« C'étaient les montagnes russes, se remémore Grégory Lefort, cofondateur d’Azendoo. On a eu une super ascension avec une belle renommée, puis une descente aux enfers, et enfin la libération ». Les bons souvenirs ne manquent pas pour raconter les premières années d’Azendoo. L’ancien CEO de cette jeune pousse bordelaise se rappelle avec des étoiles dans les yeux un voyage à San Francisco en octobre 2014, sur l’invitation d’Evernote. Ils étaient partis entre cofondateurs pour recevoir une belle distinction qui allait leur permettre de faire une levée de fonds peu de temps après.
« Après l’avoir rencontré une première fois à Le Web, on a été reçu par Phil Libin (fondateur d’Evernote, ndlr) pour recevoir ce prix de la meilleure application de l’année. Entre les barbecues à l’américaine, la rencontre avec les fondateurs de Zapier et les rendez-vous investisseurs à Palo Alto, c’était probablement l’un des pics de l’aventure. » Grégory Lefort exhume ce souvenir d’une période sans nuages pour Azendoo, créée en décembre 2010. Ils n’allaient pourtant pas tarder à s'amasser dans le ciel. Et pour cause, Slack, Trello, Asana ou Microsoft Teams allaient bientôt se lancer sur le même créneau.
La difficulté de faire un choix pour Azendoo
« On s’est fait écraser par le haut et par le bas en même temps, résume-t-il sans animosité apparente. Slack est arrivé et a pris tout le marché des startups et des petites équipes avec un modèle économique basé sur du gratuit. Et trois mois après avoir approché Azendoo pour une acquisition, Microsoft est arrivé avec Teams qu’ils ont niché dans la suite Office pour décourager les entreprises de prendre de petites applications à côté. On fait face en 2019 à un mur de dettes. »
Azendoo avait déjà connu un moment de flottement qui avait failli lui être fatal en 2016. En effet, alors que deux stratégies se présentaient devant la startup bordelaise, l’équipe était incapable de se décider pour l’une ou l’autre. D’un côté, il y avait la tentation de se concentrer sur l’acquisition client pour se pencher sur la question de la monétisation plus tard. Un scénario privilégié par leurs contacts aux États-Unis et notamment quelques fonds qui étudiaient un investissement chez Azendoo. De l’autre, il y avait l’obsession des fonds français pour le chiffre d’affaires et le fait de se concentrer sur la vente BtoB. « On se préparait comme si on allait suivre les deux scénarios, et cela a failli nous tuer », confesse Grégory Lefort.
La fin de l’histoire arrivera finalement en 2020 lorsque Azendoo se revendra à Alltech, une entreprise bordelaise alors en plein essor. « L’aventure entrepreneuriale, c’est surtout endurer, explique Grégory Lefort. C’est d’épreuve en épreuve… et continuer, sans naïveté, jusqu’à ce que cela réussisse. Et quand tout ne se passe pas comme prévu, c’est savoir où s'arrête la résilience et où commence l'entêtement. »
Les combats d’un entrepreneur
« Ce n’est pas un échec, martèle-t-il. À la limite, c’est un échec administratif. L’entreprise n’a pas été là où nous le souhaitions mais je ne considère pas que ce soit un échec que d’avoir créé de zéro une application qui a été utilisée par plusieurs centaines de milliers de personnes et qui a apporté de la valeur à de nombreuses entreprises. »
La preuve, avant même la fin d’Azendoo, l’entrepreneur était déjà en train de transformer l’ensemble de ses apprentissages pour accompagner l’écosystème bordelais. Ce projet, nommé Héméra, s’est créé avec la vocation d’apporter des lieux fédérateurs, ainsi qu’un accompagnement pratico-pratique basé sur l’expérience des entrepreneurs. Si la première Halle s’est ouverte à Bordeaux en 2019, deux nouveaux lieux ont rapidement suivi dans la capitale girondine, avant Limoges en 2022 puis Agen en 2023.
Grégory Lefort ne s’arrête pas là puisqu’il est aussi Venture Partner du fonds ResiliAnce, qui a l’ambition d’accélérer la transformation digitale, économique et durable pour les chaînes de valeur agro-industrielles mondiales. Un fonds qui s’avère être lancé par un corporate puisque c’est le géant du cacao, café et épices Touton qui en est à l’origine.
Homme de tous les combats, Grégory Lefort se bat aussi contre la maladie. « Il y a deux ans, on m’a découvert un cancer du pancréas, confie-t-il à Maddyness. Les statistiques n’étaient pas en ma faveur mais pour l’instant je les ai déjouées. J’ai perdu mon insouciance mais chaque minute gagnée est une victoire que je goûte pleinement et qui me porte. »
En dehors des radars pendant quelques temps, Grégory Lefort a pourtant repris ses activités là où il les avait laissées. Cette expérience n’a donc pas révélé de dissonance cognitive chez l’entrepreneur : « J’aurais pu tout lâcher mais revenir et soutenir l’entrepreneuriat m’a confirmé que j’avais trouvé ma voie. Je fais ce que j’aime faire. »
L’aventure se poursuit donc pour Grégory Lefort et Benoît Droulin, de nouveau son associé pour l’aventure Héméra : une présence constante qui l’a épaulé dans toutes les réussites et dans tous les coups durs.