Les conditions de financement devraient continuer à se durcir en 2024, et toutes les startups qui ont réalisé des tours d’amorçage entre 2020 et 2022 ne pourront pas relever en série A. Les délais supplémentaires offerts pour le remboursement du PGE (Prêt garanti par l’État) et le financement par la dette, ont, jusqu'à présent, permis de limiter la casse dans l’écosystème. Mais la situation pourrait se retourner en 2024.
« Beaucoup de startups ont déjà bridgé et si elles n'atteignent pas les attentes des fonds de VC en matière de croissance, voire de rentabilité, elles n’arriveront pas à relever. Cela crée un vivier de startups early-stage propices aux stratégies de build-up, historiquement plutôt réservées aux sociétés tech matures (post série B) et qui, aujourd'hui, devrait se structurer autour de la série A », indique Frédéric Bouleuc, partner chez Super Capital, en charge des sujets M&A. Pour Super Capital, l’émergence de plateformes comme acquire.com aux États-Unis ou Alvo en France, sont la preuve de ce stock de startups.
Le “dual track” : tester en même temps la levée de fonds et le rachat
Les entrepreneurs qui arrivent au bout de leur cash runway doivent en effet étudier différentes solutions. « Nous avons observé les prémisses de cette tendance peu avant l’été 2022. Des startups early stage commençaient à étudier des opportunités de cession, totale ou partielle, en même temps que la possibilité de lever. Cette stratégie de “dual track” existait déjà dans les grands groupes, puis s’est étendue aux scale-ups. Cette tendance est restée relativement dormante, mais depuis deux ou trois mois, nous percevons les signaux d’une accélération. Cela ne se traduit pas encore de manière significative dans le nombre de transactions réalisées, mais nous constatons une hausse des demandes de la part d’entrepreneurs pré série A, qui nous contactent à ce sujet », partage Axel Tombereau, qui a créé il y a quatre ans la banque d’affaires Odyssey, spécialisée dans l’accompagnement de startups tech.
« Pour moi, le dual track est fictif dans la mesure où l'intention première des entrepreneurs de la tech est de lever pour continuer à se développer. Envisager une vente au stade early est la conséquence de l'incapacité à lever. Les meilleurs dossiers arriveront toujours à lever. Ceux qui doivent partir à la casse, partiront. La logique de l’empilement d’EBITDA négatif à 5-7 ans n’existera plus et c’est une bonne nouvelle pour l’économie, car le but reste in fine de créer des sociétés rentables ! En France, le nombre de levées en early-stage a été artificiellement boosté par le 150-0 B ter et le soutien de la Bpi, sans lesquels notre écosystème n’aurait pas connu un tel essor », nuance Frédéric Baecke, partner chez Super Capital en charge des sujets M&A build-up, principalement buy-side.
Le build-up, une réflexion menée par des entrepreneurs expérimentés
Quel que soit le chemin par lequel les plus jeunes startups arrivent à envisager le build-up, il semblerait qu’à l’arrivée, elles soient de plus en plus nombreuses. « On commence à voir dans notre portefeuille de plus en plus de sociétés qui sont légèrement en dessous du million d’ARR (revenu récurrent annuel, ndlr) et qui réfléchissent à des acquisitions de startups de taille équivalente pour, ensemble, une fois consolidées, accélérer leur croissance et les étapes de leurs levées, en vue d’aller chercher des série A, B et C », partage Frédéric Baecke. Super Capital qui a investi dans plus de 150 sociétés en early-stage peut se vanter d’avoir un bon aperçu du panorama early-stage français.
« C’est un schéma encore marginal, mais les opérations de fusions et acquisitions de startups pré-série A devraient se développer dans les mois et années à venir », abonde Axel Tombereau. Parmi les raisons de cette accélération, il note le rapprochement des multiples de valorisation entre les acheteurs et les acquéreurs. « Les entrepreneurs qui veulent vendre ont compris que les multiples de valorisation devaient être révisés à la baisse pour s’adapter aux nouvelles réalités de marché et sont davantage enclins à étudier des opportunités qu’ils n’auraient peut-être pas regardées il y a quinze mois », souligne-t-il.
L’arrivée d’entrepreneurs plus matures pourrait également contribuer à nourrir cette tendance. « Il y a aussi un sujet d’éducation, tous les entrepreneurs ne pensent pas naturellement à des approches build-up au début de leur aventure. C’est une réflexion qui appartient plutôt aux entrepreneurs expérimentés. Or, le nombre de serial entrepreneurs, issus des scale-ups, comme Qonto ou Doctolib, augmente, et ces projets de build-up font souvent partie de leur stratégie dès le départ », souligne Thibaut Gimenez, cofondateur de Super Capital.
Le build-up comme alternative à la levée pour les jeunes pousses
« Nous avons signé la fusion à l'été 2023, cinq ans après notre lancement. À l’été 2021, nous avons pu constater que la configuration et la profondeur du marché que nous avions projeté un an plus tôt, en série A n'étaient pas au rendez-vous. Des premières discussions avaient été initiées à l'époque, sans succès. La reprise de discussions a eu lieu une bonne année et demie plus tard (début 2023), en s'étant respectivement forgée la conviction qu'une trajectoire commune était bien plus ambitieuse », témoigne Thomas Bournac, cofondateur d'Ambler, qui est devenue en 2023 Amblea suite à l'acquisition de Sanilea.
Anticipant une tendance croissante, les équipes de Super Capital ont décidé de se structurer pour accompagner ce mouvement. « Nous voulons proposer une alternative : aider les startups early-stage à racheter, plutôt que de continuer à lever juste pour survivre. En réalité, on n’invente rien, on applique simplement ce qui se fait dans le private equity à l’early stage », partage Frédéric Bouleuc qui indique qu’aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de fonds de VC dans cette logique en France. « Ces jeunes startups ont rarement des CFO et la fonction finance n'y est pas encore très structurée. Si les fonds de venture capital sont souvent les instigateurs des stratégies de build-up, ils peuvent aussi être à l'origine d'autres stratégies de fusions ou autres types de rapprochements, tel qu'un adossement par cession minoritaire à un industriel », ajoute Axel Tombereau.
Une stratégie qui, pour Super Capital comme pour Odyssey, s’applique particulièrement bien au modèle SaaS, un marché très fragmenté avec des valorisations simples. « Dans les marchés en consolidation, certaines startups peuvent être plus fortes ensemble et augmenter ainsi leurs chances de lever, ce qui peut favoriser des scénarios de rapprochement ou regroupements entre startups early stage. Beaucoup de startups dans le SaaS par exemple qui font entre 30 000 et 100 000 euros de MRR (revenu mensuel récurrent, ndlr) ont des propositions de valeur intéressantes, mais il reste difficile de faire une série A quand on fait moins de 100 000 euros de MRR. Ce seuil est plus facile à atteindre en fusionnant deux ou trois startups qui vont pouvoir agréger leurs chiffres », explique Axel Tombereau.
« Parfois l’idée est bonne, mais l’exécution a péché. D’autres entrepreneurs réalisent qu’il y a de beaux actifs à récupérer et que cela leur coûtera moins cher que de les produire. Il y a l’opportunité d’acheter du MRR a un prix peu élevé, et grâce au build-up, de consolider une position de marché pour remplir les critères des VC et pouvoir prétendre à une série A », explique Frédéric Baecke, qui précise que les niveaux de rachat de startups en distressed se situent aujourd’hui autour d’une fois l’ARR, alors qu’il pouvait atteindre 5 à 10 fois l’ARR, dans le cadre d’une levée de fonds ou d’une opération de M&A auprès d’un gros acquéreur.
Ces build-ups pourraient donc permettre aux jeunes startups d’atteindre plus facilement des tailles critiques pour continuer à lever, de gagner des avantages concurrentiels et des canaux d’acquisition.