Christine Merckelbagh est de ces personnes au parcours étonnant, pour ne pas dire improbable. A ses débuts, s’offre à elle une voie dans les assurances, à ne pas confondre avec une vocation. “Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un secteur de vocation. Je n’en ai jamais rêvé enfant, d’ailleurs je pense que personne ne rêve de ça comme métier”, assume-t-elle. Mais à l’âge de 20 ans, après une formation de statisticienne, elle se dirige vers cette profession “qui recrute”.
Les années passant, elle y trouve son compte : “J’aimais bien l’organisation du travail, le management, mais aussi le service client.” Malgré tout, la finalité de son travail est bien loin de ce qu’elle souhaite “donner à la société”. “J’ai eu envie d’être plus en adéquation avec mes envies et le sens que je voulais donner à mon métier.” Première idée : ouvrir un salon de thé “avec des gâteaux multicolores et de la petite porcelaine au style british”. Une envie on ne peut plus éloignée du monde des assurances.
Un CAP cuisine pour entrer dans le monde de l’économie sociale
Finalement, elle décide d’associer cuisine et social qui l’anime depuis de nombreuses années. Après 20 ans de responsabilité au sein d’Axa, du Crédit Agricole, ou de la Generali, elle passe son CAP cuisine à l’école Ferrandi. “Après le CAP, je me sentais un peu touche à tout mais bonne à rien. Je pensais qu’en venant du CAC 40, je ne pouvais pas me diriger vers l’économie sociale. Au contraire, j’ai rencontré des personnes intéressées par mon profil alors que je me censurais.”
Christine Merckelbagh commence à naviguer dans ce milieu. “J’ai ouvert et géré un restaurant associatif en chantier d’insertion professionnelle dans un foyer de travailleurs immigrés à Montreuil pendant un an.” Nous sommes alors en 2016 et c’est une volte-face à 360 degrés pour l’ancienne directrice conduite du changement de Covéa. “J’ai fait un voyage extraordinaire”, se rappelle-t-elle, encore enjouée par le souvenir de cette expérience. Mafé, couscous… les plats d’Afrique sont de rigueur mais il faut aussi proposer une carte variée. Elle contacte Vincent Dautry, un des chefs de l’école Ferrandi. Banco, il tombe amoureux du restaurant, de l’équipe, plus largement de l’insertion… “Je lui ai proposé de monter notre propre structure : Label Gamelle. Nous sommes passés de professeur et élève à collègues puis associés.”
D’autres Label Gamelle en France ?
L’entreprise d’insertion - société coopérative intérêt collectif (SCIC) - ouvre ses portes le 4 novembre 2020, pendant le deuxième confinement. A l’époque, seulement six employés produisent environ 80 repas par jour. Trois ans plus tard, 32 personnes de 18 nationalités différentes concoctent les 1500 repas chaque vendus notamment à des centres d’hébergement d'urgence, des foyers d’aide sociale à l’enfance, des étudiants en situation de précarité… Parmi les cuisiniers : une majorité de réfugiés et 22 personnes à avoir emprunté un parcours d’insertion. Une “immense satisfaction” pour la jeune entrepreneure, nécessaire pour alimenter sa motivation lors des moments difficiles.
En créant son entreprise, Christine Merckelbagh réalise rapidement “qu’il faut être très lucide sur ses connaissances et s’entourer des bonnes personnes”. “Ne jamais rien lâcher.” C’est grâce à cette niaque naturelle qu’elle ne baisse pas les bras en 2022, lorsque la facture d’électricité est multipliée par huit. “On est passé de 35.000 euros par an à 200.000 euros. Aucun fournisseur ne voulait me parler. J’ai dit ‘là c’est fini, je ne sais plus quoi faire’.” Christine Merckelbagh écrit à trois ministres, persiste et obtient une nouvelle offre.
Aujourd’hui, elle cherche à lever 400 000 euros pour finaliser les travaux de Label Gamelle pour permettre d’augmenter la capacité de production à 3500 voire 4000 repas par jour. “Je cherche des fonds pour lancer cette dernière phase de travaux. Et une fois que cela sera terminé, on aimerait que d’autres Label Gamelle voient le jour ailleurs en France.” En attendant, aucune inquiétude, elle reste positive.
“Beaucoup de personnes ont envie de nous aider et nous accompagner.” C’est notamment le cas de Jean-Michel Caye, directeur Associé Senior au BCG France, qui annonçait au mois de mars être “très heureux d’accompagner les deux lauréates dans leur passage à l’échelle pour leur garantir la réussite que leur projet mérite”, la dirigeante de Label Gamelle ayant gagné le prix de l’Entrepreneur environnemental et Social. “C’est une très belle reconnaissance. Je suis très heureuse et fière parce qu’il s’agit d’un travail collectif”, réagit Christine Merckelbagh. “La solidarité est bien réelle et n’est pas un mot vain, et moi, je sais que je suis à ma place.”