Pas facile pour un entrepreneur d’obtenir l'accord des fonds d'investissement pour faire un peu de cash-out en ce moment. C’est ce que constate Romain Cottard, partner chez Ader Finance. Habitué des levées de fonds pour des startups série A et B (avec des tours entre 3 et 25 millions d'euros) et des transactions M&A entre 5 et 50 millions d’euros, ce banquier d’affaires constate que : « le sujet du cash-out revient dans les discussions tripartites avec les entrepreneurs et les investisseurs. 80 % des entrepreneurs que nous accompagnons souhaitent cash-outer, c'est-à-dire qu’ils veulent vendre une partie de leurs actions de façon à récupérer de la liquidité rapidement … »
Pourquoi ? « Les fondateurs, souvent rémunérés entre 75 et 100.000€ par an et entre 100 et 150.000 euros en série B, travaillent 15h par jour pour leur société, estiment que leur salaire ne correspond pas à leur implication et au coût de la vie parisienne… L’un d’entre eux nous a avoué ne pas dormir la nuit par anxiété de ne pas pouvoir payer la nounou le mois prochain… »
Comprendre la situation personnelle de l’entrepreneur
Or les temps ont changé : jusqu'à la mi-2022, les valorisations des sociétés étaient beaucoup plus hautes et l’argent coulait à flot dans l'écosystème. « Il pouvait y avoir des gros cash out y compris en série A. Il nous arrivait régulièrement de voir des entrepreneurs sortir 500.000€ ou 700.000€. Aujourd’hui, ces opérations sont beaucoup plus compliquées. Les investisseurs se montrent beaucoup plus frileux, estimant que tout l'argent investi devrait servir à développer la société et non partir dans la poche du fondateur, d’autant qu’ils ne savent pas encore si la startup va être un succès…. Ils sont donc beaucoup plus mesurés sur les montants (jusqu'à 100k€ /150k€ par fondateur). Dans un des derniers deals qu'on a intermédié, un VC de premier plan a refusé mordicus à des fondateurs un cash-out de 125k€ chacun lors d'une Serie A de plusieurs millions d'euros au motif que la boîte était trop jeune. On n’a pas réussi à les faire changer d'avis… », regrette Romain Cottard qui estime que la communication est essentielle pour comprendre la situation personnelle de l’entrepreneur et ses motivations (comme financer les nounous ou acheter un appartement plus grand à la naissance d’un enfant) et prendre la meilleure décision avec bienveillance.
« Si le cash-out permet de remettre une pièce dans la machine… »
Chez Citizen Capital, dont le fonds Growth à impact gère des tours de table de Serie B et plus, Mehdi Belkahla confirme cette évolution des trois dernières années. « Aujourd'hui, dans un univers de financement plus restreint, les investisseurs sont plus attentifs aux contours des deals… », explique le directeur d’investissement, qui rappelle que le fonds n’a pas de dogme sur la question. « Une petite de cash-out pour les dirigeants peut faciliter la réalisation des opérations. Cela peut être un élément de motivation pour des dirigeants qui, parfois, ont travaillé sur leur projet depuis 10 ans sans réellement percevoir le fruit de leur investissement et de leur travail. Si le cash-out permet de remettre une pièce dans la machine et de réengager le fondateur dans un nouveau chapitre, c'est un bon instrument gagnant-gagnant… »
Toute proportion gardée. « Evidemment, comme tout fonds d'investissement, nous sommes attentifs à ce que les intérêts du nouvel entrant et les dirigeants soient alignés. Il ne faut pas que le cash-out soit trop important pour garder les fondateurs motivés. »
Quelle est la proportion idéale ? « Tout dépend de la taille de l'opération, de l’historique capitalistique de levée de fonds de la société (soit les fonds investis par des actionnaires dans la startup en amont), de la répartition entre le cash-out et le cash-in. Dans des sociétés où les managers sont déjà très dilués, il y a un enjeu fort à les maintenir à un niveau acceptable de capitalisation pour les motiver. Au contraire, des boîtes qui ont été plutôt efficientes dans leur développement et qui ont très peu levé, là il y a une possibilité de négocier un cash-out plus important. »
Et en cas de refus de l’investisseur, que doit faire l’entrepreneur ? « Ne pas se braquer. Et viser le prochain tour d’investissement… », conseille Romain Cottard.