Les choses avancent... lentement. En effet, les femmes restent minoritaires dans la tech, au sein des startups, direction comme équipe, comme dans les fonds d'investissement. À ce jour, il n'y a qu'une seule femme dirigeante dans le dernier Next 40 et une femme sur deux quitte la tech après 35 ans. Deux chiffres édifiants qui montrent le chemin à parcourir pour se rapprocher de la parité.

En marge de la Journée internationale des droits des femmes, Maddyness partage le témoignage de 5 figures féminines de notre écosystème.

Roxanne Varza, directrice de Station F

Depuis 2015, avant même l’ouverture de Station F, Roxanne Varza est à la tête du méga-incubateur parisien de startups. Un rôle qui lui confère un statut de personnage de premier plan dans l’écosystème tech. Pour autant, il lui est arrivé de se retrouver dans des situations cocasses malgré son statut. «Au début de Station F, certains pensaient que j’étais la stagiaire. Mais honnêtement, j’aimais l’idée qu’ils pensent ça de moi pour mieux leur montrer que ce n’était pas la réalité», raconte Roxanne Varza à Maddyness.

Mais plutôt que de concentrer son attention sur ces moments un peu gênants, la directrice de Station F préfère retenir la trajectoire prise par la tech ces dernières années par rapport à la problématique de la parité. «Il y a eu beaucoup d’améliorations dans la tech, même s’il reste beaucoup à faire bien sûr. Mais au moins, c’est un secteur qui est conscient de ses problèmes. Dans d’autres milieux, ce n’est pas le cas. Et si les choses évoluent, c’est notamment grâce à des figures comme Xavier Niel, qui donnent énormément de pouvoir aux femmes avec qui il travaille», relève Roxanne Varza. Pas plus tard qu’en novembre dernier, le patron de Free avait notamment laissé le soin à Aude Durant, la directrice générale adjointe d’Iliad, d’animer la conférence ai-PULSE à Station F durant laquelle le laboratoire d’IA, Kyutai, avait été dévoilé.

A son échelle, Roxanne Varza œuvre également pour faire de Station F une référence en matière de mixité et de diversité. «Comme ce sont des sujets très importants pour nous, nous avons mis en place des clauses de mixité dans les contrats avec les partenaires de Station F. C’est aussi valable pour les panels», indique-t-elle. Avant d’ajouter : «J’étais contre les quotas avant. Maintenant, j’y suis plutôt favorable. S’il n’y a pas de quotas pour les fonds par exemple, ça ne changera pas. Plus globalement, si on ne chiffre pas les choses, rien n’avancera.» A noter également que Station F met chaque année en avant des fondatrices de startups dans le cadre de son programme Female Founders Fellowship, qui vise à accompagner des femmes entrepreneuses à haut potentiel au sein du campus XXL de startups. Pour la promotion 2024, ce sont 13 entrepreneuses qui ont été retenues.

Fariha Shah, fondatrice de Golden Bees, Cominty et Shah Invest

Depuis son aventure avec Golden Bees, plateforme de recrutement qui a tapé dans l’œil de Figaro Classifields en 2019, Fariha Shah n’a cessé de multiplier les casquettes dans l’écosystème tech. Entrepreneuse, investisseuse, consutante… Elle ne compte pas son temps et son énergie pour se mettre au service de la tech française. Pourtant, ça ne suffit pas aux yeux de certains acteurs masculins de l’écosystème… «Un jour, j’étais dans un événement où j’étais dans le jury pour prix remis à des entrepreneuses. Un homme qui faisait partie du jury est venu me voir en disant : "Et toi, t’es là pour représenter la diversité ?" Sur le coup, ça m’a choqué. Me ramener tout le temps à ça me dérange. J’ai réussi à lever des fonds, à avoir une traction, à faire un exit, à remonter une boîte…», raconte Fariha Shah à Maddyness.

Cependant, il en faut plus pour ébranler l’entrepreneuse. «J’ai créé une carapace pour ne plus voir cela», assure-t-elle. A ses yeux, il faut traiter le problème à la racine pour traiter le fléau du sexisme, autrement dit avec le milieu éducatif dès la jeunesse. «C’est important de comprendre la source du problème. Dès le départ, il n’y a pas de projection sur le fait de travailler dans la tech. Il y a barrières mentales, avec des clichés comme le fait qu’une femme ne peut pas être une scientifique. Certaines barrières tombent, mais il faut faire plus. Il faut sensibiliser sur le fait que ces métiers sont très accessibles et qu’il n’y a pas de barrière de genre», estime la fondatrice de Cominty.

Mais pour elle, il existe déjà un mécanisme simple et facile à mettre en place pour favoriser la diversité et la parité dans le monde des startups. «Quand on a au board des personnes qui représentent ce que devrait être ta société, il n’y a pas de problème. Il faut des personnes alignées sur la croyance de la dirigeante», indique Fariha Shah. Avant de citer son propre exemple. «Avec Golden Bees, je me suis rendu compte que je pouvais avoir un impact avec ma société et avec mes codes. C’est une entreprise à l’image de mes valeurs, avec de la tolérance et de la diversité.» Pour changer la donne, l’entrepreneuse estime tout simplement qu’il donner davantage confiance aux femmes. «Est-ce qu’on est prêt à avoir une femme qui parle d’argent et de performance, et qui clame haut et fort qu’elle veut cartonner et faire de sa société une licorne ? Je ne suis pas sûr», conclut-elle.

Pauline Roux, Managing Partner d’Elaia

Dans le paysage des fonds d’investissement, Elaia détonne. Et pour cause, la direction de cet acteur bien connu du capital-risque français est paritaire depuis un mois. En effet, Pauline Roux est devenue Managing Partner d’Elaia en février, dix ans après avoir rejoint le fonds. A ce poste, elle a rejoint Xavier Lazarus, Marc Rougier et Anne-Sophie Carrese. «Managing Partner, ce n’est pas tant le titre qui est intéressant. Entre guillemets, tu prends le volant du bus. Pour moi, ce n’est pas un accomplissement. C’est la route qui est devant qu’il faut regarder», estime-t-elle auprès de Maddyness.

S’il faut parfois recourir à des mécanismes de discrimination positive pour se rapprocher de la parité dans le monde professionnel, Elaia n’a pas eu besoin de forcer le destin pour y parvenir. «Nous n’avons jamais rien mis en place de spécifique. Nous sommes devenus paritaires sans s’en rendre compte. Au démarrage, il y avait des femmes, qui ont grandi en séniorité, et un vrai cercle vertueux s’est enclenché. Et puis ce n’est pas qu’une question de genre, il y a aussi un enjeu plus large de diversité. Nous avons dix nationalités représentées dans le fonds», indique Pauline Roux.

Néanmoins, elle est consciente du chemin qu’il reste à parcours pour l’ensemble de l’écosystème, tout en apportant de la nuance dans la manière d’appréhender le problème du sexisme dans la tech. «On met beaucoup en lumière le sujet, à raison, mais pas toujours de la meilleure des façons. A un moment donné, on a envie que le biais de genre s’en aille. Il y a un truc récurrent qui illustre cela, ce sont les panels. Il n’est pas rare de présenter la seule femme présente en premier. Je dis souvent en rigolant que j’étais attendue !», confie l’investisseuse. Avant de davantage parler de son expérience personnelle : «Je n’ai pas vraiment été exposée au sexisme car je n’inspire pas cela. Il y a une question de posture qui laisse la porte ouverte à ce style d’attitude. Moi, je ne laisse pas la porte ouverte. A un moment, on s’est retrouvés avec deux Partners enceintes et ça n’a posé aucun problème dans l’entreprise. Certes, ça demande un peu d’organisation, mais nous avons fait des deals avec des ventres ronds sans souci.» Un exemple concret qui permet de déconstruire encore un peu plus les idées préconçues dans certains esprits masculins sur les femmes et le monde professionnel.

Kelly Massol, CEO de Les Secrets de Loly

Kelly Massol a découvert le monde de l’investissement en septembre 2022, après avoir elle-même levé des fonds pour son entreprise de soins capillaires Les secrets de Loly, autofinancée jusqu’à l’été 2022. Après 15 ans d’existence, l’entreprise emploie aujourd’hui 42 salariés et fait plus de 25 millions de chiffre d’affaires. Cette crédibilité d’entrepreneure et d’investisseuse éloigne aujourd’hui les remarques sexistes mais elle fait ce constat : «À partir du moment où j’ai embauché un directeur commercial, j’ai eu de plus en plus de contrats.»

Dans son entreprise : «90 % de femmes issues de la diversité.» Kelly Massol le dit, elle n’a pas d'intérêt à recruter des hommes. Pour encourager la parité, elle l’imposerait «non pas dans les équipes mais dans les boards». Aujourd’hui dans ses investissements, la cheffe d’entreprise ne veut pas «tomber dans le biais d’investir dans entreprises montées par des femmes» : «J’investis parce que ce sont des chiffres, parce que le porteur de projet a les épaules.»

«J’ai eu de la chance mais il n’y pas que ça : beaucoup de travail et surtout beaucoup de patience», rappelle Kelly Massol. Sa marque, Les secrets de Loly, fête ses 15 ans cette année. Avec son arrivée dans l’émission «Qui veut être mon associé ?», côté investisseurs, pour cette quatrième saison, Kelly Massol devient malgré elle un rôle model : «On me le dit de plus en plus mais ce n’était pas le but. J’ai accepté de me mettre en avant parce que si personne ne le fait, les choses n’avancent pas !»

Marie Even, directrice générale adjointe de Cdiscount

Marie Even évolue dans différentes sphères de la tech depuis le tout début des années 2000. Passée par plusieurs startups et par le cabinet Deloitte, elle a réussi à tracer sa voie jusqu’au poste de directrice générale adjointe de Cdiscount. Marie Even a vu les consciences s’éveiller sur la question des inégalités hommes-femmes : «Quand j’ai commencé, on ne parlait pas des sujets d’inégalités femmes-hommes. Les choses étaient ce qu’elles étaient et personne ne les remettaient en cause.»

«J’ai intériorisé de manière tout à fait inconsciente des codes plutôt masculins : beaucoup d’assertivité, beaucoup d’assurance. Jamais d’arrogance.» Alors qu’elle est jeune recrue chez Deloitte, une consoeur lui avise de ne jamais servir le café en réunion. Un conseil qui en dit long. «Au fur et à mesure de mon évolution, je me suis aperçue que l’oxygène était rare pour les femmes. J’étais souvent toute seule. C’est encore plus vrai dans les métiers de la tech.» Pour faire évoluer la place des femmes dans la tech, Marie Even mettrait en place des quotas. «La parité passe par la mise en place de processus.» L’index égalité femmes-hommes de Cdiscount est de 93/100 pour 2023. «C’est une méthode, ça met le pied à l’étrier des entreprises», commente la directrice générale adjointe. 

Aujourd’hui, l’environnement tech est toujours principalement masculin, c’est même cela qui encouragerait les femmes à le quitter. «La mixité c’est la normalité. Elles partent parce qu’elles s’ennuient», explique Marie Even qui s’est elle-même lassée des sphères professionnelles où elle était souvent la seule femme. Un autre élément freine souvent les carrières des femmes : la maternité. «Pour deux raisons, souligne Marie Even, la maternité est encore difficilement perçue dans le monde du travail. Il faut être performante dans l’entreprise et être une bonne mère avec le regard de la société et celui de l’entreprise. J’ai personnellement trouvé que c’était une difficulté.» Une partie de la solution appliquée chez Cdiscount : 100 % des papas doivent prendre leur congé parental «pour que cela devienne un réflexe culturel et pas une obligation légale.»