Moins de trois ans après son entrée à la Bourse de Paris, Believe a fait part en début d’année de son envie d’en sortir. Face à un contexte économique qui s’est considérablement dégradé à partir de 2022, les conditions n’étaient plus forcément réunies pour que l’entreprise française spécialisée dans le développement d’artistes et de labels indépendants puisse espérer un avenir radieux sur les marchés boursiers. Un coup dur pour la French Tech, qui rêve désormais de propulser ses champions vers le CAC 40.
Néanmoins, la perspective de voir cette ancienne licorne tricolore quitter la Bourse de Paris n’a pas fait que des malheureux. Et pour cause, la revente des parts de Ventech, fonds d’investissement qui était présent au sein du géant français de la musique depuis 2008, aussi bien au capital qu’au board, a été particulièrement prolifique. Ainsi, ses 12 % de parts dans Believe ont été valorisés 175 millions d’euros, soit 36 fois la mise initiale pour le fonds initiateur en série A.
Pour Maddyness, Jean Bourcereau, Managing Partner de Ventech, revient sur cette aventure unique qui a lié le fonds d'investissement à Believe durant 16 ans.
MADDYNESS – Ventech est entré au capital de Believe en 2008, pouvez-vous revenir sur les grandes étapes de cet investissement, qui se concrétise finalement pour vous 15 ans plus tard ?
JEAN BOURCEREAU – Dans les années 2000, j’étais au board de Musiwave, la société de Gilles Babinet, un pionnier de la musique sur mobile (revendu à l’Américain Openwave pour 100 millions d’euros, puis à Microsoft, ndlr). C’est lui qui nous a présenté Denis Ladegaillerie, le fondateur de Believe. Au bout de 5 minutes de conversation, il nous a convaincus, alors que nous étions plutôt échaudés par le monde de la musique de l’époque. Sa vision était déjà très claire et bien articulée - elle n’a d’ailleurs pas changé en 15 ans - et la décision d’investissement a été très simple à prendre.
Nous avons donc leadé la série A en 2008 avec nos amis d’XAnge, puis nous avons suivi la société, en étant toujours présent au board. Nous avons fait entrer TCV (fonds américain qui participe au consortium qui vient de racheter Believe, ndlr) au capital à une époque où il y avait peu d’investisseurs growth sur le marché : il a fallu attendre d’être rentable pour accéder à cette étape. Nous avons aussi été assez moteurs lors de l’introduction en Bourse en 2021. Trois ans après son IPO, Believe quitte la Bourse,ou presque, puisque les investisseurs minoritaires qui ne souhaitent pas participer à l’opération pourront conserver leurs actions, à un prix inférieur à celui de l’introduction.
Effectivement, la vie de société cotée ne s’est pas passée comme prévu, pour pas mal de raisons… Believe a été introduite en fin de fenêtre boursière et a pris de plein fouet la remontée brutale des taux d'intérêt. Nous avons donc été proactifs pour quitter la Bourse. Mais il ne faut pas surinterpréter cette sortie de la cote. Nous sommes maintenant dans un nouveau cycle de reprise et on va revoir des IPO sur la place de Paris.
En 2021, on avait bien conscience d’être des pionniers. Avec une levée de 300 millions d’euros, avant celle d’OVHcloud quelques mois plus tard, Believe était l’un des premiers à faire une telle opération à Paris depuis un moment. Alors oui, le plan initial n’était pas de quitter la Bourse trois ans plus tard. Mais l’écosystème européen est encore jeune, avec certaines fragilités. La hausse des taux a tout fait basculer : elle a été absolument massive et extrêmement rapide. Certes, le prix de l’IPO était à 19,5 euros et nous sortons aujourd’hui à 15 euros par action… mais entre les deux, les taux sont passés de 0 % à 5 %.
Malgré ce prix de vente inférieur à celui de l’IPO, vous avez réalisé un multiple de 36 en quinze ans. Il est plutôt rare pour un investisseur de communiquer sur les performances individuelles de ses investissements : pourquoi le faire aujourd’hui ?
36, c'est un joli chiffre ! Plus sérieusement, un multiple de 36 est très bien pour nos investisseurs, mais le chiffre le plus important, c'est celui de la valorisation de la société : près de 1,5 milliard. C'est ça le plus impactant pour l'écosystème. Depuis 4-5 ans, il y a un focus important sur les licornes, mais il est loin d’être facile de concrétiser ces milliards à la fin. Là, on a quelqu'un qui met ces 1,5 milliard sur la table pour racheter l'ensemble de la société, en cash. Il s’agit de la plus importante sortie de VC en France depuis 10 ans, depuis Criteo.
Pour nous, cette sortie de la Bourse est positive, et pour la société également : Believe va retrouver plus de moyens et plus de liberté dans un marché où beaucoup de choses peuvent se faire en build-up. Aujourd’hui, Believe est la 4e major mondiale de musique, derrière Warner, et son but est de monter sur le podium.
Surtout, c’est un moment clé pour tout le marché : on se rend compte qu’il est possible d’avoir des entreprises qui valent plus d’un milliard d’euros sonnants et trébuchants. Mais on comprend aussi que pour arriver à ce montant, il faut aligner pas mal d’étoiles…
Les fonds de capital-risque ont généralement des horizons d’investissements à 6 ou 8 ans… Avec Believe, la ligne a été débouclée en 15 ans : comment vos investisseurs ont-ils réagi ?
Nous avons eu un dialogue totalement ouvert et permanent avec nos LPs. Le plan initial était de vendre les parts dans l’année suivant l’IPO. Mais quand nous avons constaté que la valeur de cotation n’était pas à la hauteur, nous avons expliqué à nos investisseurs que vendre le titre à 8, 9 ou 10 euros revenait à le brader. D’autant plus que Believe était profitable, en croissance, avec peu de facteurs de risques.
La boîte a battu ses prévisions tous les trimestres depuis son introduction… mais il n’y avait pas assez de volumes échangés, ce qui crée un cercle vicieux : sans volume, les grands institutionnels ne rentrent pas, faute de liquidité. Le consensus des analystes était à 15 euros depuis longtemps, mais le titre stagnait autour de 8 euros. Nos investisseurs ont été patients et ils ont bien fait.
Il faut bien avoir conscience que lorsque l’entreprise a commencé sa croissance, il n’y avait quasiment pas de fonds de growth. Ce que Believe a fait en 13 ans, on pourrait le faire dans l’écosystème actuel en 6 ou 7 ans. Aujourd’hui, le marché est différent, l’appétence au risque a évolué, les capitaux sont plus nombreux.
Justement, au sein du portefeuille de Ventech, quels sont les prochains «Believe» ?
Les plus proches de la liquidité en termes de taille sont Vestiaire Collective, que nous accompagnons depuis l’amorçage en tant que premier investisseur VC, The Customization Group (anciennement connue comme Picanova), Veo Technology, Prewave et Ogury. De manière générale, notre ambition est d’amener nos sociétés de zéro à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus : nous en comptons une douzaine depuis la création de Ventech.
Notre modèle est de prendre peu de participations, mais d’entrer au board de chacune et d’y rester le plus longtemps possible. C’est la seule manière de conserver une forme de contrôle sur la validité de nos investissements et garantir le respect des intérêts de nos investisseurs.
Cela est d’autant plus vrai dans un marché plus compliqué, comme c’est le cas actuellement. Nous sommes plusieurs dans l’équipe à avoir vécu la crise de 2008, et même celle de 2001… Dans de telles situations, il faut être actif et présent auprès des entrepreneurs, ce qui suppose d’avoir des partners expérimentés et de ne pas faire trop de deals.