Alexandre Fretti est co-CEO de Malt depuis octobre 2022, aux côtés de Vincent Huguet, cofondateur, après être arrivé au poste de directeur général deux ans plus tôt. Alexandre Fretti est une anomalie dans le paysage de la French Tech : il ne vient pas de l’univers tech ou startup.
Auparavant à un poste de direction chez Webhelp, il a rejoint Malt au plus haut niveau de décision. Un tandem de co-CEO avec la bénédiction des investisseurs : c’est assez rare pour être signalé.
Loin de la folie des grandeurs que certaines startups et licornes ont connu, le co-CEO de Malt adopte une gestion raisonnée mais rigoureuse de son entreprise. Une feuille de route qui vise des objectifs clairs : la rentabilité d’ici quelques mois puis la possibilité d’une IPO d’ici 2028. Plongez dans le quotidien du CEO d’une des licornes françaises.
Maddyness : Comment êtes-vous devenu co-CEO de Malt ?
Alexandre Fretti : J'ai rejoint Malt en tant que directeur général, je le suis resté deux ans. Puis, Vincent Huguet, cofondateur de Malt, parti en Allemagne pour développer ce marché, est revenu en France.
Il cumulait alors deux missions importantes : patron de l’Allemagne et patron du produit. Nous avons recruté pour ces deux missions. Son retour à Paris a alors généré une réflexion : quelle est notre vision de la gouvernance de l'entreprise ?
Finalement, être co-CEO nous est apparu naturellement parce que c'est déjà la manière dont on travaillait. Nous avons proposé ensemble cette gouvernance à nos actionnaires. Je me rappelle d'un des verbatims d'un de nos actionnaires : “On n'aime pas trop ça, mais pour vous, on trouve ça bien.”
Vous avez rejoint Malt en 2020. Qu'est-ce qui vous a attiré ? Comment Vincent Huguet vous a séduit ?
D'abord, en vendant extrêmement bien le marché. Ce marché est gigantesque et très fractionné. Il n’y pas de position de “winner takes all”. Il y avait donc la possibilité pour le petit Malt, quasiment franco-français quand je l'ai rejoint, de devenir un leader mondial.
Avec Vincent Huguet, nous avons passé beaucoup de temps ensemble pour voir si on arrivait à bien travailler en duo. On a fait beaucoup de déjeuners, beaucoup de dîners, parce que, quand on rejoint une entreprise en tant que directeur général avec un fondateur,des déclarations d'amour, c'est bien, mais des actes, c'est mieux. Il a été au rendez-vous de mes attentes. Je n’ai pas eu d’effet de surprise à mon arrivée, tout ce dont on avait discuté s'est avéré être la réalité.
Vous êtes un défenseur de l’hypercroissance raisonnée. Quelle est votre vision ?
Ce qui manque parfois dans le monde de la tech, à mes yeux, c'est la notion de retour sur investissement. Le problème, c'est que quand on ne mesure pas ce retour sur investissement, on finit par cramer de l'argent pour cramer de l'argent et avoir des histoires à la WeWork.
Quand je parle d'hypercroissance raisonnée, je pense à une hypercroissance qui est soutenue par de la data. Nous avons toute la data et les faits sont têtus, les chiffres sont têtus. En y prêtant attention, nous avons par exemple arrêté certaines dépenses marketing. Ce processus est extrêmement sain.
C’est cela, l'hypercroissance raisonnée. Pour autant, il ne faut pas perdre les bons côtés du monde de la tech, qui sont la prise de risque, l'audace, la capacité de prendre des décisions “bold” : décider d'ouvrir un pays sur un coin de table parce que c'est important pour accompagner un client et qu'il y a un rationnel derrière.
C'est un bon ratio de “cerveau gauche, cerveau droit”, d'intuition et de rationalité, là où le monde de la tech était beaucoup dans l'irrationalité ces dernières années.
«Recruter les meilleurs et les faire travailler ensemble»
Quels sont les piliers de votre activité de CEO ?
J'aime construire mon agenda avec quatre types de sujets. D’abord, les ressources humaines qui représentent la plus grande partie de mon temps. C'est à la fois le recrutement et le management des équipes. Chez Malt, chaque candidat est vu par un membre du COMEX. Et suivant le type de profil, j’en vois certains.
Mon deuxième sujet, c’est toute la partie externe, donc clients, journalistes, partenaires. J'essaie de focaliser ces temps sur le petit-déjeuner et les déjeuners.
Troisièmement, le management d'entreprise : la gouvernance, l'animation du comité exécutif, l'alignement des collaborateurs, faire sauter les obstacles. Et la quatrième partie, qui est souvent la plus réduite, est la stratégie, la vision forward-looking de l'entreprise.
Ce que je considère comme mon job, c'est de recruter les meilleurs et de les faire bosser ensemble. Dit comme ça, c'est simple. Mais souvent, on s’arrête à “recruter les meilleurs”. Les faire travailler ensemble, ça ne se fait pas naturellement. Je passe du temps, y compris avec un coach, pour améliorer les synergies dans l'équipe du COMEX et dans le leadership des top 30 de l'entreprise, pour m’assurer aussi que quand nous avons une vision, elle cascade bien et est bien comprise.
On essaye de surcommuniquer car, quelles que soient les entreprises et quels que soient les environnements, les managers pensent toujours bien communiquer et les managés ressentent toujours un manque. Il faut l'avoir en tête quand on est CEO.
Mon principal défi est de mettre de l'huile dans les rouages et de m'assurer que l'organisation de 700 personnes chez Malt fonctionne mieux que simplement l'addition de 700 individus.
Vous parliez d'un coach, c'est un coach personnel ou un coach pour le Comex ?
Nous l’avons appelé pour le Comex. Nous sommes partis du constat qu'au Comex, nous étions tous de très bons individus, mais que le collectif n'était pas optimum, qu'il y avait des frictions, des non-dits, que les membres ne se faisaient pas toujours confiance. Nous avons démarré par un séminaire brise-glace, pendant trois jours, avec la présence de notre coach. Nous avions tous ce ressenti : nous pourrions être bien meilleurs s'il y avait plus de confiance.
La présence du coach a été extrêmement utile. Il nous a permis aussi d’identifier certains sujets clés, parfois même personnels. Je considère aussi qu'on ne peut pas être extrêmement performant si on ne connaît rien des individus.
Et alors, très concrètement, avec Vincent, comment vous faites pour parler ?
Nous avons une routine qui existe depuis qu'il est rentré à Paris. On démarre la semaine ensemble par un petit-déjeuner le lundi matin, systématiquement en physique, en dehors des locaux et souvent pendant deux heures. Pendant une petite demi-heure, la plupart du temps, on ne parle pas boulot.
Puis l'objectif, c'est de traiter les points durs, et notamment les points sur lesquels on peut être en désaccord. Cette routine de communication et d'alignement est clé.
Quelle est votre journée type ?
Ma frustration, c'est que c'est souvent une journée back-to-back, c'est-à-dire que je n'ai pas de moments libres dans mon agenda.
Je peux démarrer très tôt le matin. En revanche, j'essaye, dans la mesure du possible, de finir entre 19h et 19h30 pour être chez moi avant que les enfants soient couchés.
C'est toujours un mix de rencontres avec mes équipes, de rencontres clients, de meetings de management de l'entreprise, de partenaires, d'actionnaires.