Depuis le Maine-et-Loire, Néolithe a levé 60 millions d’euros pour fossiliser les déchets industriels non recyclables et les transformer en granulats utilisables dans le BTP. A Montpellier, Eléments a réuni 50 millions d’euros en série B pour produire des énergies renouvelables et décarbonées. Avec son siège dans le Rhône, Mylight150 a obtenu 100 millions d’euros pour encourager l’autoconsommation d’énergie. Les exemples ne manquent pas, notamment quand les startups agissent pour le développement durable.
Installée à Tahiti, Airaro rencontre cependant des difficultés à attirer les investisseurs autour de son concept de valorisation du gradiant océanique. « Nous fournissons l’énergie et la climatisation pour deux hôtels et un hôpital à Papete. Malgré des millions d’euros investis dans la filière de l’énergie marine, nous sommes les seuls à avoir fourni un kWh. Depuis, nous en sommes à des dizaines de GWh », met en avant Jean Hourçourigaray, fondateur d’Airaro, qui a obtenu des fonds pour le projet de l’hôpital en 2012 mais peine à financer sa technologie. La startup utilise le froid des fonds marins pour refroidir l’air ambiant des infrastructures côtières. Selon une étude de la banque mondiale, le dirigeant évalue à deux milliards d’euros son marché potentiel avec des possibilités dans l’Océan Indien, les Caraïbes ou l’Asie du sud-est.
Short-tong vs. costard-cravate
« Malgré nos résultats, on n’est pas pris au sérieux. On nous imagine seulement en tong et en short alors que le costume cravate ne fait pas la qualité d’un projet ni d’une technologie. D’ailleurs, EDF et Vinci n’ont pas réussi là où nous, oui, grâce à notre savoir-faire. » Pour Jean Hourçourigaray, l’éloignement géographique de la startup par rapport à l’Ile-de-France freine son développement. « Les investisseurs ne comprennent pas ce que l’on fait, ils ne voient pas l’intérêt de notre marché. » Une différence de culture que rencontre également Julien Fabre avec FabOne, en Bourgogne-Franche-Comté.
Alors que sa solution connectée unique pour les sports d’extérieur avait séduit des distributeurs prêts à la commercialiser, la startup n’a pas pu finaliser sa levée de fonds en milieu d’année 2023. « Les investisseurs parisiens connaissent surtout la montagne pour les vacances ou le ski. Sans y vivre, ils ne comprennent pas toujours les problématiques de celui qui chausse ses baskets tous les jours. » Destinée à un marché estimé à 37 millions de personnes en Europe, FabOne manquait d’ambitions pour certains investisseurs. « Il y a une dichotomie entre projet régional et les fonds à la recherche d’une licorne. Par contre, nous avons la connaissance terrain, les savoir-faire et les industriels nécessaires pour passer à l’échelle et être rentable. » La startup a transformé son échec à lever des fonds en une nouvelle opportunité. Son produit initial a suscité l’intérêt d’un autre marché. FabOne répond en effet à la problématique du secteur du BTP, de l’énergie, de la Défense, de la sécurité ou encore de la santé et du médical qui veulent des données de terrain et savoir leurs équipes en sûreté. « Nous allons passer en phase de startup bootstrap et facturer nos clients pour notre phase d’expérimentation. »
Penser local et durable
Pour pallier cette problématique géographique et culturelle, certains fonds voient le jour en province comme Xplore II et ses 45 millions d’euros en Bretagne. « Il y avait peu d’écosystèmes dans l’Ouest et aucun spécialisé dans le early stage. Ce fonds est ouvert à l’innovation, élargi à toute la façade Atlantique. On a aussi besoin d’accompagner les entreprises en transition », explique Charles Cabillic, créateur du fonds. A partir de son expérience, il a identifié que les startups avaient plus de facilités de financement dans leur phase de démarrage grâce au soutien de BPI, de la French Tech, des business angels. Selon lui, la province se confronte à moins de compétition, des équipes stables et impliquées et des mètres carrés plus accessibles. « La difficulté vient après car, en région, les startups ont moins de visibilité et sont moins identifiées par les banques d’affaires et les fonds de successeurs situés à Paris. » D’autre part, pour Charles Cabillic, les jeunes pousses de province s’appuient sur des cas concrets qui se destinent moins à devenir des licornes qu’à être rentable et à créer de l’emploi durable et local. « Mais avec la crise du venture en France et à l’international, tout le monde voit les avantages de la rentabilité. Généralement, les levées en région sont plus faibles et demandent donc une meilleure gestion des fonds. J’ai l’impression qu’on est un peu moins regardant à Paris », complète le dirigeant qui entend soutenir l’entrepreneuriat local.
Chez Ring Capital, fonds parisien avec 400 millions d’euros sous gestion, on met un point d’honneur à s’intéresser aux startups de province. « En tant que fonds d’investissement à impact, on va chercher l’entreprise où qu’elle soit si elle répond aux enjeux sociaux et environnementaux. On va discuter avec les écosystèmes locaux qui connaissent leur territoire pour découvrir les startups clés », précise Pierre-Alexis De Vauplane, partner chez Ring Capital. L’investisseur ne cherche pas les licornes de demain mais à accompagner des PME en pleine croissance. « La réindustrialisation ne se fait pas à Paris. Cette dynamique de fonds à impact associée à celle de l’environnement vont rebattre les cartes entre la capitale et la province. » Même si, selon lui, les régions ont leur épingle à tirer de cette situation, elles doivent toutefois faire face à une problématique spécifique : l’accès au talent. « C’est l’enjeu majeur, plus critique que l’accès aux levées. » En parallèle, Pierre-Alexis De Vauplane et Charles Cabillic s’accordent sur un point, un certain entre-soi parisien, des échanges informels où avoir fait un cursus supérieur semblable contribue pleinement à faire tomber les barrières et à engranger les euros.