Les raisons de lancer un spin-off sont multiples : que ce soit pour sortir un projet qui n’est pas (ou plus) core-business (on pourra penser à Alphabet qui a spin-offé de nombreux projets dans laquelle la maison de Google garde des participations minoritaires), pour donner des débouchés à des produits de recherche (c’est le cas de l’Institut Curie qui s’est transformé en une véritable fabrique à spin-offs pour transformer ses travaux de recherches en actifs qui ont un bel impact dans le secteur de la santé) ou encore pour sortir un asset pour lui permettre de grandir. 

Sunday s’inscrit complètement dans ce dernier cas de figure : cette très belle success-story commence pourtant (presque) comme un accident.

La genèse d’un spin-off : Sunday

Quand Tigrane Seydoux et Victor Lugger décident d’entreprendre après s’être rencontrés sur les bancs de HEC, ils cherchent des idées dans la tech, des « big ideas » pour reprendre le terme que Victor Lugger utilise avant d’avouer : 

« La vraie histoire, c’est que l’on a monté Big Mamma parce que l’on n’avait pas de meilleure idée. »

Grâce à leur obsession du service client, la chaîne de restaurants italiens créée en 2015 réussit très vite à se faire une réputation.

« Mais la restauration, c’est un métier de centimes. Quand tu gagnes 0,1 %, tu as énormément amélioré ton business. » 

Pendant la pandémie, Big Mamma imagine de nombreux ajustements à mettre en place pour aider à la réouverture, dans un monde contraint par les gestes barrières. Payer via un QR code était juste une initiative parmi d’autres, quelque chose qu’ils avaient pu voir lors de leurs voyages à l’étranger.

« J’oublie ensuite complètement mes histoires de QR code, explique Victor Lugger. On réouvre seize restaurants dans trois pays, c’était une période intense. Puis, trois mois plus tard, je reçois les chiffres de mon DAF où je vois que 80 % des paiements sont passés par les QR codes. J’étais persuadé que c’était une erreur, mais mon DAF me l’a confirmé quelques heures plus tard. Deux questions me viennent à l’esprit : comment est-ce possible que 80 % des gens payent avec un QR code ? Et surtout comment est-ce possible qu’un process aussi important que le paiement ait changé dans tous mes restaurants et qu’en trois mois, je n’en ai pas entendu parler ? Je ne suis pas un patron dans la lune, j’étais très proche des opérations. »

Il découvre alors que, malgré les nombreux bugs du proof of concept mis en place, le staff adore parce que les tables tournent beaucoup plus vite, que c’est plus confortable pour 2 raisons : le staff a plus de temps pour mieux servir les clients, et ces derniers donnent donc plus de pourboire. L’expérience pourrait déjà être considérée comme gagnant-gagnant pour les équipes et les clients, mais un chiffre vient confirmer le potentiel de cette idée : le système permet à Big Mamma de faire jusqu’à 10 % de chiffre d’affaires en plus. 

« C’est pas tous les jours que l’on a quelque chose de cette magnitude. On a continué à creuser et on s’est dit que c’était trop incroyable, il fallait absolument faire une boîte à part ». 

Après la tentation de recruter un entrepreneur pour qu’il prenne la tête de ce spin-off, Victor Lugger se propose d’en prendre la tête lui-même, excité par ce nouveau produit. La décision est rapidement prise le 1er janvier 2021, un seed de 24 millions d’euros est annoncé trois plus tard, en septembre suivant une série A de 100 millions d’euros était annoncée. Les deux co-fondateurs semblaient enfin avoir identifié leur « big idea » tech qu’il fallait maintenant amener à conquérir le monde.

Décryptage d’une réussite

Pour Patrick Amiel, le serial entrepreneur à la tête du corporate startup studio 321, Sunday est l’exemple parfait de la spin-off réussie : 

« Si une entreprise veut spin-offer une activité, il ne faut pas y faire les choses à moitié pour lui donner vraiment les chances de réussir. Dans le cas de Big Mamma, les dirigeants ont su identifier le potentiel, puis prendre la décision de spin-offer cette activité naissance en confiant les rênes à Victor Lugger qui s'est dédié à 100% à la réussite de Sunday. Meilleur moyen d'éviter les conflits d'intérêt avec l'activité de la maison mère et de réunir les conditions du succès : une équipe dédiée, qui ne pense qu'à ça, dont l'incentive dépend uniquement de leurs actions et qui doit surperformer ses concurrents directs. La base, c’est donc de mettre les moyens pour y arriver et d'accepter de laisser s'envoler cette nouvelle activité, dont les règles seront différentes de celles de la maison mère. »

Les bonnes pratiques pour créer un spin-off réussi sont nombreuses, mais la question de la table de capitalisation est primordiale. La maison-mère doit accepter de couper le cordon ombilical pour permettre à la spin-off de grandir correctement :

« Il vaut mieux avoir un petit pourcentage d’une entreprise à fort potentiel que 100 % d’une idée que tu étouffes », lâche Patrick Amiel en souriant.

Du côté de Sunday, le choix a été de garder la même base qui avait fait la réussite de Big Mamma : 

« Cela fait dix ans que l’on est associé avec Tigrane. On est à 50-50 sur tout. Prendre la tête de Sunday était une décision qui allait nécessairement chambouler l’équilibre de Big Mamma, et qui allait nécessiter que Tigrane allait reprendre certaines de mes responsabilités, que les équipes allaient devoir se réorganiser. »

« Ce choix de la répartition du capital est intéressant, commente Patrick Amiel. Certaines entreprises pourraient se dire que, comme l’idée est née dans mon giron, je dois en détenir 75 ou 90 % de la valeur. Le signal envoyé par Victor et Tigrane est que même s’il y a une valeur dans la naissance avec une idée identifiée et créée, la valeur va surtout se créer dans le futur. »

Les apprentissages pour les entreprises

Les erreurs qui expliquent l’échec d’un spin-off peuvent être nombreuses, mais les témoignages se multiplient pour aider à guider les entrepreneurs qui voudraient suivre le même chemin que Victor Lugger, Tigrane Seydoux et Christine de Wendel.

« Au sein des grandes entreprises, explique Patrick Amiel, co-fondateur et CEO de 321. Il faut être capable de scorer les idées pour identifier celles qui ont un réel potentiel. Il faut ensuite les sortir des règles de la maison parce que le marché ne va pas à la même vitesse. Il faut les recoller au marché et ça ne peut pas se faire sans couper le cordon ombilical. Il faut donc aussi accepter de confier le bébé à des tiers —à des entrepreneurs— qui sont capables de naviguer dans des eaux plus troubles. »

C’est notamment le cas de Stables, une startup lancée par le PMU en association avec 321. 

« D’une propriété à 100 % par le corporate, le PMU a accepté de transférer sa majorité à des entrepreneurs dont Lebnan Nader qui a pu apporter une nouvelle dynamique et une capacité à aller à l’international. Le PMU continue d’être actionnaire, mais il a une part du gâteau d’une boîte qui est en train de se développer à l’international grâce à l’arrivée de la Fondation Tezos au capital ».

Les exemples de spin-off réussie commencent donc à se multiplier, encore faut-il est à l’affût des opportunités pour savoir les reconnaître et être prêt à s’en saisir.

« Ce n’est pas pour autant que Big Mamma s’est transformé en usine à spin-off. Pas du tout, rappelle Victor Lugger. C’est une boîte de restauration qui a identifié une opportunité similaire à celle de la réservation en ligne. Des idées qui peuvent se transformer en une boîte de la taille de Sunday, il n’y en a pas toutes les cinq minutes. Mais il ne faut jamais dire jamais. »