«J’ai décidé de vous raconter PayFit » : c’est ainsi que Firmin Zocchetto, cofondateur de la licorne, a commencé son post Linkedin publié mi-mai. Il est vrai que tout se dit et s’entend sur PayFit : les rumeurs disent que la startup serait à vendre, qu’elle serait à court de liquidités, voire prête à mettre la clé sous la porte. Pour démêler le vrai du faux, Firmin Zocchetto a reçu Maddyness, début mai, dans une salle habituellement réservée au conseil d’administration : une pièce entièrement vitrée au fond de l’open space de PayFit. D’ailleurs, tout le deuxième étage de cet immeuble vitré du 8ème arrondissement est très lumineux et en flex office. Le dirigeant lui-même n’a pas de bureau attitré. L’entreprise a emménagé en 2020 et sous-loue le deuxième étage à d’autres startups.
«Je ne comprends pas pourquoi il y a autant de rumeurs sur nous», nous prévient d’entrée Firmin Zocchetto. Sur son dernier post LinkedIn, il insiste : «PayFit serait à vendre. De potentiels acheteurs de Paris et d’ailleurs s’interrogent. Je vais donc aller droit au but et vous épargner un teasing surjoué ; cette rumeur est une fake news.» Si la licorne n’envisage pas de se vendre, un acteur du M&A parisien nous a confié qu’elle aurait toutefois reçu une offre “fantôme” de rachat, en provenance d’une scale-up française spécialisée dans les RH.
Une source proche du dossier affirme que cette offre aurait été de 20 millions d’euros. Le montant est, certes, dérisoire et l’offre n’a pas pu être acceptée par PayFit, mais il traduit une baisse de la valorisation de l’entreprise, associée à une crainte en l’avenir de la scaleup. Qualifiée de licorne en janvier 2022 grâce à une levée de fonds record de 254 millions d’euros, la scaleup était alors valorisée près de deux milliards d’euros.
Côté clients, il y a eu également une baisse de confiance au cours de l’année 2023. Plusieurs auraient décidé de migrer vers d’autres logiciels RH dont Silae. «Le service (de Payfit) s’est tout de même dégradé», nous confirme un cabinet d’expert-comptable proche de l’écosystème. De son côté, Firmin Zocchetto projette son entreprise comme le futur «leader européen de la paie et des RH pour les petites entreprises». PayFit s’est recentré sur cette typologie de clients.
Pas de vente, ni de croissance externe
Pour Firmin Zocchetto, se faire racheter n’est pas une option. «Je me suis toujours mis dans une situation où je ne cherchais absolument pas une discussion, ni une offre. Je suis complètement hermétique à ça», assure-t-il. Il insiste également sur le fait qu’il n’a jamais lancé de processus de rachat d’entreprises. Pourtant, d’après nos informations, sa société aurait été engagée dans plusieurs processus de croissance externe l’année dernière. Certains semblaient avancés avec des offres formulées.
La licorne aurait même jeté son dévolu sur Worklife, l’année dernière. Selon nos sources, un échange d’actions PayFit aurait été proposé pour acter la transaction. Une pratique peu courante et surtout peu convaincante dans les processus de rachats de startups. «Personne ne fait ça !», lance un proche du dossier, encore surpris de la démarche. Worklife a finalement retenu l’option proposée par le Crédit Agricole en septembre 2023.
Si PayFit menait plusieurs projets de rachat de startups du secteur l’année dernière, tout s’est arrêté, de sources concordantes, au printemps 2023. «La croissance externe, cela fait neuf ans que j’y pense», nous répond Firmin Zocchetto avant de poursuivre : «Ça fait neuf ans que j'ai des discussions avec certains entrepreneurs qui créent des boîtes dans les RH, dans la paie, qui sont hyper intéressantes. Mais nous n’avons jamais eu de sujet sérieux d'opérations qui ont été menées à bien ou qui ont capoté.»
Deux vagues de licenciements “difficiles”
Dans le même temps, la scaleup a dû se séparer, par deux fois, d’une grande partie de ses effectifs : d’abord en mars 2023, puis un an après en mars 2024. «Je ne prends pas de décisions faciles. Annoncer à des équipes qui travaillent chez vous que vous allez réorganiser toute une équipe et qu'il faut faire partir des gens contre leur gré, oui, c'est difficile. Mais c'est nécessaire pour la boîte.» Firmin Zocchetto est loin de prendre les choses à la légère, lui qui a démarré PayFit à 22 ans.
Mais pourquoi ne pas avoir mené ces deux vagues de départ d’un seul coup ? «Tout simplement car les raisons sont très différentes», répond le fondateur. «En 2023, on n’a plus besoin d’avoir une croissance à 70% avec énormément de dépenses. Donc on met en place une rupture conventionnelle collective en France et un ERE -Expediente de Regulacion de Empleo, procédure de licenciements collective, ndlr- en Espagne.» Ce sont effectivement les services commerciaux les plus concernés à ce moment-là, le bureau allemand ferme aussi ses portes. PayFit compte alors 1000 collaborateurs. Aujourd’hui, la startup compte entre 800 et 850 salariés.
Mars 2024, PayFit annonce se séparer de 14% de ses effectifs et passe cette fois par un plan social économique (PSE). «On se rend compte que notre service client, en France, n’est plus adapté à notre typologie de clients que sont les entrepreneurs. Nous avons réussi des améliorations sur notre produit pour automatiser et laisser plus d’autonomie à nos clients», justifie le CEO. «Il faut alors qu'on adapte l’entreprise et qu'on restructure nos équipes de service client en France. Comme on parle de plus d'une centaine de postes, mécaniquement, nous menons un plan social. Un an auparavant, personne ne savait que nous allions prendre cette décision.»
Et six mois auparavant ? En septembre 2023, Firmin Zocchetto affirmait à Maddyness que les départs massifs de PayFit étaient derrière eux : «Je suis hyper optimiste pour PayFit, surtout que nous nous dirigeons vers une croissance plus saine.»
Ces deux vagues de départs ont pu déstabiliser les observateurs de l’écosystème ainsi que certains proches de la startup. «Sur les 150 premiers PayFiters qui nous ont rejoints entre 2016 et 2018, 43 travaillent encore chez nous», affirme encore Firmin Zocchetto sur LinkedIn. Pourtant, certaines personnes ont confirmé à la rédaction, que le turnover est important et les promotions internes sont gelées (comme dans beaucoup d’autres scaleups actuellement). Beaucoup d’objectifs commerciaux n’ont pas été atteints. PayFit est maintenant entré dans une nouvelle étape : la course à la rentabilité.
Virage stratégique : calmer l’hypercroissance et être “rentable en 2026”
«Chez PayFit, nous avons dû tout remettre à plat et oublier nos anciennes façons de faire pour entamer cette nouvelle phase de notre histoire», poursuit Firmin Zocchetto dans son post LinkedIn. Un virage qui implique d’importants changements de culture et de ligne de développements. «Nous sommes dans une phase de transformation depuis le début de l’année 2023 où nous nous sommes mis sur le chemin de la rentabilité que l’on atteindra d’ici deux ans. PayFit sera rentable en 2026», affirme le PDG à Maddyness.
Aujourd’hui, la licorne maintient sa croissance annuelle à 20%. En 2023, elle aurait enregistré 62 millions d’euros d’ARR. Deuxième objectif : passer le cap des 100 millions d’euros. «J’ai fait venir des leaders qui ont de l’expérience et du talent, je me suis entouré de gens qui sont avec moi à fond dans la transformation de PayFit, qui croient énormément aussi au potentiel et au projet.» On trouve des anciens de Warner, d’Ingenico mais aussi de Doctolib, de ManoMano, de Criteo, entre autres.
«Deuxième chose, j’ai accueilli deux board members indépendants en septembre dernier : Marie Lalleman -ancienne vice-présidente exécutive de Nielsen, ndlr- et Philippe Vimard -ancien CTO puis COO de Doctolib.» Firmin Zocchetto travaille également avec trois «mentors» qu’il rencontre personnellement régulièrement : Philippe Vimard, Paul Hermelin, ancien directeur général de Capgemini et Marc Benoit, ancien directeur général des ressources humaines chez Danone.
Firmin Zocchetto insiste sur l’importance de se former et de grandir avec son entreprise. Quand on lui pose la question de ses erreurs, il en reconnaît une très facilement : la manière dont s’est faite l’internalisation de PayFit.
Une internationalisation “démesurée”
Octobre 2018, PayFit se lance en Allemagne, Mai 2020, ouverture de l’Italie. Deux pays aujourd’hui fermés. Sur ce sujet, la startup est allée vite et fort, peut-être trop. «On aurait pu plus prendre notre temps et être plus concentré sur moins de pays pour mieux faire les choses. Plutôt qu'essayer d'ouvrir et de développer cinq pays en parallèle, dans un marché aussi technique, aussi localisé que celui de la paie pour les petites entreprises», confie le cofondateur de PayFit. «C’était une ambition démesurée.»
Aujourd’hui, PayFit est en France, au Royaume-Uni et en Espagne. L’entreprise compte environ 2000 clients hors de France et cela reste, paradoxalement, une des fiertés de Firmin Zocchetto. Ce pan de l’aventure PayFit reflète l’histoire de l’entreprise : une hypercroissance nourrie à coup de dépenses qu’aujourd’hui l’entreprise doit calmer. «On transforme l’entreprise pour être ambitieux, pas pour sauver les meubles !», nous dit Firmin Zocchetto.
«Nous ne sommes qu’au début de PayFit et c’est ok. Nous avons une trajectoire exceptionnelle devant nous. On n'a pas besoin de travailler avec un grand groupe.» Dans 10 ans, Firmin Zocchetto imagine PayFit comme un champion européen de la paie et des RH. Pour arriver à ce but, il est impératif pour la scaleup de réussir sa phase de rationalisation. «Si on fait cette transformation, c'est justement pour avoir les moyens de réaccélérer de manière plus saine.»
Si un rachat est exclu pour PayFit, comment Firmin Zocchetto voit-il l’avenir ? «Se financer sur les marchés privés ou via une IPO, ce sont des options que j'envisage à long terme pour continuer de faire grandir la boîte. Pas du tout de se faire racheter par un grand groupe.»
PayFit est donc entrée dans une nouvelle phase de son histoire, comme beaucoup de scaleups aujourd’hui. Les investisseurs, comme on le sait, prennent moins de risques et sont de plus en plus exigeants. Firmin Zocchetto ne s’inquiète pas de ce côté là : «Nos investisseurs nous font confiance pour les prochaines années.» Face à la conjoncture économique actuelle, nombre de dirigeants font le choix de raisonner leur modèle : une croissance plus faible pour se concentrer sur la rentabilité.