La santé au travail est une « matière vivante, en perpétuelle évolution, au carrefour d’une multitude de disciplines : droit, médecine, sciences de l’ingénieur (hygiène et sécurité), mais aussi ergonomie, sociologie, psychologie ou encore sciences de gestion », rappelaient Emmanuelle Wurtz et Hervé Lanouzière dans l'ouvrage "La santé au travail. Droit et pratique".
Une étude de la DARES en 2021 catégorise, elle, les conditions de travail en trois grandes familles : les aspects matériels, les aspects organisationnels et enfin les aspects psychosociaux. Rappelons aussi le socle légal - ce n’est jamais inutile : selon le code du Travail (article L4121-1), « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »
« Un actif sur deux est gêné par le bruit sur son lieu de travail »
Une obligation de résultats, donc. Qui évidemment, d’un secteur d’activité à l’autre, d’une entreprise à l’autre et même d’un site à l’autre, prendra des formes différentes. Entre salariés exposés à l’amiante, management toxique et conditions d’exercice en télétravail, les questions qui se posent sont extrêmement variées. Certaines, pour autant, valent dans tous les bureaux du monde. C’est le cas en particulier du bruit, de la lumière et de la restauration, trois facteurs qui influencent directement notre forme.
Adrien Pouillot, diplômé en sociologie et planneur stratégique chez Factory, souligne qu’à une époque où l’on parle beaucoup de stress et de santé mentale, il est possible de faire du bureau, non plus une cause du problème, mais au contraire une solution pour aller mieux. « Les entreprises qui nous consultent peuvent avoir tendance à demander du beau, du design. C’est important, mais pas suffisant. Un beau bureau, dans lequel on ne s’entend plus parler, ne conviendra à personne. La pollution sonore, dans le monde, a été multipliée par dix depuis les années 1980. Dans les bureaux, un actif sur deux se déclare gêné par le bruit sur son lieu de travail, d’après le baromètre Ifop-JNA de 2023. De plus, ça augmente l’agressivité, ça donne envie de s’approprier un territoire… C’est un vrai sujet qui ne peut pas être résolu par le simple port d’un casque anti-bruit. »
Chez Mazars, Sidonie Lacome, responsable Innovation RH, « slasheuse » formée et certifiée par l’Ecole humaniste de Gestalt, emploie presque la même expression : « Si je viens au bureau pour échanger avec mes collègues, mais qu’une fois sur place, tout le monde est en visio et que je dois porter des écouteurs toute la journée, ou m’isoler dans un box pour me concentrer, pour être performante, je préfère rester chez moi. Sinon je planifie mes temps en présentiel au bureau pour des déjeuners, des pauses cafés ou des temps d’équipe. »
« Ne dédaignons pas la forme »
Comme Adrien Pouillot, Sidonie Lacome ne balaie pas du revers de la main les questions de design. « Il ne faut pas les dédaigner. Pour citer Victor Hugo, la forme, c’est le fond qui remonte à la surface… Recevoir des collaborateurs et des clients dans un lieu esthétique, original, qui devient prétexte à la discussion, tout cela est important et contribue à créer du lien. C’est comme la nourriture saine. Quand elle est de qualité, bien disposée, avec de belles couleurs, on apprécie plus le goût grâce au plaisir des yeux. »
Les deux sujets, forme et fond, peuvent en effet se confondre avec succès, et notamment dans les « quiet zone », que l’on trouve aujourd’hui dans un nombre croissant d’entreprises, y compris chez Factory. « Une quiet zone présente des avantages importants, reprend Adrien Pouillot : on peut s’y concentrer bien sûr, mais aussi s’y reposer. A l’étranger, aux Etats-Unis et en Asie notamment, elles sont systématiquement mises en avant dans les projets de construction et de rénovation. Il ne s’agit pas seulement des bulles individuelles pour passer un coup de fil, on parle bien de vraies salles dignes de ce nom. »
Le consultant attire l’attention plus largement sur les troubles de l’attention : « Nous en avons tous ! Plus ou moins marqués. Mais il est intéressant de se dire qu’en concevant des lieux adaptés aux personnes qui ont les troubles les plus forts, c’est finalement l’ensemble du personnel qui va en bénéficier. On pourrait très bien imaginer de nouveaux standards. Par exemple, j’ai découvert l’an dernier le design non agressif, avec des couleurs neutres et la volonté de ne pas surcharger l’espace. Tout est pensé pour ne pas nous submerger d’informations, sans pour autant être plongé dans un environnement blanc, clinique. »
Attention aussi aux outils collaboratifs et à leurs notifications constantes : « Je travaille beaucoup sur les sujets d’infobésité numérique, reprend Sidonie Lacome. Il faut environ 27 min pour que le cerveau se reconcentre sur une tâche, quand vous êtes interrompu… Dans ces conditions, on comprend combien il est important de mettre en place des rituels d’équipe et des partages de pratiques de collaboration numérique… et on arrive très vite sur le terrain du management. »
« La réforme des retraites a rappelé que le travail était au centre de notre quotidien, insiste Adrien Pouillot. A l’idée de travailler deux années de plus, les Français ont dit : mais comment allons-nous faire ? C’est un enjeu de soutenabilité. J’essaie donc de me positionner sur le bureau comme « support d’existence », selon une formule chère aux sociologues. »
Restauration collective
On a évoqué le bruit, les températures également dans un article précédent, mais pas encore les espaces de restauration.
Faut-il le rappeler ? La qualité de ce que nous mangeons joue un rôle majeur sur notre santé. Une entreprise qui propose une offre de restauration de qualité (bio par exemple), c’est davantage qu’un « plus ». La loi le confirme : depuis le 1er janvier dernier, tous les restaurants d’entreprise sont censés proposer au moins 50 % de « produits durables et de qualité ». Cette catégorie comprend des labels comme l’appellation d’origine protégée, la mention « haute valeur environnementale », le commerce équitable, mais aussi le bio, qui doit représenter 20 % du total de la nourriture vendue.
Au cœur du sujet : le lien social
Impliquer la médecine du travail dans la réflexion autour de l’offre de restauration est une piste pour progresser. On pourrait même imaginer, reprend Adrien Pouillot, sortir du bureau plus en forme qu’on y est entré le matin. C’est le « bureau régénératif », défendu avec enthousiasme par Sidonie Lacome, mitigée sur le terme de « bureau-refuge » : « Je préfère parler de cocon, le refuge m’évoque les réfugiés politiques et climatiques. Le cocon, c’est vraiment cet espace où les collaborateurs vont se sentir en sécurité pour lancer des projets, construire ensemble, innover, échouer, réussir, partager des moments de vie… »
Car pour elle, protéger sa santé, c’est aussi veiller au lien social. « Le travail permet de créer du lien : il est donc nécessaire d’identifier les espaces de sécurité qui vont permettre à nouveau d’avoir envie d’être ensemble et de bien vivre ensemble. Poser des cadres de vie et d’organisation du travail où chacun se sente respecté. Bannir ces violences ordinaires très nombreuses : le bruit, la disponibilité d’espace, la qualité des lieux, le matériel, les réunions à foison, les interruptions numériques… »
Pour y parvenir, Sidonie Lacome s’inspire des sciences humaines : psychologie, sociologie, anthropologie, philosophie, et psychologues, sociologues et anthropologues en particulier. Elle veille à ne pas cloisonner vie professionnelle et vie personnelle : « Aujourd’hui l’entreprise a un rôle à jouer non plus seulement dans les parcours de carrière des collaborateurs, mais aussi dans leurs parcours de vie. C’est pourquoi chez Mazars les enjeux autour de la parentalité, de la qualité de vie au travail, de la santé mentale, de la possibilité de faire des breaks pendant sa carrière lors de congés solidaires ou le “Mazars break” pour respirer et s’épanouir dans des projets personnels et/ou professionnels sont essentiels. Les salariés aidants aussi de plus en plus nombreux. On ne peut se dissocier, être une personne différente hors et dans le travail. Ce sont des enjeux sociétaux que nous avons besoin de prendre en compte en innovation RH. »
Chez Factory, Adrien Pouillot abonde en son sens : « On voit bien que ce qu’on va chercher au bureau, c’est le lien social : on revient pour voir ses collègues. La solidarité est un refuge. Et le chief happiness officer représente souvent un pansement, là où il fallait un garrot. »