61 % des projets de recrutement étaient encore jugés difficiles par les employeurs en 2023 contre 58 % en 2022. Au cœur d’un marché du travail complexe, recruter relève parfois d’un défi. L’écueil, selon Léo Bernard, cofondateur de Blendy et formateur en recrutement ? Le mauvais positionnement du recrutement qui est encore souvent porté, à 100 %, par les RH. « En réalité, c’est le manager qui est responsable et détient le dernier mot : il ou elle doit donc devenir un acteur à part entière et se former au recrutement. » Et le recruteur dans tout ça ? Ses prérogatives s’apparentent de plus en plus à celles d’un coach ou d’un mentor, tout en assurant le bon déroulement du processus.
Pourquoi faire basculer une partie des tâches et des missions RH du côté du management ? Les managers jouent un rôle pivot face au nouveau paradigme de l’emploi : « Aujourd’hui, les candidats ont besoin d’être séduits, et non (seulement) d’être évalués. Et les managers ont la responsabilité de leur faire vivre une expérience exceptionnelle », poursuit Léo Bernard. Dans cette optique, Marion Ruciak, head of talent acquisition chez Bouygues Telecom, a lancé une formation auprès des 1.200 managers pour leur apprendre à recruter : « Le premier objectif était d’uniformiser notre politique de recrutement quels que soient les métiers et les segments car nous menons plus de 2.000 embauches par an partout en France. Ensuite, il s’agissait de nous adapter aux attentes des candidats en proposant une expérience positive tout en assurant l'efficacité des recrutements : dans cette équation, le rôle du manager nous semble stratégique. »
Former son management au recrutement : mode d’emploi
Bouygues Telecom a opté pour une approche en blended learning qui est obligatoire : « Pour répondre à notre enjeu de volume, nous avons créé quatre capsules de e-learning qui durent une heure vingt. Les thèmes abordés ? Notre politique de recrutement et ses objectifs, le cadre légal, les techniques d'évaluation et l'objectivation des évaluations. » Une fois ce socle acquis, des formations pratiques et de partage en présentiel sont mises en place, avec douze managers maximum. Selon Léo Bernard, ces moments en physique sont structurants pour la montée en compétence : « Le partage entre pairs, les mises en situations, les retours d’expérience… Les managers veulent apprendre les uns des autres pour se confronter aux problématiques réelles. »
Certains sujets doivent être abordés avec attention pour sécuriser les appréhensions : L’entretien, en particulier, fait peur car les personnes ne savent pas (et c’est normal) évaluer les soft skills, les hard skills… « Au sein de Blendy, nous formons les managers et dirigeants à structurer leurs entretiens autour d’une méthodologie : définition des objectifs lors d’un kick off et d’une scorecard avec les compétences visées, comment les évaluer ou encore comment closer, négocier… » Au sein de Bouygues Telecom, 60 RH ou recruteurs accompagnent les managers dans l’établissement des grilles d’évaluation objectives. « Leur rôle est aussi de les coacher et de les suivre en “shadowing” lors de leurs premiers entretiens », souligne Marion Ruciak.
Une montée en compétence optimale et pérenne : 4 points clés
Pour réussir le pari du recrutement décentralisé, certains points ou freins doivent être abordés, sans ambages. D’abord, celui des biais cognitifs : selon Léo Bernard, il faut être prêt à « désapprendre pour mieux réapprendre »… ce qui peut prendre du temps. « Certaines personnes sont conscientes de leurs préjugés, ce qui peut raccourcir l'accompagnement. Pour d’autres, c’est différent », ajoute-t-il. Un autre axe à travailler est celui de la culture d’entreprise : il arrive que des organisations entretiennent le mythe du diplôme comme référence absolue ou nourrissent des visions archaïques sur le recrutement (les candidats doivent se “battre pour nous rejoindre”, “on n’est pas là pour séduire”...).
Marion Ruciak souligne l’importance de s’appuyer sur l’IA pour faciliter toute la partie rédactionnelle, notamment la création de l’offre et des grilles d'évaluation. Des modèles ou des prompts sur-mesure peuvent être créés en amont et remis aux managers pour faciliter leur travail, avec la supervision des RH pour assurer les aspects légaux et la cohérence employeur. Puis, pour assurer la pérennité du modèle, Léo Bernard propose des mesures volontaristes pour encourager une prise en main du recrutement par les managers : « Aujourd’hui, certains ATS (système de suivi candidat) permettent de mesure l'expérience ressentie lors du recrutement via le NPS (Net Promoter Score) : et si le bonus des managers dépendait, en partie, de ces indicateurs ? »
Recrutement décentralisé : ça marche ?
Au sein de Bouygues Telecom, 700 personnes ont déjà suivi leurs modules d'e-learning depuis juillet 2023. De plus, 300 personnes ont participé à des sessions en présentiel depuis octobre 2023. Les résultats opérationnels sont déjà palpables : la satisfaction des candidats s’est améliorée. Le changement le plus notable se reflète particulièrement dans les retours verbaux : « Notre accompagnement lors d’un recrutement, même en cas de réponse négative, est très bien accueilli. C’est une première reconnaissance importante, qu'il convient de poursuivre et de développer », explique Marion Ruciak. Les managers expriment également leur satisfaction à l'égard de la formation qui est très bien notée en interne. L’autre indicateur suivi par l'entreprise est le turnover, particulièrement la fin de la période d’essai à l'initiative des salariés. Une diminution significative a été observée dans certaines catégories, mettant en exergue des recrutements mieux incarnés par les managers.
Le modèle est-il duplicable ? Cette répartition des rôles, est-elle l’avenir du recrutement ? Selon Marion Ruciak, le métier de recruteur est voué à évoluer dans le but de créer plus de proximité relationnelle avec les candidats et les managers : « Cette posture de coaching et d’accompagnement est une attente forte de la part des différentes parties prenantes du processus de recrutement. »