En juin 2022, on a senti le coup de frein sur la Tech américaine. En France, le ralentissement est arrivé quelques mois plus tard. Pendant des années, les financements coulaient à flots et les Techs recrutaient massivement pour accélérer. Mais ces deux dernières années, « les offres d’emploi pour les commerciaux de la Tech se sont effondrées de 80% », souligne Clément Martin, le fondateur de Rocket4Sales, cabinet de recrutement spécialisé dans la fonction commerciale dans la Tech qui se positionne comme un agent.
Et aujourd’hui ? « Le marché évolue et doit s’adapter aux nouvelles exigences des investisseurs, notamment en matière d’efficacité opérationnelle et de rentabilité. La croissance à tout prix, c’est fini. Le quotidien reste difficile pour les commerciaux qui, comme les investisseurs et dirigeants, ont un besoin de visibilité sur la reprise du marché… alors que celui-ci reste attentiste, certains indicateurs viennent de passer au vert : toutes nos analyses de marché indiquent que 2025 sera l’année de la reprise. »
« Les startups ne recrutent pas, elles achètent des compétences »
Parmi les entreprises de la Tech qui recrutent des profils commerciaux en France actuellement, seule une sur deux est française, selon le baromètre trimestriel de Rocket4Sales. Les Techs américaines, depuis le début de l’année, représentent à elles seules plus de 33% des offres publiées. « Depuis février, elles recommencent à chasser les talents français. « Les startups devront réussir à fidéliser leurs “rockstars” de la vente, qui pourraient facilement être attirées par les salaires des éditeurs de logiciels américains, poursuit Clément Martin. Les startups ne recrutent pas, elles achètent des compétences. »
Clément Martin a fondé Rocket4Sales il y a cinq ans : un cabinet de recrutement hyper-spécialisé dans la fonction commerciale dans la Tech. « Nous aidons les meilleurs commerciaux à construire leur carrière dans la Tech et mettons en face de chaque entreprise le profil qui va s’adapter le mieux à la société, ou plus exactement celui qui aura les compétences et le modèle d’exécution nécessaire pour permettre d’accéder à la prochaine levée. »
En effet, « en early stage, il faut des commerciaux qui défrichent le marché. En série A, les entreprises ont besoin de Sales Leaders capables de structurer et consolider leur modèle commercial autour de processus solides, mais adaptables. Selon le produit commercialisé, le type de clients adressé et la phase de croissance de la startup, les compétences et les personnalités recherchées chez les commerciaux sont radicalement différentes. Par exemple, l’approche commerciale chez Doctolib n’a rien à voir avec celle d’un commercial qui travaille chez Salesforce, où la vente sera plus complexe et stratégique. Les produits n’ont pas le même prix, ni la même complexité de vente, les cycles de vente sont très différents. »
Après la rétention, passez à la « chasse » dès 2024
Et en cas de crise, l’acquisition de nouveaux clients devient plus difficile. En 2023, les éditeurs de logiciels ont vu leur cycle de vente s’allonger de 25%, le coût d’acquisition (CAC) a explosé (+180% en un an), la valeur vie client (LTV) devient un des leviers de développement les plus importants à travailler. Les revenus générés par les clients existants via la rétention et l’upselling, reviennent naturellement au centre des stratégies commerciales. La résurgence du métier d’Account Manager, hissé depuis l’automne 2023 en deuxième place des profils commerciaux les plus recherchés, illustre cette tendance. Mais quand le nuage passe, l’acquisition reprend et il faut s’y préparer.
Autrement dit, en 2024, il est temps de recruter des profils de « chasseurs » pour anticiper 2025, tant auprès des directions commerciales que sur les métiers plus spécifiques au cycle de vente. « Ces commerciaux chasseurs sont capables d’aller chercher de l’upsell ou cross-sell auprès des comptes existants, comme de conquérir de nouveaux clients », reprend Clément Martin, qui conseille également de « renforcer la partie commerciale sur les grands comptes : les Account Managers devront trouver le juste équilibre entre relation client et intensité commerciale. »
Ici, c’est bien la quête de rentabilité qui amène les Tech à redéfinir leur stratégie commerciale et de recrutement. « En baisse de 10%, le taux de rétention net médian (NRR) dans le secteur des logiciels a atteint des niveaux historiquement bas depuis la crise, bien inférieurs à ceux d'avant la pandémie de Covid. Par exemple, chez Snowflake, elle a chuté de 170% à 130%. Bien que la moyenne du secteur reste supérieure à 110%, cette baisse est largement attribuée à une augmentation du taux d’attrition dans un contexte de resserrement des budgets, et à des ventes additionnelles devenues plus difficiles », détaille Clément Martin, lui-même ancien commercial chez LinkedIn, avant d’ajouter : « Cette quête d’efficience transparaît aujourd’hui dans l’agilité et l’expertise recherchées auprès des profils recrutés ».
Recruter des commerciaux hyper-spécialistes ou généralistes ? La question clivante
Dans un contexte de financements difficiles, les équipes commerciales se redessinent. Selon la dernière enquête de Bridge Group, 58% des entreprises de la Tech soutiennent le cycle de vente du client avec au moins trois fonctions commerciales distinctes : les Business Development Representatives - responsable de la prospection, les Account Executives qui concluent les ventes, et les Account Managers et Customer Success Managers - en charge de la fidélisation et du développement des comptes existants. Ce pourcentage monte à 68% si l'on exclut les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 5 millions de dollars.
Certaines Tech privilégieront alors l’hyper-spécialisation de compétences commerciales (prospection versus closing, par exemple) afin d’apporter plus de vélocité et réussir à se démarquer, « à condition néanmoins que les processus de vente soient déjà solides », précise Clément Martin. Ce modèle est largement adopté par les startups en hypercroissance, tout comme les Tech publiques et licornes françaises.
D’autres, comme dans les années 2010, miseront sur des profils plus généralistes et polyvalents, avec des commerciaux 360°, encore appelés « full-stack », capables de gérer l’intégralité du cycle de vente. « Dans une logique de rationalisation des coûts, nombreuses sont celles qui reviennent à ce modèle aujourd’hui, notamment les startups en phase early stage », précise Clément Martin.
L’erreur de recrutement la plus courante ? « Recruter trop tôt, ou vouloir recruter des profils hyper-spécialisés avant même que les processus de vente soient fluides et efficients. »
Recruter en période d’hypercroissance : le cas de Deel
Deel HR propose une suite RH globale permettant de gérer l’embauche, la paie et la conformité à l’international, le tout via une seule et même plateforme. En cinq ans d'existence, Deel a conquis « 25000 clients dans plus de 150 pays. » Parmi ses clients français : Hermès, Brut, Swile ou encore Alan.
Deel se positionne comme l'une des startups à la croissance la plus rapide au monde dans le domaine du Software as a Service (SaaS) et a récemment été reconnue dans la prestigieuse liste CNBC Disruptor 50 en 2024.
Pourquoi donc ? En partie sans doute, parce que l’entreprise a fait évoluer son offre dès 2021 : « Nous avons choisi de devenir un“One-Stop-Shop”, raconte Julien Couderc, Country Leader & Head of Expansion France chez Deel. Cette décision stratégique s’avère la bonne et nous permet de ne pas être captifs des tout premiers services que nous avions mis sur le marché. »
A quoi ressemblent les forces commerciales de Deel ? « Nous organisons les équipes par segments, explique Julien. Nos trois segments sont liés à des tailles d’entreprise.Les trois cycles de vente sont différents. Ensuite, pour chaque segment, les commerciaux travaillent en binôme : l’un se place en début d’entonnoir, pour prospecter, faire du cold calling, identifier des opportunités… Et le second réalise la démo, devient le point de contact du nouveau client, c’est lui qui signe. Parfois il passe la main à un Sales Manager qui fait le suivi client et la satisfaction. Notre force, c’est la vitesse : on apporte tout de suite une solution au prospect, en leur donnant la main sur notre plateforme. Trois semaines après son premier appel, il peut être opérationnel et avoir recruté ses freelances chez Deel. Nous avons par ailleurs des Account Managers qui travaillent sur une base installée. Pas question d’affaiblir l’existant ! »
Dernier point : chez Deel, les commerciaux travaillent main dans la main avec l’équipe Growth-Marketing (« Développer notre notoriété et générer un maximum de leads, c’est le nerf de la guerre ») et avec l’équipe Partenaires, qui a créé des programmes spécifiques en apport d’affaires, par exemple.
En conclusion, si vous voulez être prêt pour la reprise espérée en 2025, c’est maintenant qu’il faut fidéliser vos meilleurs commerciaux et recruter les profils qu’il vous manque. Pour ces deux objectifs, un pré-requis : assurez-vous de disposer d’une stratégie de vente parfaitement claire et partagée.