"Le fonds des licornes". C’est le surnom donné au véhicule XAnge 2, qui dénombre Odoo, Believe, récemment entrée en Bourse, Lydia et Ledger. Ce fonds pourrait multiplier ses investissements par 5. Deuxième exit en Bourse pour XAnge : Mister Spex, lunetier allemand. Des indicateurs très positifs pour la société de gestion.
C’est d’ailleurs à partir de ce fonds numéro 2, en 2012, que XAnge dirige sa thèse d’investissement vers la tech. Le fonds d’investissement se concentre sur l’Europe occidentale et sur l’amorçage jusqu’à la série A en primo-investissements. Une stratégie gagnante expliquée par Cyril Bertrand, managing partner de XAnge.
Comment avez-vous rejoint XAnge ?
Je rejoins XAnge en 2007 à mon retour d'Allemagne. C'est d'ailleurs comme ça que commence l'histoire franco-allemande de notre fonds. Je crée l’équipe allemande avec une partie de l’équipe de Deutsche Bank. Nous sommes alors au milieu du fonds 1 de XAnge.
La fin du fonds 1 se situe autour de la sortie de Neolane en 2013, (racheté par Adobe ndlr). Le fonds numéro 2 naît en 2012 et c'est à partir de là, poursuit une thèse généraliste à la recherche de performance. C’est avec ce fonds que nous investissons dans quatre licornes : Lydia, Ledger, Odoo et Believe. Je les connais par coeur !
C’est également à ce moment là qu’XAnge se dirige vers la tech. À partir des années 2012, XAnge met la barre vers des investissements plus tech, vers des marketplace et de la fintech. C’est donc la génération du fonds 2 qui fera plus de "x5" et dont on a eu récemment la sortie définitive de Believe.
Qu'est-ce qui différencie XAnge d'autres fonds ?
C’est la combinaison de deux éléments conjugués : la dimension européenne d’XAnge, franco-allemande avec des équipes dans les deux pays. Nous cultivons cette approche d’investissements en Europe continentale. Nous allons très rarement en Grande-Bretagne, à nos yeux, c’est un territoire plutôt américain. Voilà le premier élément.
Deuxième chose : XAnge a toujours cultivé une différenciation technique. Lorsqu’on demande à nos entrepreneurs pourquoi ils ont choisi XAnge, ils répondent souvent que c’est car nous avons compris nos enjeux technologiques et nos produits que les autres VC. 5 des 6 partners de l’équipe sont des ingénieurs. Finalement, nous sommes tous preneurs d’une bonne discussion avec les CTO ! Il y a beaucoup de VC qui ne s’intéressent pas vraiment au CTO… Pour nous, c’est une des façons importantes d’aborder la genèse d’une société : son produit et pas seulement son succès commercial.
Une passerelle pour les fonds anglophones
Vous investissez en série A, pourquoi faire le choix d’investir à ces stades de croissance ?
Au premier investissement, nous sommes un fonds de seed et de série A. Évidemment, par la suite, nous suivons les différents tours souvent jusqu’à la série C. XAnge est un fonds early stage. Notre métier, c’est la série A. Mais pour pouvoir bien le pratiquer, nous devons souvent intervenir plus tôt en amorçage. En Europe, pour investir dans les meilleures équipes, c’est souvent déjà trop tard en série A. La concurrence fait que si un VC investit dès l’amorçage, nous aurons beaucoup de peine à rejoindre en série A.
Grâce à ces trois éléments : Europe occidentale, early stage et technologie, nous générons du deal flow de bonne qualité et c’est également une porte d’entrée pour nos collègues américains et britanniques. Eux investissent souvent à partir de la série B.
Nous leur servons d’accès pour investir en France et en Allemagne. XAnge est un bon partenaire pour eux. Nous couvrons tout le terrain en early stage tech puis on distille notre deal flow aux confrères de la série B.
Quelle est votre analyse des différences entre l'écosystème allemand et l’écosystème français ?
Ces deux pays se ressemblent beaucoup plus qu’on ne peut l’imaginer notamment dans la manière de financer l’innovation mais il y a tout de même des différences notables. Au démarrage, l’Allemagne avait un avantage sur les sujets e-commerce.
On le voit dans certains secteurs, comme par exemple la vente de chaussures ou de vêtements en ligne. Pour les chaussures, il y avait deux bonnes équipes en France, bien lancées et financées et finalement, c'est l'allemand Zalando qui est devenu leader. Rocket Internet, le grand financeur du e-commerce allemand a joué un rôle fondamental dans les années 2010.
La force de la France est plutôt la tech et le logiciel. Les Allemands ont mis un certain temps à nous rattraper sur ces sujets. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus uniforme. Il y a moins de différences que dans les jeunes années du venture.
Faut-il encourager les ponts entre les deux pays et notamment les ponts d'investissement ?
Du point de vue des startups, la réponse n’est pas évidente. Si l’on a des gros moyens, du succès et de l’ambition, il peut être plus judicieux de se lancer aux États-Unis et de ne pas passer par l’étape intermédiaire France ou Allemagne qui ont des marchés de taille similaire.
En terme d’investissement, il y a à peu près le même volume investi en venture dans les deux pays, depuis plusieurs années. Chaque année, on se bagarre pour savoir qui est premier et qui est deuxième mais nous avançons au même rythme.
Ces deux pays sont donc assez similaires même si c’est vrai que le PIB allemand est supérieur d'un tiers environ au PIB français. Mais du point de vue de l'intensité du venture par habitant, c'est un peu plus intense en France.
D’un point de vue financier, c’est indispensable d’avoir des véhicules des deux côtés de la frontière. Cela nous rappelle que le leader européen peut-être différent du leader français ou allemand. Pour nous, qui sommes un fonds d'investissement, c'est très utile d’avoir en perspective où est le leadership en Europe, parce que c'est là que se passent nos opérations de sortie.
Certains secteurs d'activité sont-ils plus propices à un développement franco-allemand que franco-américain ou franco-UK britannique ?
Oui. Je fais la différence entre les métiers à forte intensité technique et technologique et les métiers à forte intensité d'opération.
Si j'ai une très forte différenciation technologique, il vaut mieux aller s’implanter aux Etats-Unis car la valorisation peut être meilleure. Par exemple, Dataïku ou 360Learning avaient tout intérêt à aller aux Etats-Unis et sont valorisés dans le paysage américain grâce à de fortes innovations tech.
Mais, si j’ai une importante intensité opérationnelle, comme Ouihelp dans le maintien à domicile qui doit gérer des réseaux d’auxiliaires de vie très importants, il vaut mieux se développer dans un pays proche du sien et avec des fonctionnement sociaux similaires.
De quoi pourrait s’inspirer l’écosystème français dans l’écosystème allemand ?
Je les trouve meilleurs que nous dans le transfert de technologies des universités aux entreprises.
Par exemple, autour de l’université TUM, l’université technique de Münich, il y a tout un écosystème deeptech. Un fonds est associé à cette université et de grands corporates sont également installés autour. Cet écosystème me fait envie et je ne vois pas d'équivalent français pour l’instant. Il y a peut-être Saclay mais cela reste balbutiant.
Un travail de fond de 5 à 10 ans
XAnge investit également au Benelux. Quel est l'intérêt de ces trois pays pour un fonds de VC français ?
Je vais divulguer notre secret ! Il y a la même qualité qu’en France ou en Allemagne ! Leurs ingénieurs, leurs commerciaux, leurs entrepreneurs sont tout aussi bons… et moins chers. Les deals sont moins chers car ils sont moins courtisés. L’arbitrage est facile, Bruxelles est à 1h20 de Paris, on parle souvent la même langue… Il suffit d’y aller et de faire notre métier et vous pouvez obtenir des entreprises comme Odoo, notre plus grande licorne qui est valorisée 4 milliards d’euros. Nous avions investi en 2014 alors que tout le monde l’avait sur son bureau.
L'intensité concurrentielle est un peu moindre en Belgique mais au Pays-Bas, l’écosystème est beaucoup plus concurrentiel. Il faut faire une différence entre les pays du Benelux.
XAnge a réalisé deux exits en Bourse ces dernières années. Believe et Mister Spex, un lunetier en ligne allemand. Comment avez-vous fait ?
C’est le fruit d’un travail de fond qui a duré des années. Il ne faut pas l’oublier. Ce genre de résultat se prépare et ne s'obtient d'ailleurs que grâce à 10-15 ans de travail méticuleux et discret. Nous sommes restés 18 ans investisseurs chez Believe ! Nous sommes rentrés en 2006 et sortis en 2024.
Ces deux IPO sont arrivés un peu en même temps de manière fortuite… Sortir grâce à une IPO, c’est très visible et très classieux. Mais est-ce que c’est financièrement intéressant ?
Au Nasdaq, oui. En Europe, on sait que nous devons passer par deux à trois ans d’hésitation avec un marché qui n’est pas spécialiste de la tech.
Votre fonds 2 est surnommé le “fonds des licornes”. Comment repère-t-on une future licorne ? Quel est votre secret ?
Il y a deux ingrédients. D’abord, et ça tout le monde le souligne, il faut d'excellents managers. C'est vrai en Belgique, c'est vrai en France, c'est vrai en Allemagne. Il faut avoir une équipe de management exceptionnelle. Je pourrais parler de nos entrepreneurs pendant des heures ! Ils sont un mélange étrange de très grande ambition et de très grand pragmatisme. Ce ne sont pas des têtes brûlées, ce ne sont pas des égotiques… Ce sont plutôt des gens de bonne composition avec un énergie folle.
“Savoir sortir est fondamental”
Notre deuxième ingrédient, c’est le marché. Il faut se positionner sur un marché dont le monde va avoir envie dans 10 ans. C’est très difficile à percevoir.
Prenons l’exemple de Ledger. Nous sommes en 2014. Est-ce qu'un jour on aura besoin de stocker nos crypto-currencies dans un endroit très protégé qu'on pourra balader partout avec nous ? En 2014 la réponse est un peu incertaine ! C'est même inconcevable. Aujourd’hui, 20% des cryptos du monde entier sont dans des clés Ledger.
On peut prendre un autre exemple : est-ce qu’un jour, les personnes âgées seront aidées par des robots ou des logiciels ? Nous, nous faisons le pari que non. Donc en 2018, nous avons investi dans Ouihelp.
Après toutes les analyses compliquées, on revient souvent à une question de bon sens. Une fois que la décision est prise, il faut tenir la distance. Les tendances peuvent prendre 5, 10 ans à s’établir. Voila le deuxième secret : s’engager sur une tendance dont le monde aura envie en BtoB ou en BtoC.
Il y a un autre secret : c'est la sortie. Savoir sortir des participations est fondamental. Chez XAnge, nous travaillons avec la conviction qu'il y a une date de péremption, ou en tout cas, il y a une date optimale pour sortir non seulement de n'importe quel dossier, mais aussi de n'importe quelle tendance. Nous préférons sortir un peu trop tôt que trop tard.