Ce premier semestre 2024, 365 startups ont permis à la French Tech de lever plus de 3,8 milliards d'euros. Un chiffre en légère baisse par rapport au premier semestre l'an passé (4,1Mds€) et qui confirme le ralentissement en cours dans le marché du capital-risque. Face à une hausse constante des taux depuis 2 ans, les investisseurs prennent davantage de temps pour choisir les projets à soutenir, par volonté de minimiser leur risque. 

Les perspectives de bouclage d'un nouveau tour de table pour les startups sont donc plus incertaines et pendant ce temps, les trésoreries ont logiquement tendance à s'assécher. De la même manière, les scénarios de sortie se sont aussi taris ; à savoir la vente ou bien l'introduction en bourse. C'est face à ce contexte que le secondaire s'impose logiquement comme une alternative nécessaire pour renforcer sa stratégie de liquidités.

Une stratégie marginale avant la série B

La Banque d'affaires NotSoLiquid (récemment acquise par Bryan Garnier) est justement spécialisée dans le secondaire pour les primo-actionnaires, généralement dans des sociétés pos-série B. « Nous avons créé NotSoLiquid en 2021 au moment où le problème de manque de liquidités s'est le plus manifesté, explique le cofondateur David Laroque. Depuis la crise sanitaire, les perspectives d'exit en M&A ou en IPO sont devenues incertaines et plusieurs investisseurs sans horizon de sortie ont fait appel à nos services ».

Ce besoin en liquidités a par ailleurs contribué à la prolifération de nouvelles plateformes d'investissement et d'échange d'actions de startup, à l'image par exemple de Caption Market. Une solution similaire à celle proposée par NotSoLiquid, avec « le travail de due diligence en amont ». Pour Asterion Ventures, ce type d'opération se fait plutôt rare car le fonds a plutôt l'habitude d'entrer au capital de projets en début de phase de développement. « Certains fondateurs de startups ont demandé du cash out mais cela peut envoyer un signal défavorable aux fonds d'investissements », développe Stéphane Bourbier tout en rappelant que ces entrepreneurs ont d'abord besoin de faire leurs preuves. 

Néanmoins, certaines situations personnelles peuvent justifier exceptionnellement l'obtention de liquidités, comme pour les étudiants qui veulent finir de financer leur prêt avant de se lancer par exemple et qui ont généralement des rémunérations assez faibles jusqu'à la série A. Ce type de cash out, marginal, n'intervient néanmoins qu'en seed et jamais en pre-seed. Et cela reste encore une fois plutôt rare avant l'obtention d'une série B et au-delà. « Il y a deux écoles : certains fonds partagent l'idée qu'il faut pouvoir "déstresser" l'entrepreneur et le rémunérer davantage pour qu'il soit meilleur et performant dans son projet, détaille Stéphane Bourbier. D'autres estiment que ce cash-out peut être synonyme de dispersion ». 

En effet, ceux qui sont parvenus à obtenir un gros chèque accompagnent souvent d'autres startups en parallèle en tant que business angels, au risque de ne plus se concentrer uniquement sur leur propre projet. Enfin, certains fonds tentent de convaincre et de gagner des deals en valorisant un cash-out dans le cadre d'un tour de table futur. Stéphane Bourbier rappelle que cette propension à la délivrance de cash-out est surtout liée à la culture entrepreneuriale américaine avec l'idée que cela reste une source de motivation pour que l'entrepreneur, dérisqué sur le plan patrimonial, prenne plus de risques et vise des trajectoires ambitieuses de "fund returner" pour la startup qu'il ou elle dirige.

Les erreurs à éviter en secondaire

Si une opération de secondaire fait toujours partie du programme, David Laroque conseille vivement de se faire accompagner  - pour trouver les bons acheteurs et piloter le processus plus sereinement. « Il y a cette illusion qu'une opération secondaire serait plus facile à gérer que du primaire, déplore-t-il. C'est peut-être le cas lors de premiers tours de table mais cela devient très vite compliqué ensuite ».

Généralement, les actions vendues en secondaire ne représentent qu'une petite partie du capital et ne confèrent pas de droits de gouvernance aux nouveaux investisseurs. En revanche, les clauses de liquidation préférentielle ne sont pas à prendre à la légère. « Elles sont plutôt rares mais peuvent détruire la valeur des actions en secondaire », tient à rappeler David Laroque.

Autre écueil à ne pas négliger : s'inspirer de mastodontes de la tech, comme Open AI ou Space X aux États-Unis, qui délivrent peu d'informations sur leurs résultats, tout en réussissant à vendre leurs parts à prix d'or. « Beaucoup de startups de la French Tech font cette erreur de décider un prix à l'avance mais sans transparence, pointe David Laroque. Il faut être raisonnable car le risque à terme est de perdre la confiance du marché et de ses investisseurs ».

Il faut donc absolument en finir avec cet imaginaire dans lequel un entrepreneur peut croître et s'enrichir très vite. D'autant plus qu'un vrai réajustement du marché du capital-risque a lieu depuis 2022 et marque l'apparition de levées de fonds avec des valorisations revues à la baisse. « Devenir riche à court terme est un mirage, surtout que le temps avant d'obtenir un exit est aujourd'hui au tour des 15 ans, contre 5 à 10 ans avant la crise sanitaire », ajoute David Laroque. 

Le secondaire du point de vue des investisseurs externes

Pour ce qui est des investisseurs qui ont soutenu une startup à ses débuts, une demande de liquidités peut être justifiée dès lors que ces derniers en auraient besoin pour investir dans de nouveaux projets. Chez Asterion Ventures, environ un cinquième des investisseurs du SPV souhaitent revendre leur part au moment d'une série A mais la plupart préfèrent attendre le tour suivant pour viser un multiple de rendement supérieur. 

Cela peut aussi être l'occasion pour la startup de renouveler son pool d'investisseurs avec des profils d'experts plus adaptés pour les accompagner dans leur stade actuel de croissance. Certains peuvent aussi décider de céder une partie de leurs parts pour récupérer le cash investi, au risque de rester exposés à la plus-value sur le solde. « Lorsque nous intervenons sur un tour de seed, nous pouvons aussi ponctuellement racheter des parts de business angels rentrés en pre-seed, afin d'avoir une captable très lisible et avec peu de lignes individuelles », détaille Stéphane Bourbier. Un facteur qu'il juge important pour la réussite d'une future série A.

« Il est plus judicieux de le faire au moment d'une levée de fonds, la valorisation de la startup étant alors fixée par le marché et par un fonds externe qui rejoint l'opération, poursuit-il. Très souvent, les dirigeants s'opposent aux microtransactions entre deux levées, car le coût juridique est trop important et surtout cela peut divulguer une valeur de marché au public ». Et surtout, il est évident que si plusieurs investisseurs souhaitent sortir au même moment, cela peut être un signe de désengagement pour un projet bancal.

Si certains investisseurs historiques insistent pour revendre leurs parts, il faut faire preuve d'une grande clarté dans ses intentions : « on peut expliquer que ce n'est pas le moment opportun et promettre un tour de financement prochain pour organiser ces opérations secondaires, détaille David Laroque. Mais il faut que cela soit vrai, car le fait de repousser indéfiniment ce sujet peut entamer la loyauté des actionnaires concernés ».

« Certaines startups font délibérément perdre du temps pour empêcher la revente de parts, insiste-t-il. C'est une erreur car il faut prendre le sujet des exits d'investisseurs au sérieux ». Surtout que certaines « injonctions matérielles » contraignent les actionnaires à agir ainsi : par exemple l'urgence de rembourser des fonds lorsque le cycle d'un véhicule d'investissement arrive à terme.

Lorsqu'un investisseur partage son souhait de partir, le premier réflexe est donc de charger une personne en interne de récolter les retours et étudier le meilleur moment où la trajectoire est bonne pour mener du secondaire. Il faut ensuite se mettre d'accord sur une valorisation et réfléchir à un processus coordonné qui opère une bonne répartition entre les fonds importés et les actionnaires cédants. « Cela permettra d'éviter les débats futurs sur qui reprendra les parts revendus en secondaire », justifie David Laroque. 

Le secondaire ouvert aux salariés détenteurs de BPSCE

Ainsi, le secondaire octroie aux investisseurs une classe d'actifs avec un bon taux de retour sur investissement mais moyennant une part de risques plus élevée. Le fait de penser qu'on peut boursicoter dans les startups en changeant ses investissements très fréquemment est aussi un mirage selon David Laroque. En réalité, une opération secondaire prend du temps et cela reste encore une fois plus risqué qu'une opération primaire. Quoi qu'il en soit, il est toujours conseillé de faire rejoindre des investisseurs engagés sur le long terme, a minima lors des premiers stades d'augmentation de capital.

De son côté, Asterion Ventures choisit pour chaque projet de rassembler tous les investisseurs dans un SPV (Special Purpose Vehicle) : une holding qui permet justement d'organiser l'attribution de liquidités secondaires en toute discrétion, au profit des business angels historiques ou bien de racheter des parts de salarié.es détenteurs de BSPCE (Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise). « Ces BPSCE peuvent d'ailleurs entrer dans le cadre d'une vraie stratégie RH visant à motiver et fidéliser des salariés en interne, complète Stéphane Bourbier. Mais sur le long terme, il y a quand même un risque de perte du sentiment de la matérialité de ce type d'actions, une promesse de retour financier qui n'arrivera peut-être jamais ». Ainsi, le fait de mener une opération secondaire est un moyen de refixer la valeur de ce type de parts et les revaloriser auprès de leurs détenteurs, leur montrant que leur contribution à la réussite de leur startup peut générer des sommes très significatives.

David Laroque estime aussi que le BPSCE est un bon moyen de « générer une énergie collective et vertueuse en interne ». C'est d'autant plus le cas depuis que le député Paul Midy a récemment obtenu une réforme au bulletin officiel des finances publiques offrant une décote d'illiquidité dans le cadre des BPSCE émis par les startups. « Les régimes sont plus flexibles pour fixer le prix des BPSCE et cela motive de plus en plus de salariés à se lancer, décrit David Laroque. Cela permet aux sociétés non cotées de devenir aussi compétitives que celles cotées en bourse ».