Installé au Centorial dans le deuxième arrondissement de Paris, BlackRock compte sur une équipe de plus de 200 personnes dans la capitale. À sa tête, Estelle Castres, directrice générale de BlackRock pour la France, la Belgique et le Luxembourg. Estelle Castres a un parcours atypique dans le milieu de la finance. Elle grandit en Alsace dans une famille modeste et s'intéresse très tôt à ce milieu. Trader au début de sa carrière, elle a été le témoin de l’évolution technologique de ces métiers. 

BlackRock investit 230 milliards d’euros en France dans des actifs diversifiés. Ce gestionnaire d'actifs s’appuie sur une plateforme technologique de pointe. Le groupe s’attache d’ailleurs à être innovant : récemment, BlackRock est devenu le principal acteur mondial sur les ETF bitcoin. Le groupe propose également depuis peu une nouvelle gamme d’ETF climat. Un positionnement “de disrupteur” qui ruisselle à tous les niveaux du groupe. 

Maddyness : Estelle Castres, vous êtes à la tête de l'activité BlackRock pour la France, la Belgique et le Luxembourg chez BlackRock. Comment arrive-t-on à ce poste ? 

Estelle Castres : J'ai un peu plus de 31 ans de carrière et j'ai pratiqué de nombreux métiers différents dans la finance. C’est quelque chose qui me caractérise. J'ai un parcours atypique. 

Je viens d'un milieu social modeste. Je suis arrivée dans la finance par ce biais-là, je me suis vraiment intéressée très jeune au fonctionnement de l'économie mondiale et à la compréhension des grands agrégats macroéconomiques. 

J’ai toujours voulu faire carrière dans la finance mais je ne me suis jamais dit qu’un jour je serais directrice générale de BlackRock pour la France, la Belgique et le Luxembourg. J'ai exercé différents métiers qui m'ont amenée à ça. J'ai parfois fait des pas de côté ou connu des évolutions de carrière qui n'étaient pas forcément des promotions, parce que j'avais envie de m'essayer à de nouvelles missions. 

J'ai commencé ma carrière, au tout début des années 90, en trading propriétaire en salle de marché, où je suis restée dix ans avant de basculer vers la gestion d’actifs. Il y avait très peu de femmes, nous étions une à deux en général. Après un peu plus de dix ans, j’ai basculé vers l’asset management en 2001. Je n’ai plus quitté cette discipline qui s’inscrit dans le temps long. J’aime cette idée.

Chez Axa Investment Managers, j’ai été responsable commerciale institutionnelle France. Puis chez Natixis, à partir de 2014, j’ai évolué sur des segments de clientèle très précis, comme l'assurance, avant de devenir responsable de toute l’Europe francophone. À chaque fois, c’était de nouveaux challenges. Avant de me lancer, je ne savais pas du tout si le métier de commerciale allait me correspondre.

Pour faire le lien avec BlackRock, Larry Fink, notre CEO, a une devise : “student of markets”. C'est-à-dire continuellement apprendre, être curieux, étudier les nouvelles classes d'actifs, les nouveaux instruments financiers, les nouvelles technologies. De nouvelles devises se sont ajoutées comme “student of technology”, “student of sustainability”, “student of our people”.

Comment sont organisées vos semaines ? Quel est votre travail quotidien ? 

J'ai deux grandes priorités dans mon poste. Nos clients et nos partenaires d’une part et nos talents d’autre part. En France, aujourd'hui, nous sommes 230 collaborateurs, dont près de la moitié dans la tech. Nous avons donc une forte empreinte tech, cela caractérise également le bureau de Paris. 

Trois grands hubs d’expertise sont basés à Paris. Outre le hub technologique, le deuxième hub concerne les marchés privés : nous avons la chance d'avoir des équipes qui investissent dans l'immobilier dans notre région qui investissent dans les infrastructures, et la dette privée, notamment dans les entreprises de taille moyenne, que l’on appelle le mid-market. Nous comptons également plusieurs experts de l’investissement durable. 

Nous servons en France tous les types de clients, hormis les clients individuels, que ce soient les grands institutionnels, les grandes entreprises, les banques privées, les gestionnaires de patrimoine et les plateformes digitales. 

Faut-il avoir de larges épaules pour porter ce titre ? Est-il difficile de dire qu'on travaille chez BlackRock ? 

Je pense qu'il faut savoir où on va. Il faut avoir une vision stratégique et connaître l'écosystème dans lequel on évolue. Deux ans après mon arrivée, je reste impressionnée par l’agilité dont le groupe reste capable, tout en étant leader mondial de son secteur avec plus de 10.000 milliards de dollars sous gestion. C’est ce que montre par exemple l’annonce du projet d’acquisition de GIP (Global Infrastructure Partners), qui témoigne bien de la qualité de visionnaire des fondateurs de BlackRock : les besoins d’investissement en infrastructures sont considérables. C’est une classe d’actifs qui est appelée à croître fortement et grâce à laquelle nous allons servir nos clients à 5, 10, 30 ans. 

Cette agilité, cette vision stratégique, c'est ce qui me conduit depuis toujours, et que je retrouve chez BlackRock. 

«Nous avons une grande capacité d'adaptation. C’est une vraie force»

Vous l’avez dit, vous venez d’un milieu modeste et vous vous êtes intéressée très tôt à la finance. Quel est votre premier souvenir de finance ? Qu'est-ce qui a motivé votre passion à un si jeune âge ? 

Cela date de la fin de l’enfance. J'avais envie de comprendre pourquoi mes parents connaissaient des difficultés dès le milieu du mois. 

J’ai vraiment eu la curiosité de comprendre comment fonctionne le monde,la macroéconomie, la signification des  grands agrégats. Voilà un souvenir de jeunesse :  je devais être en cinquième ou en quatrième lorsque j’ai lu un magazine qui expliquait pourquoi toute la relance keynésienne française, de 1981 à 1983, n’avait pas fonctionné. Et j’ai présenté un exposé sur ce sujet à ma classe, j'avais envie de transmettre ce que j'avais compris. 

Vous êtes diplômée de Sciences Po. En venant d’un milieu modeste, avez-vous le sentiment de vous être plus battue que d’autres ? 

J’ai fait une école de commerce puis un DESS à Sciences Po. J’ai dû travailler et emprunter de l’argent pour financer mes études. C’est pourquoi je suis sensible à la problématique de la mobilité sociale. Nous avons chez BlackRock depuis deux ans un réseau qui s'appelle Social Mobility Network, dans lequel je suis mentor de beaucoup de jeunes et de moins jeunes issus de milieux moins favorisés. Je leur dis constamment que nous avons une force ancrée en nous. On a dû se battre, s’adapter. Prendre des risques, se lancer des défis, c’est quelque chose que nous savons faire de façon quasiment innée. Nous avons une grande capacité d'adaptation. C’est une vraie force. 

Le fait d’être une femme a-t-il marqué votre parcours ? Avez-vous dû plus prouver plus de choses ? 

Les choses ont beaucoup évolué en 31 ans, et notamment au cours des cinq à dix dernières années. Les entreprises ont pris conscience qu’elles avaient besoin de plus de diversité. 

Il y a encore beaucoup de choses à faire ?

Sans doute. Mais imaginez d'où on vient. Une petite anecdote qui en dit long sur la place des femmes lorsque j’ai commencé ma carrière dans la finance : je travaillais en salle des marchés à Londres au milieu des années 90. Nous étions si peu nombreuses qu’il fallait sortir de la salle pour aller aux toilettes, alors que les toilettes hommes étaient dans l’enceinte de la salle des marchés ! Aujourd'hui, il y a une place quand même plus importante à la diversité de genres, même si les choses ne sont pas encore complètement équilibrées. 

Dans ma région, mon propre comité exécutif est majoritairement féminin. Ce qui est important, c’est l’équilibre. Aujourd'hui, chez BlackRock, nous recrutons 55 % de jeunes femmes en sortie d’école pour viser l'équilibre, car certaines d’entre elles arrêtent de travailler à certains moments de leur vie. C’est pourquoi il est important de pouvoir les accompagner tout au long de leur carrière. 

Sur votre site français, il y a un encart sur la finance comportementale. Qu’est-ce que ce concept ?

L’industrie de la gestion d’actifs est en pleine évolution, car la demande même de nos clients évolue. 

Nous vendons de moins en moins de produits et de plus en plus de solutions, ce qui nécessite une bonne compréhension des objectifs de nos clients et pour nos clients privés, de leurs objectifs de vie. Placent-ils leur argent pour le long terme, pour financer par exemple les études de leurs enfants ? 

Ces nouveaux comportements refaçonnent en profondeur l’investissement. C’est aussi un enjeu d’éducation financière. Nous avons tous des tabous sur la finance et il faut aussi casser ces tabous par rapport à l’investissement financier et notamment ceux des femmes. 

Investir n’est pas forcément compliqué mais il faut maîtriser quelques grands principes pour contrôler ses risques et commencer à investir tôt pour investir sur le long terme, justement en s’interrogeant sur ses objectifs de vie. C’est ainsi que l’on construit son horizon d’investissement. 

«Deux secteurs de prédilection : la tech et la santé»

BlackRock a investi plus de 230 milliards d’euros en France. Quelle est la singularité de la France en termes d'investissement ? 

La France est un pays attractif en termes d’investissements et c’est aussi un vivier de talents. 

Sur l'ensemble de ma région, nous investissons un peu plus de 300 milliards d'euros, dont plus de 230 milliards d’euros pour la France pour le compte de clients français et internationaux. C'est bien évidemment un mix d'investissements : des actifs liquides, actions, obligations et aussi des actifs privés. 

La singularité de la France tient au fait que nous gérons un peu plus de 41 milliards d’euros pour le compte de nos clients français et nous sommes donc importateurs nets d’investissement en France. L'écosystème français des marchés privés est attractif aussi bien pour nos fonds de private equity que de dette privée. Nous avons deux secteurs de prédilection : la tech et la santé. Ce sont des secteurs résilients, avec une belle visibilité des cash flows et de très belles entreprises. 

Vous investissez notamment dans des licornes françaises ? 

Les entreprises du Next 40 représentent le terrain d'intérêt de nos fonds de private equity, tandis que nos fonds de dette privée mid-market s’intéressent au Next 120. Nos fonds de dette mid-market ont investi dans plus de 17 entreprises en France. 

Avant de poursuivre sur la tech, parlons d’Aladdin. C’est votre logiciel interne d’investissement ? 

BlackRock a été créé juste après le krach boursier de 1987. Les fondateurs de BlackRock, qui étaient des gérants fixed income, se sont demandé comment offrir mieux aux clients et leur faire une meilleure promesse que ce que le marché permettait à l’époque. C’est vraiment cela notre ADN, l’optimisation du rapport rendement-risque pour notre client. 

Faute d’outils satisfaisants sur le marché, ils ont créé leur propre plateforme technologique : Aladdin. La technologie est vraiment au cœur de tout ce que nous faisons : c’est la plate-forme sur laquelle BlackRock a construit tout son système front-to-back, de la gestion au middle-office et back-office. 

D’abord un outil interne de gestion des risques, nous avons commencé à le vendre à nos clients il y a près de 25 ans, car ils sont confrontés aux mêmes problématiques que les nôtres. C’est pourquoi nous avons l’habitude de décrire Aladdin comme une plateforme construite sur le modèle « user-provider » : en tant que concepteur et utilisateur de la plateforme, nous innovons sans cesse pour répondre à l’évolution de nos besoins propres et à ceux de nos clients. 

La plateforme a également constamment évolué au gré des acquisitions de BlackRock, avec une vue tout d’abord sur les obligations, puis sur les actions et les marchés privés grâce à l’acquisition d’eFront, une entreprise française, il y a 5 ans. Nous avons enfin ajouté les actifs digitaux grâce au partenariat noué avec Coinbase. Aujourd’hui, nos clients peuvent vraiment avoir la vision globale de tous leurs actifs – liquides, illiquides, digitaux, ce que nous appelons la « whole portfolio view » - regroupée dans un même outil. La beauté d’Aladdin pour moi, et là, c'est vraiment avec mon passé de trader que j’en parle, c'est la place centrale de la donnée. La puissance d'Aladdin, encore aujourd'hui, 36 ans après, c’est cette donnée centralisée et le langage commun que nous partageons avec nos clients autour de la donnée. 

«Student of technology»

Quelle est la place de l’intelligence artificielle dans cet outil ? 

Cela fait longtemps que nous utilisons l’intelligence artificielle mais nous accélérons aujourd’hui. Nous avons mis Copilot à disposition des 20.000 collaborateurs de BlackRock depuis un peu plus de 2 mois. Tous les collaborateurs ont dû faire des formations sur ce sujet, pour apprendre à « prompter ». C'est notre côté “student of technology”. 

L’intelligence artificielle est aussi intégrée dans certaines gestions actives, et notamment dans la gestion systématique. Par exemple, nous analysons grâce à l’IA les discours des directeurs généraux et des directeurs financiers lors de la publication des résultats des entreprises, pour déterminer leur tonalité positive ou négative. Nous pouvons même aujourd’hui affiner cette analyse : c’est le cas par exemple d'un directeur général qui annonçait des investissements coûteux dans un projet, décrits avec une terminologie négative, mais analysés par l’IA comme traduisant une vision de croissance de l’entreprise à moyen terme. Nous pouvons aussi passer au peigne fin les offres d’emplois, du barista jusqu’au spécialiste des turbines éoliennes, pour y détecter d’éventuelles pressions sur les salaires, par secteur, par géographie et ainsi recueillir des indications sur l’avancement de la trajectoire de décarbonation de telle ou telle entreprise. 

L'investissement systématique vise à exploiter les technologies de pointe pour analyser des centaines de signaux de données et chercher ainsi à générer une meilleure performance pour nos clients. L’humain, avec sa créativité, sa capacité à générer de nouvelles idées, reste au centre de ce processus : il travaille avec la technologie, qui ne prend pas les décisions d’investissement à sa place, pas plus que l’intelligence artificielle n’est capable de remplacer l’expérience de l’investisseur. 

Il faut souligner aussi que la technologie est un formidable outil de démocratisation de l’investissement. La démocratisation de l’épargne financière est au cœur de nos missions. La technologie permet de simplifier le parcours d’investissement en le rendant plus simple, plus accessible et moins coûteux. C’est ce que nous avons observé en Allemagne à travers la forte croissance des « savings-plans », les plans d’épargne à base d’ETF distribués sur des plateformes digitales, qui ont permis à des millions d’épargnants d’accéder pour la première fois aux marchés financiers et de construire une épargne à long terme. Ce phénomène est en train de se développer dans le reste de l’Europe et nous avons de nombreux partenariats avec des acteurs digitaux, plateformes digitales, néo-brokers, banques digitales et réseaux bancaires qui enrichissent leurs offres en ligne. 

Quelle est votre feuille de route en France ? 

Nous allons continuer à accroître à la fois nos investissements en France, à renforcer nos liens avec nos partenaires locaux, à investir dans notre plateforme technologique et à innover en termes de produits et de solutions d’investissement au bénéfice de nos clients, fidèles à notre ADN d’innovateurs et de disrupteurs de nos marchés.