Le 27 mars dernier, une publication du BOFIP est venue apporter des précisions relatives au prix d’acquisition des titres souscrits en exercice de BSPCE (bons de souscription de parts de créateur d'entreprise). Avant cela, l’article 163 bis G du Code des impôts, qui définit les règles applicables aux BSPCE, prévoyait déjà le principe de l’application d’une décote sur le prix d’exercice des BSPCE par rapport à la valeur des dernières actions émises par la société émettrice, mais ne précisait pas les modalités de son calcul. Les cabinets d’avocats avaient donc tendance à rester prudents et la pratique de marché consistait majoritairement à ne pas appliquer de décote ou tout au plus une décote forfaitaire de 20%.
Un forfait qui limitait fortement l’attractivité des BSPCE. « La crise de 2022 a rebattu les cartes. Certaines boites tech ont perdu jusqu’à 50% de leur valeur. Si les BSPCE ne décotaient que de 20%, comme le voulait la pratique de marché, ils ne valaient donc plus rien », explique Illan Glaubert, CEO et fondateur de Sovalue, une entreprise d’évaluation financière spécialisée dans la tech. « Les États-Unis ont un schéma proche des BSPCE, et avant 2004, ils appliquaient une approche similaire avec une décote de 20%. Cela a créé des scandales financiers, et en 2004, un rapport a obligé les entreprises à faire calculer les vraies valorisations par des acteurs indépendants. Avec quelques années d’écart, la France suit le même chemin », raconte-t-il.
Quelles sont les implications de cette clarification sur la décote ?
« Aux États-Unis, on voit depuis plus de 15 ans des validations de décotes très importantes, généralement supérieures à 50% et pouvant atteindre dans certains cas jusqu’à 90% », indique Damien Basson, avocat fiscaliste, associé du cabinet INLO particulièrement impliqué sur les sujets autour des BSPCE. Grâce à la dernière publication du BOFIP, de plus en plus de BSPCE pourraient bénéficier de décotes du même ordre.
En 2023, à l’occasion des dix ans de la French Tech, Jean-Noël Barrot, alors ministre délégué au numérique, avait déjà annoncé la mise en place d’une décote d’illiquidité, permettant aux entreprises d’offrir des BSPCE à un prix très inférieur à la valeur de l'action. Les précisions amenées par le BOFIP viennent rassurer sur la possibilité d’une double décote : celle évoquée par le ministre et une décote liée à la liquidation préférentielle. « Si on cumule ces deux calculs, on peut obtenir des décotes en moyenne autour de 60%, bien plus intéressantes donc que les décotes forfaitaires de 20% », commente Illan Glaubert.
Avec d’autres acteurs, Sovalue s’est battu pour que l’administration clarifie ce point, et que les BSPCE puissent être valorisées, à ce qu’on appelle leur “juste valeur”, selon des “méthodes financières objectives”. « L’administration fiscale approuve des décotes importantes mais va exiger un rapport d’expert pour les justifier. C’est dans ce rapport que sont utilisées les méthodes financières objectives, autrement dit une méthode mathématique qui fait du pricing d’options », indique Illan Glaubert.
« C’est une mini révolution dans l’écosystème. Ce n’est cependant pas une réforme, mais une application rétroactive, on valide une pratique passée qui restait jusque-là minoritaire, car le flou juridique rendait les cabinets d’avocats frileux », commente Illan Glaubert« Avant cela, le texte de loi manquait de clarté. Il n’interdisait pas de calculer des décotes, mais si cette dernière était trop importante par rapport au prix des dernières actions émises par l’entreprise, alors l’administration pouvait considérer que les BSPCE devenaient un avantage salarial », explique Damien Basson.
D’un point de vue fiscal, cela entraînait donc des problèmes à deux niveaux. Premièrement, si les BSPCE étaient requalifiés en salaire, alors ils ne bénéficient plus du régime fiscal unique et donc de la flat tax. Deuxièmement, la requalification en salaire impliquait aussi un risque de devoir payer des cotisations sociales à l’URSSAF. Des conséquences qui nuisaient fortement à l’attractivité des BSPCE.
Que faire des anciens plans avec un prix d’exercice élevé sans décote ?
« Beaucoup de clients nous sollicitent avec la même question : dois-je modifier le prix d’exercice de mes anciens plans de BSPCE et si oui comment puis-je le faire ? », partage Damien Basson. Comme la correction a posteriori du prix d’exercice soulève dans certains cas des questions fiscales et sociales, l’avocat comme l’expert financier préconisent d’annuler les anciens plans et d’en proposer de nouveaux à la valorisation actuelle tenant compte des décotes si celle-ci est plus faible que le prix d’exercice initial.
Mais une fois cette méthode actée, peut se poser la question du vesting, qui correspond à la période pendant laquelle l'employé doit rester dans l'entreprise avant de pouvoir exercer ses droits sur les actions ou options qui lui ont été attribuées. « Vaut-il mieux garder des vieux plans de BSPCE déjà en partie vestés avec un prix d’exercice élevé, ou refaire des plans avec des prix d’exercice plus bas, mais sans prendre en compte la période de vesting passée ? Ou, est-il possible que les nouveaux BSPCE réattribués tiennent compte du vesting déjà réalisé ? En ce moment, avec nos clients, nous traitons davantage de questions managériales que juridiques ou fiscales, car rien n’interdit la rétroactivité du vesting », partage Damien Basson, qui rappelle que les BSPCE sont un outil utilisé pour motiver les employés à rester dans l'entreprise sur le long terme et à contribuer activement à sa croissance et à son succès.
« Il y a une urgence sur la transition, plus on tarde à revoir ses plans de BSPCE, plus on risque de faire face à des situations compliquées avec des valeurs d’actions décotées qui augmentent », conclut Illan Glaubert.