Pour certains, Contentsquare ne devrait plus être considérée comme licorne de la French Tech. Jonathan Cherki, fondateur et CEO, gère les affaires depuis New York, mais garde un œil sur le marché global qu’il essaye de conquérir et de faire grandir. 2 000 clients entreprise, 1800 collaborateurs, 625 en France, présence dans 17 pays, 8 acquisitions, 600 millions d’euros levés en 2022… Les chiffres de Contentsquare font tourner la tête. La scaleup annonce d’ailleurs aujourd’hui le lancement d’une nouvelle plateforme qui intègre l’intelligence artificielle.
Mais comme d’autres licornes, Contentsquare évolue dans un contexte économique risqué et a aussi dû passer par une réduction de ses effectifs : 4% en 2023. Pas encore rentable, Contentsquare suit, d’après Jonathan Cherki, une trajectoire vers la profitabilité. L’IPO ? Pourquoi pas dans quelques années. Ce qui est sûr, c’est que Jonathan Cherki ne veut pas vendre. Entretien avec un CEO touche-à-tout qui a transformé son projet étudiant en scale-up mondiale.
Maddyness : Vous avez fondé Contentsquare il y 12 ans maintenant. Pourquoi est-ce que vous êtes encore là ?
Jonathan Cherki : J'espère être là dans les 20 prochaines années ! Je suis plutôt au début de l'aventure Contentsquare. C'est la seule et unique entreprise dans laquelle j'ai plaisir à venir travailler chaque jour.
J'ai démarré ce projet en étant étudiant à Paris. J'aurais dû rejoindre l'entreprise familiale d'import-export de légumes secs. Mon grand-père, mon père et mon frère y travaillent. Moi, j’adorais les maths et les statistiques. Mon projet d'étudiant s'est transformé en projet de vie : les quatre premières années à Paris à bootstrapper puis début 2017, au lancement des activités aux États-Unis, je me suis installé à New York.
Chez Contentsquare, je m'éclate tous les jours. J'apprends tous les jours. J'ai des gens extraordinaires autour de moi. Notre mission consiste à essayer de rendre tous les sites et les applications mobiles bien meilleurs, plus fluides, sans frictions pour les utilisateurs.
Peut-on sourire quand on navigue sur un site Internet ? Vu le temps qu'on y passe, il faut que ces moments soient agréables. Pour ce faire, nous avons créé une technologie qui analyse le parcours utilisateur, le comportement, les erreurs, le temps de chargement, etc, pour rendre l'expérience fantastique.
On a encore beaucoup de chemin pour faire de Contentsquare l'une des plus grandes et belles entreprises d'analytics du monde. De tout cœur, j'espère être là dans 15, 20 ans. Jamais l'idée de revendre cette société m'a traversé l'esprit.
Vous avez dû pourtant recevoir plusieurs propositions de rachat… Avez-vous déjà envisagé cette possibilité ?
On ne passe pas de temps à discuter qui pourrait racheter la société. Toute notre énergie est concentrée à développer Contentsquare, à faire en sorte que nos collaborateurs et nos équipes s'éclatent à créer un maximum de valeur pour les clients, pour les aider à rendre l’expérience en ligne géniale !
«Faire une bonne acquisition, c'est anticiper des années à l'avance»
Vous avez mené huit opérations de rachat ces cinq dernières années. Les plus récents acquisitions sont celle d'Hotjar en 2021 et Heap en 2023. Qu'est-ce qui vous séduit dans une entreprise ? Quel est le déclic qui vous pousse à lancer une opération de rachat ?
Nous sommes très stratégiques car on a peu de temps. On regarde les marchés sur lesquels on veut se développer, ceux qui vont donner plus de valeur aux clients. On regarde ensuite si ce marché grandit bien et qui est le persona qui va pouvoir utiliser la solution.
On regarde aussi si les équipes ont une culture similaire à celle de Contentsquare. On s'assure qu'on a une vision commune. Et on valide le fait que ces technologies et ces équipes vont vraiment pouvoir faire 1 + 1 = 3. Si on coche toutes ces cases, ensuite, on fait un plan d'intégration.
C'est un plan qui est partagé par tout le monde, très détaillé et l'entreprise se concentre pour intégrer ces équipes, cette technologie, pour créer tout de suite de la valeur, pour nos clients, ainsi que pour les clients existants.
Y-a-t’il des acquisitions en préparation ?
Nous avons un pipe continu d’acquisitions. Nous regardons en permanence ce qui se passe sur les marchés sur lesquels on veut se développer. Faire la bonne acquisition, c'est souvent anticiper quelques années à l'avance.
Si on prend le cas de Heap rachetée en décembre, notre premier point de contact avec eux date de 2021. Dans le cas d’Hotjar, notre premier point de contact date de quatre à cinq avant l’acquisition.
Lors d'acquisitions et de l'intégration de nouvelles équipes, l'intégralité des effectifs restent chez Contentsquare ?
Il y a des départs. Soit car il y a deux personnes pour le même job, soit car on considère qu'il y a déjà des équipes sur un sujet, soit car nous pensons que des équipes vont être plutôt allouées à d'autres objectifs de l'entreprise, même si ce n'était pas ce qu'elles faisaient originellement. Ce qui amène régulièrement à de la restructuration et de la réorganisation. Cela arrive plus ou moins vite selon le plan d'intégration.
Parfois, on constate que la société se développe bien et nous la laissons avancer en lui apportant du support. Dans ce cas, les équipes sont intégrées dès le premier jour.
«Non, Contentsquare n'est pas encore rentable»
Aujourd'hui, êtes-vous rentable ?
Aujourd'hui, non. Contentsquare n'est pas encore rentable, mais nous avons un plan clair pour accroître son efficacité et sa profitabilité.
Est-ce votre objectif numéro 1 dans les prochaines années ?
Non, notre objectif numéro 1, c'est de continuer à développer notre marché, d’apporter encore plus de productivité et d'efficacité. L'objectif premier pour l'entreprise, c'est de continuer à développer, nous avons un objectif de long terme. Qu’on ait un objectif à 5, 10, 15, 20 ans, si on est clair sur le chemin pour y parvenir et à quelle temporalité, qu’on s’y tient, tout va suivre. Nous avons encore beaucoup de projets à mener.
On assiste à beaucoup de PSE. Doit-on en attendre un chez vous ?
Régulièrement, une entreprise doit se réorganiser et se redévelopper pour des raisons diverses. Nous avons environ 600 collaborateurs aujourd'hui en France. La France fait partie de nos zones de développement et d'investissement.
Comme dans toute entreprise qui se développe, il y a des périodes où on embauche moins, où nous pouvons plus ou moins garder des collaborateurs, se stabiliser.
Ce n'est pas oui mais ce n'est pas non. À quoi doit-on s'attendre ?
Nous n’avons pas de problème en particulier. Faire partir des salariés quand la société a des doublons ou quand il y a moins besoin de ressources pour des raisons X ou Y, cela fait partie du quotidien des grandes entreprises. Cela arrive dans le cadre d’acquisitions mais peut arriver aussi dans le cadre de non-acquisition en considérant qu'une activité se développe moins, ou si on veut se développer un pays plus qu'un autre, parce qu'on couvre plein de géographies, plein de pays, plein de segments de marché.
Vous êtes présent dans une quinzaine de pays. Comment on s'implante à l'étranger et comment choisit-on une géographie plutôt qu’une autre ?
Au départ, nous étions en France et pour créer un leader mondial, il fallait aussi se développer sur le marché américain. C’est aujourd’hui notre plus grand marché, il représente 45% de notre activité. Avant de partir aux Etats-Unis, on a voulu tester un marché plutôt limitrophe : l'Angleterre. Pendant un an, nous étions en Angleterre, cela a bien fonctionné, c’est toujours un marché important pour nous aujourd’hui.
Et puis petit à petit, nous avons des clients un peu partout dans le monde, donc nous les avons accompagnés à se développer dans d'autres géographies, d'abord en Europe. Nous sommes à Munich, à Barcelone, nous avons racheté une société à Tel Aviv, nous sommes en Europe du Nord, au Moyen-Orient.
Quand on ouvre un nouveau marché, nous regardons s’il est porteur, s’il est mature en terme de digital et de e-commerce, si nos technologies sont adaptées. Quand on valide tout ça, on prend la décision d'aller se développer dans un marché. Ensuite, on se demande si on doit s’y développer directement ou indirectement soit avec nos partenaires, soit avec nos équipes. Dans certaines géographies, nous avons démarré avec des partenaires, c’est le cas du Japon.
Vous êtes personnellement installé à New York mais le siège est toujours à Paris. Comment gérez-vous les affaires entre New York et Paris ? Pourquoi ce choix de New York ?
Le choix était assez simple. En 2017, les États-Unis étaient le plus grand marché d'e-commerce. Pour devenir un géant mondial, pour créer un leader dans son domaine, il fallait prendre ce marché-là. En tant que fondateur de Contentsquare, je ne voulais laisser à personne la responsabilité d'aller jouer cette partie-là. Cela m'a permis de mieux comprendre la culture, le mode de fonctionnement du marché.
Mais, j'ai des collaborateurs de confiance et talentueux sur l'ensemble des géographies et l'ensemble des grands sujets. Mon job, c'est de faire en sorte d'avoir les bons leaders sur les différents sujets, de les mettre dans des conditions de succès et de faire en sorte que tout cela fonctionne en symbiose. Cela nécessite aussi que moi-même je continue à apprendre le développement de chacune des étapes de l'entreprise parce que c'est ma première entreprise. J'espère que ce sera ma dernière.
Contentsquare, entreprise à mission
Kat Borlongan, ancienne directrice de la Mission French Tech, avait rejoint Contentsquare à la fin de son mandat. Elle était votre Chief Impact Officer pendant un an et demi. Quelles ont été les circonstances de son départ ?
Elle a énormément apporté à l'entreprise pour renforcer notre vision, nos actions sur le sujet impact au sens large, concernant la vie privée, qui est un de nos piliers : l'accessibilité numérique pour aider, un paquet de gens qui ont des problèmes, des problèmes d'accessibilité sur les sites internet ou les applications mobiles. Il y a plus d'un milliard de personnes qui ont des problèmes comme ceux-ci. 70% des contenus des sites web ne sont pas accessibles. Ce constat a donné naissance à la Contentsquare Foundation.
Il y a également le sujet de l’impact carbone et du développement de l’entreprise en terme de diversité et inclusion. Elle nous a aidé à construire, à structurer, à déployer ces visions et ce plan d'action au sein de l'entreprise. Son départ n’est absolument pas négatif. Nous continuons à avoir des échanges réguliers avec elle.
Est-ce que vous pensez à l'IPO ? Au Nasdaq ou à Paris ?
Avant toute chose, une IPO, c'est un moyen de financement pour l'entreprise. Nous avons levé beaucoup de capital qui nous permet de nous développer à la fois sur le plan organique, via des acquisitions et des investissements stratégiques.
Ce sera vraisemblablement une étape dans le futur du développement de Contentsquare. Nous espérons être là dans les 10, 15, 20 prochaines années.
L’IPO permet aussi à la société de créer une excellence opérationnelle, de s'assurer un niveau de qualité et de performance sur tout un tas d'indicateurs internes et externes.
Ce sera vraisemblablement un chemin pour la société dans les années à venir.
Vous évoluez dans la tech depuis 2012. Vous avez vu la French Tech. Maintenant, vous êtes basé à New York. Comment cet écosystème a-t-il évolué ?
On a la chance d'avoir une génération d'entrepreneurs décomplexés, qui pense global, qui pense leader mondial, qui cherchent à disrupter, à innover un secteur, un marché. C’est super ! Et je le ressens un peu partout dans le monde, même aux États-Unis. Ici, je perçois une vraie reconnaissance du talent français, de la vision, de ce qu'on apporte. C'est encore le cas sur tous les sujets relatifs à l'intelligence artificielle ou plus. Je suis plutôt très optimiste et positif sur l’avenir de l'environnement tech français au sens large.
Vous voyez où Contentsquare dans 5 ans ? dans 10 ans ?
Plusieurs milliers de collaborateurs, plusieurs millions de clients dans le monde, des nouvelles géographies, encore plus de valeur pour nos clients et surtout, continuer à s'éclater avec plein de passion et plein de plaisir.