On a rêvé qu’elle s’adresse à nous avec la voix de Scarlett Johanson comme l’IA du film "Her", ou on a craint qu’elle nous demande d’un timbre métallique "Sarah Connor ?". Désormais, la machine semble parler. Et même mieux que nous : on peut détecter l’emploi des LLMs par l’absence de fautes de grammaire. Se créer un interlocuteur, ce vieux fantasme de l’humanité, du Golem à D2R2, apparaît désormais à notre portée. Pourtant ces chatbots parlent-ils vraiment ? Et si c’est le cas, quel impact cela a-t-il sur nous, les humains ?
Tous ceux qui s’intéressent à l’IA générative savent que ces modèles sont conçus pour calculer par approximation les mots suivants, transformés en vecteurs mathématiques. Le système génère ainsi un texte cohérent. Cette caractéristique a valu aux LLMs le sobriquet de "perroquets stochastiques", de machines à baratiner. Mais, force est de constater que ces modèles s’améliorent très rapidement et que, malgré leurs imperfections, ils rendent déjà une foule de services. Peut-être la machine a-t-elle sa propre voie pour atteindre un objectif.
Pourtant, est-ce la machine qui parle, ou nous qui l’entendons parler ? Peut-être un peu des deux : c’est en anthropomorphisant, en projetant notre humanité sur la machine que nous transformons le texte qu’elle génère en parole. En effet, parler, dire, c’est se dire : c’est exprimer des concepts que l’on a (plus ou moins bien) compris, des vérités ou ce que l’on pense comme tel, ou des émotions que l’on ressent. Quel que soit le sujet abordé, en parlant, je me raconte en creux, je me livre un peu. Or, ce n’est pas ce que fait la machine : elle ne fonde pas son discours sur une existence ou une relation au réel. Elle ne prétend pas dire la vérité mais répondre à notre attente. En cela, elle est comblante : l’IA est programmée pour répondre à nos désirs, voire pour anticiper nos besoins.
Ce faisant, elle évite toute contradiction, confrontation ou friction : dans son langage, elle ne se dit pas, elle nous dit nous-mêmes : elle nous tend le miroir de nos prompts. Et il faut reconnaître qu’on aime se regarder, s’entendre parler. Si l’on décide d’utiliser sans discernement les LLMs comme agents conversationnels, assistants ou interlocuteurs virtuels, nous risquons de nous déshabituer de cette altérité qui résiste à notre assimilation et que comporte toute parole humaine.
En tant qu’animal social, on reçoit une part de notre humanité des autres : elle s’enrichit et se patine à leur contact. C’est nécessaire, mais souvent exigeant, tant l’autre me sort de ma zone de confort. Perdre cette habitude en passant trop de temps cocoonés par des machines, ce serait perdre une part de notre humanité et de notre capacité à faire société.
Pourtant, on peut aussi s’enrichir du langage d’une machine capable d’accomplir ce que nous ne pouvons faire : traiter un grand nombre de données, identifier des tendances, tout en étant guidée à la voix. Les LLMs ouvrent donc une multitude de chemins : à nous d’être prudents sur la route.