Ancienne ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno est une femme de combat. Des combats qu’elle mène aujourd’hui dans la société civile et particulièrement auprès des entrepreneurs. Présidente de la fondation Femmes@numérique, l’ancienne femme politique est également présidente du conseil d’administration de Ring Capital et de Ring Africa. 

À l’occasion des Rencontres économiques d’Aix qui se sont tenues les 5 et 6 juillet, Elisabeth Moreno rappelle les responsabilités qu’ont les chefs d’entreprise, et en première ligne les entrepreneurs. «Croyez en votre capacité à rendre ce pays meilleur», martèle-t-elle. «Être entrepreneur, c’est résoudre les problèmes de la société.» Elle s'est confié sur sa vision à Maddyness. 

Maddyness : Quelle place peuvent prendre les entrepreneurs dans la société ? 

Elisabeth Moreno : Nous vivons une période tellement dingue qu'on ne voit plus ce qui va bien. Le rôle des entrepreneurs, c'est de résoudre les problèmes de la société. C'est de construire, inventer, innover, développer des produits et des services qui répondent aux besoins d'une société. 

Cette période de crise intense est aussi une période d’opportunités incroyables. Plus il y a de besoins, plus il y a d'opportunités pour les entreprises. Nous sommes à la fin d’un cycle et au renouveau d’un autre cycle. C'est génial de pouvoir participer à cette reconstruction.

L'entrepreneuriat, c'est avoir l'audace de faire des choses que d'autres ont peut-être pensées, mais qu'ils n'ont pas mises en œuvre. Ce qui est fantastique, même si nous pouvons considérer que c'est facile pour certains et plus difficile pour d'autres, c’est que tout le monde peut entreprendre.

J'ai rencontré des entrepreneurs qui avaient 14 ans, d'autres qui avaient 80 ans. J'ai rencontré des entrepreneurs femmes. J'ai rencontré des entrepreneurs hommes. J'ai rencontré des seniors, des juniors, des gens avec diplômes, des gens sans diplôme. L'entrepreneuriat est ouvert à tous. Pour peu que vous ayez envie d'apporter quelque chose à la société. Et c'est à ça que nous devons nous raccrocher à un moment où nous avons l'impression de perdre tous nos repères.Quand on perd ses repères, il faut les reconstruire individuellement et collectivement. 

Nous avons besoin de refaire Nation et nous pouvons le faire autour de l'entrepreneuriat public et privé. Le rôle des entrepreneurs dans la société va devoir augmenter. Il faut qu'ils prennent une place plus importante. J’ai la conviction que puisqu'on a perdu confiance dans les institutions publiques, dans les politiques, les dernières organisations vers lesquelles on peut se tourner quand on a envie de construire des solutions collectives, ce sont l’entreprise et les associations.

Contrairement à ce que l’on pense, dans les moments de crise, dans les moments où on a peur, il ne faut surtout pas se replier sur soi. Il faut aller chercher des aides, il faut aller chercher des accompagnements, il faut aller chercher des moyens de mettre en œuvre ce que l'on pense souhaitable. L’entreprise a des moyens humains et financiers que nous ne retrouvons pas ailleurs. Les associations ont des moyens humains mais elles n'ont pas toujours les moyens financiers. C'est le meilleur moment pour casser les silos qui existent entre l'État, les entreprises, les associations et entre les citoyens, pour faire quelque chose de commun. C’est comme cela que nous arriverons à refaire nation : nous concentrer sur ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise.

Quel rôle doivent prendre les grands groupes dans la société ? 

Voilà plus de dix ans que l'ESG existe. Voilà plus de dix ans aujourd'hui qu'on rappelle, qu'on rappelle aux chefs d'entreprises, femmes, hommes, qu'ils ont  non seulement la responsabilité de servir leurs clients, de servir leurs salariés, de servir leurs actionnaires, mais aussi une responsabilité vis-à-vis de la société. 

Je trouve toujours dommage de rappeler à une entreprise qu'elle a une responsabilité sociétale et environnementale. Beaucoup de patrons disent encore aujourd'hui que le but de l'entreprise est d’être rentable et de payer les dividendes aux actionnaires. Mais le monde a fondamentalement changé. 

«Croyez dans votre capacité à rendre ce pays meilleur.»

Aujourd'hui, une entreprise qui ne prend pas au sérieux ses responsabilités sociales et environnementales aura énormément de difficultés à progresser pour trois raisons. La première, c'est qu'elle n'attirera plus les talents et en particulier les jeunes. Ils sont extrêmement regardants sur les politiques ESG et les entreprises dans lesquelles ils vont travailler. La deuxième, c'est qu'elle prend un risque réputationnel immense, parce qu'aujourd'hui, une entreprise qui, par exemple, ne favorise pas la parité, est challengée. Ce n’est pas tenable.

Et la troisième, c'est une question de performance et d'efficacité. Pour servir ses clients, il faut que les salariés leur ressemblent. 

Je suis présidente du conseil d'administration de Ring Capital et je vois que les investisseurs demandent aux entreprises d'incarner ces valeurs d'ESG et de mener ces politiques. Et ce n’est pas qu’une question de valeur mais également de plan d’action concret. 

Pendant dix ans, 80% des efforts ont été mis sur l'environnement. Aujourd'hui, compte tenu de ce qui se passe dans notre pays, compte tenu de l'explosion des inégalités, compte tenu de ces quatre millions de jeunes qui sortent de l'école sans formation, sans éducation suffisante pour pouvoir s'insérer dans la vie professionnelle, il est essentiel que les entreprises s'engagent aussi sur les questions sociales.

51% de la population française est composée de femmes, elles composent 40% de la population active. Je veux qu'on m'explique pourquoi en 2024, on doit encore rappeler aux entreprises qu'elles doivent avoir des politiques inclusives en termes de recrutement des femmes. Et qu'on arrête de me dire que les femmes n'ont pas d'ambition ! 

Vous dîtes qu’il faut se concentrer sur le positif. Où voyez-vous le positif aujourd’hui ? 

Cela fait trois ans que je suis sortie de politique, et le nombre d'entrepreneurs qui viennent me demander : «Qu'est-ce qu'on peut faire ensemble pour montrer que notre pays porte des valeurs universelles, positives ?» Cela me donne beaucoup d'espoir.

Ce que je leur répond c’est que nous avons une tendance à déléguer. On va voter pour les municipales et après on ne s'occupe plus de rien jusqu'aux prochaines élections municipales. On va voter pour les députés et puis après on passe à autre chose. Plus que jamais, nous avons besoin de faire revivre la démocratie participative. 

Plutôt que de donner un blanc-seing à un élu, à un représentant, il faut challenger ce qu'ils font, comme on le fait dans l'entreprise. Nous donnons une responsabilité à un chef d'entreprise et s'il délivre ce pour quoi il a été mis en place, il reste. Sinon, il est challengé et il sort.

Eh bien, nous devons nous réapproprier notre pouvoir électoral. Pas de manière ponctuelle au moment des élections, mais tout au long de notre vie citoyenne. Si notre démocratie va mal aujourd'hui, c'est parce que nous aussi, en tant que citoyens, nous avons laissé passer. 

Il est absolument essentiel de nous impliquer du début jusqu'à la fin dans le processus démocratique. 

Quel est votre appel aux entrepreneurs ?

Prenez vos responsabilités. Croyez en votre capacité à rendre ce pays meilleur.