Selon le 12e baromètre d'Empreinte Humaine et OpinionWay, la détresse psychologique des travailleurs français s'accentue : elle s’élève à 48 % des salariés - dont 17 % en détresse élevée. Ce qui engendre une montée du burn-out (32 % en risque, 12 % sévère). Les dirigeants n’y dérogent pas : même s’ils déclarent être en bonne santé (82 %), le manque de visibilité économique, les difficultés de vente ou de trésorerie ont conduit à accroître leur niveau de stress : c’est le cas d’un dirigeant sur deux. Et un sur trois fait également état d’une fatigue accrue.
Le sujet semble prendre une telle ampleur que des initiatives se créent pour explorer et comprendre les enjeux de santé psychologique des dirigeants. En novembre 2023, la première Chaire de recherche « Santé mentale des dirigeants de PME et TPE » a été lancée en partenariat entre l'Emlyon Business School et Malakoff Humanis. Comment expliquer les moments où la santé vacille ? Comment remonter la pente ? Les réponses sont très individuelles et souvent holistiques, comme le montrent les quatre dirigeants et entrepreneurs qui ont accepté de confier leur expérience ainsi que leur stratégie de résilience.
Julia Néel Biz (Teale) : « J’ai activé des réflexes pour m’aider à remonter la pente »
Après avoir perdu un proche en 2018, la cofondatrice et CEO de Teale, première plateforme de santé mentale à destination des collaborateurs et des entreprises, a vécu une période profonde de deuil. « À ce moment-là, j’ai activé des réflexes pour m’aider à remonter la pente : j’ai consulté une psychologue et j'ai étudié les neurosciences ainsi que les sciences cognitives et comportementales pour décrypter mes propres mécanismes émotionnels. » La première étape consiste à s'autoriser à prioriser sa santé mentale et, en tant que dirigeant, à communiquer sur ses vulnérabilités. « Je me suis rendu compte que cela fédère, même s’il n’est pas évident de se dévoiler. » Un autre aspect important est la capacité réflexive afin d’être à l’écoute des signaux faibles : « Ils varient d'une personne à l'autre : erreurs, douleurs, pertes de mémoire, oublis, irritabilité… L’entourage joue également un rôle de miroir qu’il faut apprendre à écouter. » Plus globalement, selon Julia Néel Biz, il est devenu crucial de briser le tabou persistant autour la santé mentale, même si « des améliorations notables ont été constatées depuis la crise sanitaire ».
Nicolas Jeanne (Sensactions) : « On m’a demandé de me reposer, mais je ne sais pas ce que c’est…»
Nicolas Jeanne, ancien fondateur de BOLK, l’un des premiers modèles de cantine robotisée au monde, a vécu un burn-out de stade 3. « Cela s’est traduit par quelques symptômes : des palpitations ou des difficultés cognitives. On ne m’a pas tout de suite diagnostiqué correctement, permettant à la pathologie de s'installer et de progresser, jusqu'à ce que mon corps s’écroule. » En septembre 2022, le CEO subit une décompensation. Il doit ralentir. « On m’a demandé de me reposer, mais je ne sais pas ce que c’est… alors je tombe en dépression. » Après quelques mois d’arrêt, Nicolas Jeanne revient « en mode guerrier » pour ne pas fragiliser l’entreprise et continuer à accompagner ses équipes. Une décision dilatoire puisque quelques mois après, il s’effondre à nouveau : « Je m’isole trois semaines à la Parenthèse au vert où l’approche de la santé mentale est globale : relaxation, sommeil, alimentation, méditation, activité physique, connaissance de soi… » Cette intermède l’amène ensuite à quitter ses fonctions pour sauver sa santé avant tout : « Clin d’œil du sort ou pied de nez ? Le jour de l’annonce, je suis au classement Forbes “30 Under 30 Europe 2023” ». Depuis, Nicolas Jeanne est guéri et a recréé Sensactions, un cabinet qui accompagne les startups « vers un business rentable et épanouissant » ainsi qu’un podcast, Les sages.
Gilles Meyer (coach professionnel) : « La positivité fructueuse, en tant que discipline personnelle, est essentielle »
Gilles Meyer, coach professionnel et ancien dirigeant d’une société lyonnaise pendant plus de 10 ans, a été confronté à un burn-out alors que son entreprise était en grande difficulté financière. « Je suis devenu la cible de toutes les injonctions et conflits de la part de certains fournisseurs, clients et organismes administratifs. Les huissiers ont même débarqué à mon domicile personnel, comme dans les films », décrit-il dans l’une de ses newsletters. La pression monte et les premiers symptômes du chaos personnel émergent : « À partir du moment où j’ai éprouvé des difficultés à monter les marches du TGV pour aller à Paris, et que mes proches - dont mon épouse - m'ont dit qu'ils ne me reconnaissaient plus, cela m’a percuté. »
Le dirigeant prend conscience de la nécessité de préserver sa santé mentale et celle de ses proches. En premier lieu, il adopte une stratégie « de survie » : « Nous nous sommes isolés, mon épouse et moi, pour échapper à la pression. Ce n’était pas une partie de plaisir mais une pause vitale. » Puis une stratégie « d’espoir » prend le relais : « Chaque jour, je cherchais quelque chose de positif dans l’avenir. La positivité fructueuse, en tant que discipline personnelle, est essentielle : il s’agit d’une approche scientifique, avérée et complète, faisant appel à toutes les ressources de notre cerveau », insiste Gilles Meyer. Cette double approche lui a permis de surmonter cette épreuve et de reconnaître la résilience comme une compétence universelle à cultiver.
Yves Trocheris (Même Pas Cap !) : « L'intensification du travail et la pression liée à un projet majeur m’ont conduit à un point de rupture »
À l'approche de ses 30 ans, au sommet d’un brillant parcours professionnel dans le e-commerce, Yves Trocheris, cofondateur et CEO de Même Pas Cap!, se retrouve incapable de se lever pour se rendre au travail. « L'intensification du travail et la pression liée à un projet majeur m’ont poussé à un point de rupture. » Il décide alors de prendre du temps pour faire face à « un coup de pompe » qui s'est transformé en départ définitif. Le processus de reconstruction a été jalonné de différentes étapes : Yves Trocheris a d'abord entrepris un bilan de compétences pour comprendre les raisons de son épuisement et détecter ses leviers de motivation. En parallèle, il a entamé une thérapie pour travailler sur sa confiance en lui et son bien-être émotionnel. « J’ai appris à identifier les signaux d'alerte du stress, à développer une boîte à outils pour faire face à la pression. Cela passe notamment par l’adoption d’une hygiène de vie équilibrée incluant le sport, la nutrition et le sommeil. »
Ce travail personnel était nécessaire pour construire sa prochaine étape professionnelle, celle de l’entrepreneuriat : « En tant que CEO aujourd’hui, cette expérience de burn-out me rend plus attentif à l'équilibre de vie de mes collaborateurs. Ils ont notamment accès à un soutien psychologique en cas de besoin. » Quant à lui, il reste vigilant à sa charge de travail et aux signaux d’alerte émotionnels ou physiques.
La santé mentale des dirigeants est l’un des thèmes qui sera abordé lors de la Maddy Keynote, une journée de conférences et de rencontres BtoB. Rendez-vous le 28 mars au Palais Brongniart pour échanger avec les acteurs clés de l'écosystème entrepreneurial, technologique et de l'innovation en France. Découvrez le programme et prenez vos billets !