Partir des besoins de l’interne

Avec leurs nombreuses filiales en France et à l’étranger et leurs dizaines de milliers de collaborateurs qui sont autant de points d’entrée pour les startups, les grands groupes peuvent rapidement être dépassés par les sollicitations et les appels entrants… Comment rationaliser les choses ? Pour Paul Jeannest, le cofondateur et CEO de RaiseLab : « c’est une question de stratégie : l’innovation implique de déterminer en amont les thématiques sur lesquelles le grand groupe souhaite se positionner, puis, parmi celles-ci, de définir les cas où il est plus pertinent de se tourner vers l’extérieur, pour des raisons de coûts, de rapidité ou d’efficacité. »

C’est cette approche qui a été adoptée par EDF : plutôt que de partir de la proposition de valeur des startups, l’équipe Open Innovation s’attache avant tout à identifier et qualifier les besoins de l’interne, ceux pour lesquels une logique “buy” plutôt que “make” a été privilégiée. « Nous sommes arrivés à la conviction qu’il fallait partir des besoins du Groupe - et donc les définir clairement - pour identifier ensuite les startups qui peuvent y apporter des réponses, plutôt que d’accueillir tout le dealflow et l’orienter vers les bons interlocuteurs », explique ainsi Valérie Salviac-Dijkstra, la directrice performance et développement à la Direction de l’Innovation et des Programmes Pulse chez EDF.

« Ce qui est intéressant, c’est de partir du besoin exprimé par une entité et de se rendre compte que ce même besoin est commun à d’autres au sein du Groupe. Cela devient très vertueux pour l’efficacité interne », ajoute-t-elle.

Pour cela, les équipes Innovation d’EDF sont en permanence en contact avec les équipes métiers, qui sont invitées à exprimer leurs problématiques et leurs besoins en termes de solutions innovantes. À cet effet, le réseau interne d'Open Innovation que pilote l’équipe EDF Pulse Connect (composé de plus de 130 membres de différentes entités et filiales du Groupe réparties dans 22 pays) partage régulièrement sur les besoins et tendances. De quoi faciliter grandement le “sourcing” des startups lors des salons et des événements majeurs de l’écosystème innovation.

En parallèle, des appels à projets répondant à un besoin spécifique peuvent être organisés à la demande d’autres entités du Groupe, tandis que les candidatures pour les Prix EDF Pulse permettent un sourcing de startups pour accélérer vers la neutralité carbone. En 2024, les catégories dans lesquelles les startups peuvent postuler sont ainsi “Rendre le client acteur de sa décarbonation”, “Optimiser et accélérer la production et le stockage d’électricité décarbonée”, “Développer des systèmes énergétiques décentralisés rentables“ et “Développer des solutions de captage, de valorisation et de compensation carbone”.

Assurer un suivi dans le temps

Une fois le bon partenaire identifié et le “matching” effectué, encore faut-il s’assurer que la collaboration soit sur de bons rails. C’est là encore tout le rôle d’une équipe dédiée à l’open innovation : faire en sorte que sur le terrain, les projets de collaborations aboutissent, et si possible, dans un temps raisonnable, puisque la temporalité des startups et des grands groupes n’est pas la même…

Ce travail de suivi ne se limite pas aux collaborations enclenchées : « il ne faut jamais lâcher une startup qui pourrait être utile pour le Groupe. Si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera dans six mois. Mais pour cela, il faut être capable de la suivre dans le temps », explique Valérie Salviac-Dijkstra.

Pour assurer ce suivi, EDF s’appuie notamment sur un outil CRM qui lui permet de centraliser les rencontres, les projets et les collaborations avec les startups. « Cela nous fait gagner beaucoup de temps, mais un tel outil ne fonctionne que si tout le monde le renseigne de la même façon, avec les bons mots clés et les bonnes informations actualisées », souligne-t-elle.

Une préoccupation partagée par Paul Jeannest : « au départ, les outils de suivis prenaient plutôt la forme de base de données des startups rencontrées. Maintenant, ils vont plus loin, jusqu’au pilotage des projets, et ils assurent parfois même le sourcing, grâce à l’IA. Mais cela n’a de sens que si l’outil est bien alimenté et que les usages sont développés. »

Donner le bon cadre méthodologique aux collaborateurs

Comme le montre l’importance de l’outil CRM d’EDF, la question des outils occupe une place centrale dans la réussite d’une collaboration grand groupe / startup, mais, comme souvent, la technologie ne fait pas tout. « Pour une collaboration efficace, il faut avoir mis en place les bonnes ressources et la bonne méthodologie, avec une gouvernance appropriée. Il faut aussi savoir dire non et ‘débrancher’ un projet quand c’est nécessaire », explique le cofondateur et CEO de RaiseLab.

« L’expérience nous a montré que sur les sujets d’Open Innovation, il faut surtout avoir la capacité à accompagner les équipes métier, notamment avec des ressources, des boîtes à outils pour la gestion de projet, des grilles d’analyses qui permettent d’évaluer la faisabilité d’un projet », confirme Valérie Salviac-Dijkstra, avant d’ajouter : « l’important pour une équipe Open Innovation, c’est de donner des outils et de l'autonomie aux responsables innovation sur le terrain, pour faire en sorte notamment que les collaborateurs aient les bons réflexes, comme consulter et actualiser notre base de connaissance de startups. »

A ces outils destinés aux équipes opérationnelles, s’ajoute un travail avec les équipes achats, pour mettre en place des process adaptés aux spécificités des startups et des acteurs innovants, le tout en respectant le cadre des achats publics que le groupe EDF doit suivre.

Fixer les bons indicateurs de performance

Avec la mise en place des outils, vient aussi la définition d’indicateurs de performance. Chez EDF, une règle informelle a été fixée au niveau de la direction innovation : « il n’y a pas d’indicateur quantitatif, comme le nombre de startups rencontrées : ce serait contre-productif. Par contre, pour ne pas se perdre, on s’impose un taux de transformation : pour 100 startups rencontrées, il faut qu’il y en ait au moins 10 avec qui on réalise finalement quelque chose. »

Ce « pilotage par le taux de transformation » permet notamment de limiter le risque d’éparpillement. Il exige aussi un suivi dans le temps, puisque « la rencontre de la startup n’est qu’un point de départ ». Prise de participation via les équipes “Ventures”, mise en place d’un POC, référencement comme fournisseur : les modalités de collaboration sont ensuite multiples, en fonction des besoins du Groupe et du niveau de maturité de la startup. « L'open innovation est très complémentaire de l’investissement : une startup qui devient fournisseur c’est aussi un succès », rappelle Valérie Salviac-Dijkstra.

« Pendant longtemps on suivait des indicateurs principalement liés à des objectifs d'acculturation ou de communication, tels que le nombre de startups rencontrées ou de collaborateurs impliqués. Désormais - et c'est une bonne chose - on va suivre des Kpis business et financier pour calculer un ROI plus réel; en lien avec une hausse des revenus ou une baisse des coûts », abonde Paul Jeannest.

Relier l’Open Innovation aux enjeux stratégiques

Ces indicateurs économiques et financiers sont d’autant plus importants que « les grands groupes ont pris conscience qu’ils ne pourraient plus atteindre 100 % de leurs plans stratégiques sans les startups », ajoute-t-il. Et de citer un exemple : « Dans son plan “L'Oréal pour le Futur”, l’Oréal a prévu que d’ici à 2030 100 % de ses emballages plastiques soient d’origine recyclée ou bio-sourcée. Le Groupe sait qu’il ne pourra pas y arriver tout seul : il a mis en place dans chacun des métiers des dispositifs pour chercher des technologies et des solutions en externe.
»


Chez EDF, pour s’assurer que les dispositifs d’Open Innovation soient bien reliés aux enjeux du Groupe, les équipes innovation s’appuient sur un document de référence : le cadrage stratégique de l’innovation, qui est mis à jour régulièrement et regroupe actuellement quinze sujets prioritaires. « Nous avons toujours cette boussole en tête, avec, en parallèle, un œil sur des besoins plus incrémentaux, très importants pour l’efficacité opérationnelle », explique Valérie Salviac-Dijkstra.

Les catégories des Prix EDF Pulse - l’événement annuel phare d’EDF à destination des salariés du Groupe et des startups - sont d’ailleurs directement reliées aux enjeux stratégiques d’EDF en matière d’innovation. « En dix ans, ces prix nous ont permis d’identifier plus de 2.000 startups, dans le monde entier. Surtout, nous avons un engagement envers les lauréats, financier d’abord, mais surtout en termes d’accompagnement. Les quatre finalistes de l’année dernière sont aujourd’hui, d’une manière ou d’une autre, dans une relation avec EDF », conclut Valérie Salviac-Dijkstra.