en développant des applications d’IA entièrement sur-mesure, sans (presque) aucune connaissance technique, nous voulons offrir l’opportunité à tous d’intégrer la vague quantique qui ne fait que démarrer. Nous sommes persuadés que cette vision démocratique de l’IA, qui croit davantage aux Hommes capables de problématisation qu’aux machines, va nous permettre de régler bien des problèmes quotidiens, mais aussi les sujets les plus complexes et urgents de nos sociétés en crise.
Nul ne pense que l’IA sauvera tout le monde, mais cette révolution pourrait bien être la première fois dans l’histoire de l’Humanité que tant d’humains puissent avoir une chance d’en profiter. Dans les précédentes révolutions industrielles, il fallait posséder un capital et/ou sortir des grandes écoles, et être bien né. Désormais, un accès Internet et une volonté de fer suffisent, et émergent déjà des data sciences africaines, asiatiques ou sud-américaines, se passant régulièrement d’un écosystème d’investisseurs et d’institutions.
L’humanité vit un tournant. La prochaine révolution industrielle est déjà là, pour certains. Elle peut accroitre comme jamais les inégalités, ou au contraire redistribuer les cartes. En l’appelant intelligence artificielle, on confond les armes et le champ de bataille. La focalisation sur les outils fait souvent oublier qu’ils ne sont pas une fin en soi. L’enjeu va être de comprendre comment tous ces outils peuvent être mis en musique au service d’un projet plus grand. Cette mise en musique, c’est l’organisation du champ de bataille. Si nous l’oublions, nous sommes condamnés à devenir la chair à canon des guerres à venir.
Nous devons être les concepteurs de cette révolution, plutôt que de la vivre par procuration. Là où nos concurrents américains n’ont encore qu’une approche systémique, les Européens et les Africains pourraient affirmer leur identité intellectuelle en dépassant l’automatisation standardisée prônée par la tech « McDonald’s » pour proposer un paradigme de problématisation sur-mesure donc bien plus gastronomique, dans la lignée des Socrate et Descartes. Là où l’on parle d’automatisation, osons affirmer que ce qui nous intéresse nous dans l’IA, c’est de résoudre des problèmes, de rendre la vie meilleure pour le plus grand nombre. Pour cela, l’humain doit être au centre car le prêt-à-porter de solutions n’existe pas.
C’est là que réside tout l’espoir placé sur la French Tech : savoir digérer les IA au service d’un projet stratégique et humaniste. Lorsqu’on entend parler de puissance de calcul, de micro-processeur et de data centers, il ne faut pas oublier que le nouvel or réside davantage dans notre capacité à nous emparer de ces outils pour les mettre au service du projet désiré, dans cette Odyssée effrayante mais passionnante.