Nous sommes d’accord sur les fondamentaux : la recherche permanente de l’excellence, l'accompagnement de ceux qui pensent différemment, qui ont l’énergie de renverser l’ordre établi, la foi en l’intelligence humaine et en la science, et l’attachement au principe d’essai-erreur. Nous partageons également sa vision décentralisée de l’innovation : l’initiative individuelle est souvent décisive dans le développement de technologies de ruptures. Mais nous sommes en désaccord avec la tonalité qui traverse ce manifeste et avec sa vision techno-solutionniste. À le lire, nous devrions confier notre avenir à la Technologie et à ceux qui la façonnent. Une sorte de blanc-seing. Au contraire, nous pensons que la Tech, les entrepreneurs, les investisseurs, les chercheurs, doivent être au contact de la société et à l’écoute de ce qu’elle a à nous dire.
“We are told to be angry, bitter, and resentful about technology”.
Non, nous (Européens) ne vivons pas dans un monde qui dénigre la technologie.
Mais dans un monde qui se met à la questionner. Demander à ce que ce questionnement s’arrête n’est pas un signe de force, de confiance en la technologie. C’est un aveu de crainte.
Nos sociétés ont indéniablement connu une augmentation de leur qualité de vie depuis le 18e siècle. Et cela grâce au progrès technique et technologique : la chimie, et donc les médicaments ; l’énergie pour nous chauffer, nous éclairer et nous déplacer ; les puces électroniques, les ordinateurs, les réseaux, les portables. Et maintenant l’intelligence artificielle, bientôt la biologie synthétique.
Pour autant, doit-on laisser carte blanche à toute technologie et aux seuls grands esprits qui les portent ?
On voit bien les effets de bords qu’elle induit malgré des intentions initiales louables. On citera évidemment la bombe atomique, mais aussi internet qui a conduit au harcèlement en ligne, aux cyberattaques, à la pollution des sols liée à l’utilisation intensive de certaines molécules chimiques.
En tant qu’investisseurs, et habitants de cette Terre, nous comprenons que l’on puisse s'interroger sur les conséquences d’une fuite en avant technologique. Et ces considérations sont partagées par beaucoup d’autres. Le débat actuel sur l’IA au parlement Européen ou au sein même d’OpenAI montre bien que réfléchir aux conséquences à long terme des avancées technologiques n’est pas une lubie anti-progrès !
“We believe that there is no material problem that cannot be solved with more technology”.
Non, la technologie ne peut pas tout régler.
Même si elle s’impose comme indispensable, elle n’est pas omnipotente. Pour atteindre son plein potentiel, elle a besoin de l’adhésion de la foule.
La décarbonation de nos modes de vie et de nos industries est devenue l’un des marchés prioritaires pour les fonds de venture capital. De nombreux entrepreneurs s’attaquent à cet enjeu et nous sommes tous enthousiastes à l’idée de les aider. Ils développent des logiciels pour analyser et mesurer la consommation de CO2, du hardware dans lequel mettre ces logiciels, imaginent des procédés industriels de recyclage ou de captation du carbone. Tout ça, grâce à la science, à la technologie et à leur volonté. L’exemple du climat pourrait évidemment être élargi à tous les enjeux de notre monde : alimentation, santé, habitat, éducation, transports, démocratie, bio-diversité…
Sauf à considérer que la Tech et les machines supplantent l’Humain, nos actions, nos choix, nos comportements font partie intégrante de l’équation, sinon ces technologies ne servent à rien. Il n’est pas souhaitable que nous vivions dans un monde régi par des technologies, programmé par des machines ou par une poignée d’êtres humains remarquables.
“Markets cause entrepreneurs [..] to create new wealth by driving those prices down”.
Non, la quête des prix bas n’est pas systématiquement souhaitable.
Cherchons plutôt le “prix juste”.
La course aux prix bas, qui marque l’après-guerre, a prouvé qu’elle était destructrice de valeur sociétale. Elle déporte les coûts environnementaux et sociaux vers les populations les plus faibles et les moins visibles, pour ne garder que les coûts marginaux de production.
Elle a engendré des crises systémiques dans quasiment tous les secteurs de la vie quotidienne des gens : santé, alimentation, transports, logement, éducation. Les personnels de santé, les agriculteurs, les aides aux personnes âgées, les enseignants pour ne citer qu’eux sont les grands perdants de cette chimère.
La technologie doit plutôt aider 99 % de la population mondiale. Elle doit aider à prendre soin, redonner confiance et donner les mêmes chances à tout le monde de réussir.
“Our present society has been subjected to a mass demoralization campaign for six decades [..] under varying names like “ESG”, “Sustainable Development Goals”.
Non, les RSE, ESG, l’éthique - et plus généralement, les contre-pouvoirs ne sont pas nos ennemis.
Ce sont nos garde-fous.
Nous vivons dans un monde d’interdépendances. En tant que VCs, nous investissons dans des équipes souvent formées par nos écoles publiques, dans des startups assujetties à l’impôt, bénéficiant des avancées de la recherche très souvent financées par l’argent public. Sans parler des infrastructures routières, des réseaux de transports, d’eau, d’énergie et de télécommunications qui leurs servent tous les jours. Ces startups ont en outre un impact direct sur le quotidien des gens. Pensez à Doctolib, Blablacar, N26, Ledger, OuiHelp.
Il est donc légitime que la société au sens large et les contre-pouvoirs en particulier (associations, ONG, journalistes, …) questionnent l’action des startups que nous finançons.
Les startups doivent avoir des régimes fiscaux spéciaux pour favoriser la prise de risque et l’investissement. Ça oui. Mais - comme toute entreprise PME, ETI ou grand groupe - elles ne peuvent pas s’exonérer de leur responsabilité sociétale.
—-
Le “Laissez-nous faire, on s’occupe de tout” que suggère le manifesto de Andreessen Horowitz n’est pas notre vision du monde et de notre métier.
Les VC ont beaucoup d’argent à investir, et donc beaucoup de pouvoir dans la manière de flécher ces fonds. Nous avons une responsabilité collective et la société est légitime à nous demander des comptes.
Nous sommes Techno-Optimists par naissance, c’est une chance qui nous a été donnée. Nous sommes Techno-humanists par choix, c’est notre mission. Honnêtement, c’est aussi la meilleure solution pour tout le monde.