“La beauté est subjective”. Voilà un adage que le monde du travail et celui de l’entreprenariat semblent ne pas connaître. En effet, plusieurs études successives ont montré que les personnes jugées attirantes et séduisantes avaient bien plus de chances de réussir professionnellement. C’est le cas lors d’un entretien d’embauche, ou lorsqu’on cherche à vendre un produit… Mais pas uniquement.
Dans l'écosystème startup, plus vous êtes beau ou belle, et plus il vous sera globalement facile de lever des fonds. Pourquoi une telle corrélation ? Comment expliquer le lien entre ces deux phénomènes ? A-t-on malgré tout une chance de compenser un physique un peu disgracieux ? Notre physique peut-il au contraire nous jouer des tours et agir en notre défaveur ? Nous sommes allés à la rencontre de deux spécialistes du sujet, histoire d’y voir un peu plus clair.
"Beauty privilege" : quand la beauté pousse à investir
D’abord, les chiffres. Plusieurs études académiques mettent en évidence la relation entre beauté et réussite professionnelle. En anglais, on appelle cela le “beauty privilege”. Daniel S. Hamermesh, économiste, professeur d’économie et auteur du livre "Beauty Pays", parle lui de “pulchronomics”. Il traduit pour nous ce terme : “c’est l’étude de la façon dont la beauté joue sur les transactions économiques”.
Il précise : “On trouve un lien positif entre la beauté et les revenus d’une personne qui est à son compte ou qui a lancé son business, aussi bien que pour ses employés d’ailleurs”. Curieusement, il note que cet effet serait d’autant plus fort que les dirigeants vieillissent.
En 2014, des chercheurs et chercheuses du prestigieux MIT nous expliquaient que “les gens ont plus tendance à être séduits par une présentation de startup lorsqu’elle est effectuée par une voix masculine et par une personne jugée attirante. Ils y investissent plus que si le pitch est porté par un homme ou une femme peu attirants”. Selon eux, les pires résultats auraient été obtenus par les “femmes belles”, pour lesquelles ni les investisseurs masculins, ni les investisseurs féminins, n’auraient été enclins à sortir leur porte-monnaie…
Les belles femmes lèveraient 16% de fonds en plus ?
Une autre étude, publiée cet été et co-réalisée par plusieurs chercheurs d’universités suisses, contre-disait cette dernière hypothèse, avançant que les femmes entrepreneures auraient en moyenne 16% de chances supplémentaires d’obtenir des financements de la part d’un homme lorsqu’elles sont jugées comme belles. Ceci serait lié, détaillent les auteurs, à des niveaux de cortisol et de testostérone en hausse, qui donne l’illusion (qu’elle soit vraie ou non) que la cheffe d’entreprise qui leur fait face est plus compétente que sa concurrente moins attrayante. En psychologie, on appelle cela l’effet de halo : un biais cognitif, qui nous pousse à sélectionner de façon inconsciente les informations que l’on reçoit, en ne prenant que celles qui vont dans le sens de notre première impression. Puisque la beauté nous donne une première bonne impression, nous n’allons, en d’autres termes, retenir du discours que les bons points, ou en tout cas le faire davantage.
Il faut évidemment nuancer ce dernier résultat avec le contexte plus global de l’entreprenariat. Même si les jolies femmes lèveraient potentiellement plus de fonds auprès d’investisseurs masculins - qui représentent la majorité des représentants de fonds d’investissements -, 16% ne suffiraient pas à compenser l’écart considérable qui demeure entre hommes et femmes dans les levées de fonds. Une récente étude sur les séries A signée Tudigo, que l’on vous présentait en détails dans un article dédié, nous rappelait que les femmes restent largement sous-représentées dans l’univers des levées de fonds. Plus des trois quarts des 229 levées de fonds étudiées étaient portées par des équipes “exclusivement masculines” (contre 4% d’équipes exclusivement féminines). Surtout, les femmes lèvent en moyenne des montants… 3 fois moins importants selon eux. Les baromètres établis par le collectif SISTA et BCG évoquent eux des montants quatre fois moins importants.
Quand le physique devient un obstacle
La beauté ne suffit donc pas… Et elle peut même jouer en défaveur de certaines femmes, comme nous le rappelle Marie-Hélène Duchemin, docteure en sciences de gestion et maître de conférences à l’Université de Rouen, actuellement en détachement à l’université de Nouvelle-Calédonie. L’entreprenariat féminin est un sujet qu’elle connaît bien. Pour avoir elle-même dirigé une entreprise, mais surtout, pour y avoir consacré plusieurs études, dont sa thèse.
“La beauté pourrait desservir les femmes, en fonction notamment du secteur dans lesuel elles évoluent et si celui-ci est considéré comme ‘masculin’. C’est lié au sexisme ordinaire : certains hommes, lorsqu’ils voient une cheffe d’entreprise jeune, bien apprêtée, ne la prennent pas autant au sérieux. Lorsque j’avais mon cabinet d’études de marché, je me souviens être passée du ‘tailleur / talons’ au ‘jean / baskets’ pour qu’on commence à considérer mon business, se souvient-elle. La beauté est encore trop souvent associée à un contexte de séduction, alors qu’on voudrait juste avoir une discussion professionnelle…”
Une étude publiée en 2019 confirmait que ce biais-là concernait presque exclusivement les femmes, et non les hommes beaux.
Le poids du physique joue également de façon négative sur les personnes victimes de discrimination en raison de leur apparence. On pense notamment à la couleur de la peau, ou au poids, ou encore pour un handicap visible. Marie-Hélène Duchemin nous rappelle que l’on a déjà observé des phénomènes similaires pour les emprunts bancaires et immobiliers… Et qu’il y a donc fort à parier que les startups n’échappent malheureusement pas à ces mécanismes.
Faut-il dire adieu à l'entrepreneuriat si vous n’êtes pas beau ?
Pour en revenir au sujet de la beauté en tant que telle, être "moche" nous condamne-t-il à l’échec ? Pas tout à fait, heureusement. Car pour notre interlocutrice, il existerait peut-être une façon de déjouer les pronostics : avoir confiance en soi, et le montrer.
Dans le cadre de sa thèse, elle a pu observer des groupes d’entrepreneurs. Elle se souvient notamment d'une femme très sûre d'elle, qui, dès lors qu'elle était dans une pièce, attirait l'attention et perturbait ses interlocuteurs et interlocutrices. Sa forte présence aurait sans doute suffit à convaincre n'importe qui d'investir dans sa startup...
Daniel S. Hamermesh ajoute à ce sujet : “plusieurs études, y compris deux que j’ai moi-même conduit, nous montrent que la confiance en soi peut véritablement faire la différence”. “Mais si cela a une importance, il faut reconnaître, modère-t-il auprès de Maddyness, que parmi les personnes sûres d’elles, celles qui sont les plus belles gagnent quand même plus. Donc même si elle joue, la confiance en soi ne fait pas tout...”
Heureusement, il existe, aux Etats-Unis du moins, quelques lois pour protéger les “moches”. En France, la législation protège contre certaines discriminations mais qui ne sont pas purement physiques. Le Financial Times suggère également une solution alternative pour remédier au problème : “embaucher moins d’imbéciles dans les VCs”, et ainsi, faire en sorte que seule la compétence soit réellement jugée…