Derrière le lancement en fanfare de Mistral AI en mai 2023 se profile l’ombre portée d’Open AI, l’entreprise à l’origine de Chat GPT valorisée 27 milliards de dollars un mois auparavant. En comparaison, Mistral AI fait figure de poids moyen avec ses 1,86 Md€ de valorisation fin 2023 mais cette opération intervient sept mois après sa création, ce qui défie les standards de développement des startups européennes.
Les fondateurs et les conseillers et actionnaires de la première heure sont-ils d’ores et déjà riches comme l’écrivent plusieurs médias ou cette fortune n’est-elle que virtuelle ? Nous allons tenter de décrypter les premières étapes financières du développement de Mistral AI à l’aide des données publiques disponibles.
La genèse des licornes, ces créatures valorisées plus d’un milliard de dollars, obéit à des règles particulières. S’agissant de Mistral AI, l’histoire débute avec trois trentenaires, des docteurs-ingénieurs formés dans des institutions d’excellence (Polytechnique et Ecole Normale Supérieure) et ayant débuté leur carrière chez Meta/Facebook pour Arthur Mensch et chez Google DeepMind pour Timothée Lacroix et Guillaume Lample.
Leurs parcours respectifs ont permis de créer des modèles de langage en open source alimentés par des données publiques. Le premier modèle publié surpasserait ainsi le LLM (Large Language Model) d’Open AI sur plusieurs tests comparatifs et serait meilleur en termes de compromis coût/performance. La bataille technologique est donc engagée.
Mistral AI a été lancée avec 15K€
Les statuts de la Société par Actions Simplifiée Mistral AI font état d’un capital social initial de 15.000 euros, composé d’1,5 million d’actions, détenues à 95,3 % et à parts égales par nos trois docteurs-ingénieurs qui constituent les cofondateurs opérationnels. Le complément de 4,7 % est détenu à parts égales par quatre personnes physiques ou morales : Cédric O, ancien Secrétaire d'Etat à la Transition Numérique, la holding Alan Tech, Jean-Charles Samuelian et Charles Gorintin, cofondateurs et dirigeants d’Alan.
Cédric O dispose d’une solide expérience en politique et dans le monde des affaires tandis que Jean-Charles Samuelian et Charles Gorintin ont bouclé 5 tours de financement depuis la création d’Alan en 2016, une licorne française de l’assurance santé.
Moins de deux mois après sa création, Mistral AI boucle un tour de table financier de 105 M€ sur une valorisation de 240 M€, fixant la valeur des parts de fondateurs à 135 M€ « pré-money » dans le jargon des financiers. Ces parts valent alors virtuellement 9.000 fois plus que les 15 k€ d’apport initial.
Deux levées de fonds de 490 M€ en 6 mois
Ce premier tour de table de mi-juin a été mené par le fonds californien Lightspeed Venture Partners aux côtés de plusieurs personnalités du monde des affaires : Xavier Niel (Iliad), Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Eric Schmidt, un ancien CEO de Google qui conforte la proximité de Mistral AI avec l’ex-employeur de deux cofondateurs de la startup. Des investisseurs européens comme la BPI complètent ce tour de table prestigieux.
Au terme de cette opération, les investisseurs contrôlent ainsi 43,75 % du capital de Mistral AI et les cofondateurs en conservent le contrôle théorique avec 56,25 %.
Mais le développement d’une telle entreprise est gourmand en capitaux et, en décembre 2023, la startup qui compte 22 salariés entre dans le club des licornes en annonçant un tour de financement de 385 M€ avec le fonds Andreessen Horowitz accompagné de Salesforce, Nvidia et BNP Paribas.
Cette opération d’un montant 3,7 fois supérieur au premier investissement fut moins dilutive qu’au premier tour puisque la valorisation est de 1,86 milliards d’euros : les nouveaux investisseurs détiennent 20,7 % du capital au terme de cette opération. La valorisation « pré-money » de Mistral AI était donc de 1,48 md€, multipliée par 6,15 en 6 mois, une aubaine tant pour les fondateurs, qui contrôlent encore 44,6 % des droits de vote, que pour les investisseurs du premier tour si l’entreprise est cédée sur ce seul montant de 1,86 Md€.
Quelles plus-values potentielles pour les fondateurs et les investisseurs ?
Mais qui empochera combien si Mistral AI est cédée pour un montant inférieur ou supérieur au « tarif licorne » ?
Le capital risque est un sport de haut niveau où le risque d’échec est consubstantiel au métier. Accéder au statut de licorne n’est pas un gage d’immortalité : l’adage latin selon lequel la Roche Tarpéienne est près du Capitole s’applique aux startups à l’instar de Powa Technologies, une fintech britannique revendue à la casse en 2016 ou Sigfox, une ancienne pépite de l’Internet des objets connectés reprise début 2022 à la barre du tribunal de commerce pour 3,3 M€.
Par-delà ce destin tragique, il faut comprendre qu’en cas de revente pour un montant inférieur aux capitaux injectés par les investisseurs, ceux-ci se paieront en priorité via des clauses de liquidité préférentielle. Bref, si Mistral AI est cédée pour un montant inférieur ou égal à 490 M€, les fondateurs ne toucheront rien.
Ceci explique sans doute pourquoi les fondateurs ont négocié un « partial cash out » (cession partielle) de 1 M€ par cofondateur lors de la dernière augmentation de capital. Cette cession d’actions leur assure une plus-value quel que soit le développement de Mistral AI mais réduit aussi leur stock de titres. Ainsi, si cette cession a eu lieu sur la base de 100€ par action, valeur sensiblement supérieure au premier tour, chaque cofondateur a cédé 10.000 actions. C’est négligeable si vous en détenez près de 480.000 comme chaque cofondateur opérationnel mais ça l’est moins si vous en avez moins de 20.000.
En tenant compte de ces clauses de liquidité, nous pouvons modéliser deux scénarios de revente de Mistral AI, en précisant que nous n’avons pas pris en compte l’impact des stock-options nécessaires pour attirer des talents mais qui diluent la participation de l’ensemble des autres actionnaires de près de 10 % par tour de financement. Nous n’avons pas non plus intégré l’impact des cessions partielles qui réduisent la plus-value future des cofondateurs.
Bref, selon nos calculs :
Si Mistral AI est cédée pour un montant d’un milliard d’euros sans nouveau tour de financement, les investisseurs récupéreront 77,2 % du produit de la cession. Les cofondateurs se partageront quant à eux 228 M€.
Si Mistral AI est cédée pour un montant de 5 milliards d’euros, soit près de dix fois les capitaux injectés, les investisseurs récupéreront 59,8 % de ce montant, soit près de 3 Md€. Les cofondateurs se partageront pour leur part un peu plus de 2 Md€.
Les chiffres sont à la mesure des enjeux de ces IA conversationnelles qui bouleversent des pans entiers de l’activité humaine. Google (ou Meta) pourrait jeter son dévolu sur Mistral AI. Une telle acquisition ne représenterait que quelques semaines de profits pour un tel acquéreur soucieux de ne pas se faire distancer par le duo formé par Open AI et Microsoft.
La course à la puissance est lancée combinant les meilleurs talents et des quantités considérables de capitaux.