L’immobilier reste le second poste de dépenses de l’entreprise, après la masse salariale. Et face aux grandes évolutions que connaît le travail tertiaire, les utilisateurs sont toujours plus exigeants pour leurs espaces de travail alors même que le taux d’usage baisse. Nicolas Hanart est le directeur du pôle stratégie immobilière, chez Factory. Au quotidien, il aide les entreprises à mieux optimiser leurs bureaux en se posant les bonnes questions. Faut-il rester ou partir ? S’organiser sur un ou plusieurs sites ? Trouver plus petit ? Repenser et réaménager ses espaces de travail ? Ouvrir ses salles de réunion à d’autres entreprises, se lancer de l’événementiel ?

La préoccupation majeure des employeurs pour 2024 - et sans doute pour les années qui viennent - tient en quelques mots : redonner aux équipes le goût du travail sur site. Il en a été largement question fin juin, lors du colloque du cercle Humania, qui fédère 600 DRH (80% du CAC 40). Convié sur scène, le cofondateur d’une licorne française en convenait : « Même nous, on a beaucoup de mal à faire venir les salariés au bureau, alors qu’on est certains que c’est indispensable. Le projet d’une entreprise, c’est de bâtir une équipe championne, pas une équipe de champions ! Pour cela, il faut être ensemble. »

« Au regard des coûts de l’immobilier et de l’énergie, nos clients n’ont évidemment pas envie d’avoir des bureaux occupés à 50 ou 60%, mais surtout des lieux qui perdent leur rôle essentiel dans la création, la communication et les intéractions entre les équipes. Cela affaiblit le projet collectif », confirme Nicolas Hanart.

Le tableau de bord du décideur, dès lors, a commencé à glisser du coût au m2 vers des indicateurs associés aux salariés eux-mêmes. « Aujourd’hui, on va plutôt parler de coût par poste, ou de coût par collaborateur. Le coût au m2 est un indicateur d’agents immobiliers et non de directeurs immobiliers qui eux s’intéressent aux indicateurs de performance issue de la satisfaction client, comme le Net Promoter Score. Il faut arrêter de penser le coût des bureaux en termes de prix au m2, parce qu’en réalité, les entreprises doivent fournir bien plus que des m2 pour faire revenir les équipes. »

Le coût par poste, lui, recouvre à la fois le loyer, les charges, la fiscalité, les frais d’exploitation, le coût d’aménagement. Auxquels on peut encore ajouter les services associés : imprimantes, véhicules de fonction, nettoyage, restauration… Attention, un poste peut être partagé par plusieurs personnes, d’où l’intérêt aussi du « coût par collaborateur ».

Des salles de réunion aux salles de réception

Une autre donnée importante : un bureau à plus de 800 euros HT HC/m2 peut très bien être « cher » ou « pas cher », selon ce qu’on en fait ! S’il permet à l’entreprise, par exemple, d’accueillir des événements, d’accroitre son attractivité RH ou encore le rayonnement de sa marque employeur, ce n’est pas du tout la même chose que s’il représente uniquement une charge. « Les bureaux ne se contentent plus de leur fonction d’origine, » reprend Nicolas Hanart. Les salles de réunion deviennent des salles de réception et l’entreprise va jusqu'à prendre des allures de « club », elle s’ouvre à tout son écosystème. « Avec ce type de positionnement, on peut modifier en profondeur son rapport au lieu et ses clefs de lecture et donc l’attractivité de cet outil pour l’ensemble des publics’.

Réduire les coûts de recrutement et de marketing

« Certains de nos clients nous fixent pour objectif de recevoir davantage de candidatures spontanées. Recruter, ça coûte très cher. En conséquence, mes interlocuteurs sont de plus en plus souvent des DRH, ou des Workplace Experience Managers, une fonction récente. »

Ou encore des directeurs de l'Environnement de Travail, le poste qu’occupe Fanny Lamarque chez Keolis. Son entreprise, spécialisée dans le transport, regroupe des actifs très variés : entre tertiaire et sites d’exploitation, le tout dans cinq grandes régions. « On ne gère pas les sites de bureaux comme les dépôts de bus. Et même, je dirais qu’on ne gère pas les sites parisiens comme les sites régionaux : les horaires de travail diffèrent, ce n’est pas la même population, même à 400 km de distance ! »

Fanny Lamarque rappelle que les « fondamentaux » que sont la maintenance, la sécurité, l’accueil et le nettoyage des bâtiments restent le principal poste de dépense, suivi ensuite par la restauration. Tout ce qui relève de « l’hospitality » vient loin derrière en termes de budget… mais présente pourtant d’importants bénéfices RH.

C’est le cas par exemple de l’espace d’animations que Fanny Lamarque a imaginé pour le nouveau siège social de Keolis, sur 200 m2 : « Nous avions un pic d’occupation des bureaux les mardi, mercredi et jeudi. Pour que les collaborateurs gardent plaisir à venir, et pour leur donner envie d’être sur site aussi le lundi et le vendredi, nous proposons des animations entre 12h et 14h : des ateliers graphiques, des sessions d’apprentissage de la micro-sieste, des cours de couture, une chorale… Cela permet de se rencontrer, de sortir de son équipe et de son silo. »

« Le bureau n’est plus un coût, mais un investissement »

Le nouveau siège de Keolis, à La Défense, propose 300 postes de travail en flex office, sur 5 000 m2 contre 10 000 auparavant. Quand elle se projette dans l’avenir, Fanny Lamarque imagine dans l’entreprise un « Business Center » : « C’est simple, nous n’avons jamais, mais vraiment jamais, assez de salles de réunion - même après en avoir augmenté le nombre.

J’aimerais dédier 500 m2 à des salles modulables, avec un accueil personnalisé, des petits-déjeuners et cocktails si besoin. Un service très proche de celui que proposent certains hôtels : au service du business. »

Une idée qui rejoint le positionnement de Nicolas Hanart. « Qu’allez-vous faire de vos m2 ? Quel est le rôle de chaque m2 pour votre projet d’entreprise ? Il faut construire une vision à long terme. Sortez de la logique “Mon bureau est un coût ” pour entrer dans une logique “Mon bureau est un investissement” ! Le bureau devient un outil de marketing et un outil RH. Il est temps que la stratégie immobilière rencontre la stratégie d’entreprise, pour faire des bureaux un outil, et non un mal nécessaire. »