Pour son groupe, les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont déjà débuté il y a plusieurs semaines. En effet, le groupe ADP (ex-Aéroports de Paris) est en première ligne dans l’organisation de l’événement planétaire, avec l’accueil de milliers d’athlètes et de millions de visiteurs du monde entier venus spécialement pour prendre part à cette quinzaine olympique.
Il s’agit d’un défi logistique sans précédent pour les aéroports parisiens. Et pour cause, ces infrastructures clés ont dû optimiser leurs opérations comme jamais pour recevoir plus de 10 000 athlètes des quatre coins du globe et traiter pas moins de 114 000 bagages et 47 000 équipements sportifs, dont 17 000 hors format. Dans ce cadre, les innovations développées par des startups sont les bienvenues pour permettre au groupe ADP de dessiner les contours de l’aéroport du futur.
Si elle ne dispose pas d’un incubateur, l’entreprise tricolore n’hésite pas à accompagner et à investir dans des jeunes pousses innovantes. En sept ans, le groupe ADP a ainsi effectué 14 prises de participation dans des startups, dont une dizaine de participations directes, pour un montant total de 25 millions d’euros. L’entité qui chapeaute Roissy, Orly ou encore Le Bourget a notamment misé sur Outsight, société à l’origine d’un logiciel d’analyse des données Lidar (par télédétection laser), et épaulé la startup allemande Volocopter, qui a conçu le «Volocity», un aéronef à décollage et atterrissage vertical (eVTOL). Autrement, il s’agit d’un taxi volant qui fait l’actualité durant les Jeux Olympiques.
Bref, ADP a multiplié les initiatives d’innovation au cours de la décennie écoulée et le stand imposant du groupe lors du dernier VivaTech était d’ailleurs là pour le rappeler. Derrière cet appétit pour les nouvelles technologies, on retrouve Augustin de Romanet, le patron d’ADP depuis novembre 2012. Ce dernier passera le flambeau d’ici la fin de l’année. Mais avant cela, il a pris le temps de faire le bilan de son action en matière d’innovation auprès de Maddyness.
MADDYNESS – Par définition, le secteur de l'aéronautique, c'est un secteur qui innove beaucoup. On pense toujours aux avions, mais pas forcément aux aéroports. De ce côté-là, quelle est l'approche technologique du groupe ADP pour se réinventer face à des flux passagers qui sont sans cesse plus importants ?
AUGUSTIN DE ROMANET – Vous êtes au cœur de la réflexion qui nous a conduit à créer une cellule d'innovation. Lorsque je suis arrivé dans le groupe ADP en 2012, j'ai trouvé un groupe de personnes qui se sentaient complexées d'être les «rampants» et non les «volants». J'ai voulu leur dire que le service était un très beau métier. Mais il est possible d'exercer ce service de façon statique ou en allant regarder au devant des besoins des clients.
Aujourd’hui, les besoins des clients sont d'avoir accès en priorité à un service de bonne qualité avec les besoins élémentaires (orientation, sanitaires, propreté des sols…), puis les services auxiliaires annexes, comme les commerces et les points de restauration, et enfin les services plus périphériques, qui sont les accès à l'aéroport, avec les transports collectifs comme le CDG Express et la ligne 14 du métro.
Par exemple, la startup Alltheway, avec laquelle nous travaillons, propose une solution innovante pour prendre votre bagage à votre domicile et ainsi vous décharger de cette tâche. On a aussi des startups qui nous facilitent le monitoring des files d'attente et des queues.
Nous avons également recours à des solutions d'intelligence artificielle, comme AlloBrain, pour mieux renseigner les passagers, notamment lorsqu'ils appellent pour savoir si leur avion est annulé ou non.
Nous avons aussi le souhait d'assurer la sécurité de nos aires d'embarquement. Dans ce cadre, nous nous appuyons sur la startup Wintics, qui développe des logiciels qui analysent les images de vidéosurveillance pour décrypter les flux de véhicules et des mouvements atypiques.
Le champ des startups est infini et elles permettent de résoudre des difficultés qui énervent beaucoup les passagers, comme un escalator ou un ascenseur en panne. Avec WeMaintain, qui est une startup dans laquelle nous avons investi en equity, nous développons une coopération pour permettre d'entretenir en temps réel tous ces équipements indispensables à la satisfaction des passagers.
Naturellement, il n'y a pas uniquement le besoin du passager qui arrive dans nos aéroports. Il y a aussi le besoin de décarboner l'écosystème.
«Le Volocopter est un peu la cerise sur le gâteau de notre expérience d'innovation»
Sentez-vous une défiance croissante à l’égard du secteur aérien ?
Oui, c’est une défiance que nous sentons bien. Par conséquent, nous faisons flèche de tout bois. Pour tracter les avions par exemple, nous utilisons ce qu'on appelle des taxibots hybrides avec l'entreprise SAS (Smart Airport Systems).
Nous avons également soutenu Volocopter pour que cette société, qui a conçu un engin à décollage vertical soit la première à faire une démonstration en vol dans un milieu urbain au monde. Et le Volocopter, qui volera à l'occasion des Jeux Olympiques, n'aurait jamais pu voler en Ile-de-France si le groupe ADP ne s'était pas engagé dans un triple soutien.
D'abord, le soutien matériel pour des essais à Pontoise. Deuxièmement, la création du «vertiport», en investissant dans Skyports, une entreprise anglaise qui construit des vertiports dans le monde entier. Et troisièmement, si nous n'avions pas pris par la main les patrons de Volocopter pour les emmener à la Direction générale de l'Aviation civile et travailler sur les routes aériennes, ce projet ne se serait pas concrétisé.
Faire voler un Volocopter dans le ciel francilien, ça ne se fait pas d'un claquement de doigts. Cela suppose une très étroite coopération avec les autorités de l'Aviation civile, de la Préfecture de police et du gouvernement en général.
Le Volocopter, c'est un peu la cerise sur le gâteau de notre expérience d'innovation, qui se traduit par le fait que notre équipe d'innovation investit dans des fonds pour être en contact avec des startups prometteuses, voire investit dans des entreprises en direct. Cependant, jamais nous n'investissons dans des entreprises en direct si ça ne correspond pas à un besoin d'une unité opérationnelle du groupe.
L’une des plus grandes fiertés du groupe ADP, c'est lorsque le patron d'IBM France est venu nous voir il y a trois ou quatre ans. Il nous a dit que notre démarche était vraiment exemplaire par rapport aux autres entreprises industrielles qu'il pouvait connaître, à raison de ce lien entre l'équipe d'innovation et les équipes opérationnelles.
Taxis volants : «Il y aura bel et bien des vols pour les JO»
Il y a un an, vous aviez déclaré qu'il était probable que des vols à bord de taxis volants soient proposés pour environ 110 euros lors des JO. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il y aura bel et bien des vols pour les JO, qui ne seront pas nécessairement payants, puisque l'EASA (Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne, ndlr) ne va autoriser les vols payants qu’après les JO.
Quand j'ai sorti ce chiffre de 110 euros, c'était un ordre de grandeur parce que je voulais citer un prix supérieur au prix des taxis mais qui reste relativement accessible. Le lendemain, la communauté de Volocopter a estimé que ce prix se situait dans l'extrémité basse de la fourchette prévisible. La vérité est sans doute que ça sera un peu plus cher que 110 euros.
Restons sur les JO justement. Cet événement planétaire représente un défi considérable. C’est même peut-être le plus grand pour les aéroports parisiens depuis des décennies. Comment vous êtes-vous préparé à accueillir le monde entier ?
Je pourrais vous en parler pendant des heures… Nous avons un PC central pour monitorer toutes les actions importantes en temps réel, que ce soit les actions d'accueil en passerelle, les actions de délivrance d'accréditation, les actions de délivrance des bagages, ou encore les actions de parcage des bus (plusieurs centaines pendant la période olympique).
Nous allons utiliser une innovation qui est l'enregistrement des bagages à distance. Pour la première fois, plusieurs milliers d'athlètes vont être invités à enregistrer leurs bagages depuis leur lieu de résidence, au village olympique. Et ces bagages seront sécurisés et contrôlés dans un hall spécialement construit pour les Jeux olympiques, avec des scanners spéciaux. Quant aux athlètes, ils iront dans un terminal dédié à Paris-Charles-de-Gaulle.
«A l’avenir, il y aura les aéroports Four Seasons, les aéroports Novotel, les aéroports Ibis et les aéroports Formule 1»
En parallèle de ces préparatifs pour les JO, vous avez développé des politiques d'open innovation pour projeter les aéroports du groupe ADP dans l'ère du futur. Au moment où vous vous apprêtez à quitter le groupe ADP, quelle est votre vision de l'aéroport du futur ? Comment le voyez-vous dans plusieurs décennies ?
Dès mon arrivée chez ADP, j'ai considéré que la nécessité d’avoir une qualité de service optimale était le point de passage vers ce qui est, de mon point de vue, l'avenir des aéroports, c'est-à-dire d'être des marques d'hospitalité.
Aujourd'hui, quand vous allez à l'hôtel, vous avez des marques. Vous savez que quand vous allez à l'Ibis, vous aurez une chambre de X m², au Novotel de Y m² avec une piscine, et au Sofitel de Y m² plus 20% avec une belle piscine.
Pour les aéroports, aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Lorsque vous atterrissez dans un aéroport, la qualité de service est peu anticipable. Si c'est un aéroport public du comté du Wisconsin, la qualité sera différente de celui de Singapour et encore différente de Paris-Charles-de-Gaulle. Ma vision de l'aéroport du futur, c'est vraiment un aéroport qui soit une marque, avec une promesse de qualité de service et un passage sans couture.
A l’avenir à mes yeux, il y aura les aéroports Four Seasons, les aéroports Novotel, les aéroports Ibis et les aéroports Formule 1. A l’heure actuelle, le groupe ADP est en phase de montée en gamme.
L'objectif, c'est de devenir et de rester un Four Seasons ?
Dès à présent à Paris, nous avons des terminaux qui sont parmi les meilleurs au monde. Paris-Charles-de-Gaulle a été classé par Skytrax 4e meilleur aéroport au monde pour le shopping. Et nous avons même le terminal 1 qui est celui avec le meilleur chiffre d'affaires par passager au monde. Je peux donc d’ores et déjà vous dire que beaucoup de terminaux de Paris-Charles-de-Gaulle sont dignes d'un Four Seasons, voire même d'un Five Seasons. (Rires.)
Bientôt, vous allez quitter vos fonctions à la tête du groupe ADP…
Non, ce sont mes fonctions qui me quittent. (Rires.)
Quel bilan dressez-vous de ce mandat à la tête du groupe ADP où vous avez été au cœur de la transformation des aéroports ?
La seule chose qu'on puisse dire, c'est que vous ne transformez pas une entreprise sans les personnes qui sont à l'intérieur. Donc le seul bilan que je peux tirer, c'est celui d'avoir été le chef d'orchestre de magnifiques musiciens.
Nous avons fait trois choses. Nous avons d'abord commencé par recruter de bons musiciens. Ensuite, nous avons vérifié que tout le monde était au meilleur niveau du solfège. Et enfin, j'ai pris des cours de chef d'orchestre pour que toutes ces personnes donnent le meilleur d'elles-mêmes. Et je peux vous le dire, elles ont donné le meilleur d'elles-mêmes.
Les plus beaux accomplissements après 12 ans à la tête d'ADP : «avoir remis en route le CDG Express et fait un saut quantique dans l'accueil des personnes handicapées pour les JO»
En tant que chef d'orchestre, quel est votre plus bel accomplissement durant toutes ces années ?
J'en citerai deux. Le premier, c'est d'avoir remis en route le CDG Express, qui permettra d'économiser beaucoup de temps et de CO2 quand on voudra se rendre à Charles de Gaulle depuis la Gare de l'Est (la mise en service est prévue pour début 2027, ndlr). Et le deuxième, c'est d'avoir fait un saut quantique dans l'accueil des personnes handicapées pour les Jeux olympiques.
Quand j’ai lancé un jour l'idée qu'il fallait que les personnes handicapées puissent avoir leur fauteuil roulant personnel jusqu'à l'avion, c'était vraiment hasardeux tellement on était loin du but. Mais les équipes d'ADP ont été extraordinaires et ont réalisé cela.
Dernière question, vous allez donc quitter le groupe ADP après les JO. Que comptez-vous faire après ?
Aujourd'hui, je suis incapable de vous répondre, mais puisque vous m'offrez la disponibilité de faire une demande d'emploi, je propose à tous vos lecteurs qui ont des besoins de me téléphoner au 3615 Augustin !