« Toute la journée, on va parler d’innovation, mais pour décarboner… il ne suffira pas d’innover ! », a rappelé jeudi 28 mars Ingrid Labuzan, journaliste chez Maddyness, qui recevait dans l’auditorium du Palais Brongniart trois personnalités qui ont choisi de rendre l’existant plus sobre.
Les questions ne manquent pas : comment faire de vraies économies d’énergie dans le parc immobilier (logements et bâtiments publics) ? Comment organiser nos filières industrielles pour inciter à la réparation plutôt qu’au ré-achat ? Dans quelle mesure la maintenance préventive peut-elle réduire les gaspillages ? Etc.
A ces interrogations, Jean Bertrand-Hardy, VP in charge of Strategy, Business Development and Innovation B2C chez Engie, Jade Francine, cofondatrice de WeMaintain et Fanny Picard, présidente d’Alter Equity, ont apporté des réponses fondées sur des cas d’usage réels.
Pour une politique « des petits pas »
Jade Francine, par exemple, s’est lancée en 2018 dans la maintenance d’équipements dans les immeubles - les ascenseurs, notamment. « Quand on a créé WeMaintain, personne ne parlait de maintenance. L’argent est souvent fléché vers tout ce qui est nouveau, je crois que c’est une fuite en avant. Je préfère m’intéresser à ce qu’on a… et chercher à l’améliorer », a-t-elle affirmé sur la scène de la Maddy Keynote.
La prise de conscience récente des enjeux environnementaux joue en sa faveur. « Tout un mouvement est né, autour de la sociologie de la maintenance et c’est formidable, poursuit Jade Francine. Les métiers de techniciens, déconsidérés, devraient reprendre des couleurs. Comme on devrait valoriser les infirmières qui permettent, tout autant que le chirurgien, qu’un patient aille bien. Elles s’inscrivent dans le quotidien, dans le temps long, pas dans le geste exceptionnel. »
Rappelant que l’immobilier est responsable de « 27% des émissions de gaz à effet de serre », Jade Francine a exposé les freins au changement, et notamment la difficulté d’aligner les copropriétés, les occupants, les artisans…. Mais elle a noté aussi que ses clients français avaient peut-être trop tendance à attendre une solution complète, rapide, « tombée du ciel », plutôt que d’accepter la justesse d’une politique « des petits pas ».
Un mot-clef : le pilotage
« Nous avons internationalisé notre offre récemment en Angleterre, à Singapour et à Hong Kong et nous réalisons déjà 70% de nos revenus à l’international. Cela dit quelque chose des différences de culture. En Angleterre, nos clients qui sont souvent des banquiers et assureurs, sont d’accord pour s’attaquer “seulement” à 5 à 6% de la consommation énergétique de leurs bâtiments, via les ascenseurs ».
Jade Francine mise beaucoup sur la formation des techniciens, amenés à manipuler des objets connectés : les capteurs qui permettent de réaliser de la maintenance préventive.
Jean Bertrand-Hardy chez Engie la rejoint pleinement sur ce point. Il affirme que « le maître-mot pour demain, c’est le pilotage. Tous nos projets s’y rattachent. » Le groupe a par exemple lancé en Belgique « Drive », une offre pour les propriétaires de véhicule électrique, qui permet de recharger sa voiture au meilleur prix, en fonction de la charge et de l’heure d’utilisation souhaitée. « En Australie, où les maisons sont largement équipées de toitures solaires, poursuit Jean Bertrand-Hardy, nous développons des solutions de stockage - et donc de pilotage - via des batteries résidentielles de la taille d’un petit frigidaire, qui peuvent répondre à la variabilité de la production des énergies renouvelables. »
« En France, ajoute-t-il, deux de nos offres ont été baptisées “Mon Pilotage Elec” et “Mon Pilotage Gaz”. Notre mot d’ordre, c’est d’aider les foyers à consommer moins et mieux. La rénovation thermique des logements des particuliers est un chantier colossal mais essentiel, et j’estime qu’il est encore balbutiant : des millions d’euros sont investis chaque année certes, mais pas toujours de manière efficace. Nous accompagnons donc les particuliers dans leur plan de travaux, la définition du budget, la sélection des artisans et la projection des économies attendues… Nous avons mis au point deux parcours pour les particuliers : l’un est digital, l’autre téléphonique. La tech est omniprésente et absolument nécessaire. Nous la mettons au service de l’augmentation du pouvoir du consommateur. »
Cinq défis pour faire bouger les lignes
Fanny Picard, présidente d’Alter Equity, donne quelques exemples d’entreprises dans lesquelles elle a investi récemment et qui, toutes, vont dans le sens de la maintenance et de la réparabilité.
« Ce besoin de consommer moins et mieux est récent, les filières ne sont pas encore structurées, mais de beaux projets émergent. C’est le cas de Murfy, qui envoie un technicien chez vous pour réparer les appareils électroménagers dont la garantie a expiré. Murfy s’engage sur un tarif fixe : soit l’appareil peut être réparé, soit la somme vient en déduction d’un achat de produit reconditionné - c’est la deuxième activité de l’entreprise. Ils ont formé 300 techniciens en trois ans et réparé près de 200 000 appareils. »
Fanny Picard estime que ces nouvelles activités répondent à cinq défis : faire changer les habitudes de consommation, former les techniciens à réparer, mais aussi à reconditionner (c’est un autre métier), gagner en productivité pour pouvoir proposer des tarifs abordables et enfin trouver des financements, la mise en place de tels projets coûtant plutôt cher.
« Cela commence à venir », conclut Fanny Picard, qui cite Décathlon, Leroy-Merlin, Michelin et Stellantis, avec de nouvelles gammes de produits ou services fondées sur l’usage, plutôt que sur la propriété.
Côté RH, elle évoque aussi Efficia en BtoB : faute de pouvoir recruter suffisamment de techniciens qualifiés, l’entreprise a formé un pool de spécialistes à Paris et ces derniers transfèrent leurs compétences aux équipes régionales, en opérant en binôme à distance.