D’apparence hétéroclite, le parcours de Bertrand Piccard est profondément cohérent. Petit-fils du physicien Auguste Piccard et fils de l’océanographe Jacques Piccard, Bertrand Piccard est un explorateur. Il commence par l’exploration du monde intérieur en devenant psychiatre, avant de s’attaquer à l’exploration du monde extérieur en embarquant dans un avion solaire ou une montgolfière. Dernièrement, il concentre ses efforts sur les actions de la Fondation Solar Impulse, où il explore d’autres manières de penser et de faire de l’écologie.
« J’ai une grande frustration face à une situation du monde qui devrait être meilleure que celle-ci, beaucoup plus harmonieuse, autant au niveau psychologique que philosophique, humaine, qu’environnementale. D’où un désir d’essayer de changer ce que je peux changer », explique Bertrand Piccard à Maddyness. Il ne manque pourtant pas grand-chose, reconnaît-il, tant les solutions sont nombreuses pour venir répondre à nos problématiques actuelles.
Un monde "archaïque" selon Bertrand Piccard
Quand il se lance le pari de faire le tour du monde dans un avion solaire, les acteurs de l’aéronautique et de l’énergie lui assurent l’impossibilité du projet. « Ils me disaient que le Soleil ne donnait pas assez d’énergie. Et ce qui nous a permis de réussir, ce n’est pas d’augmenter la force du Soleil, mais de diminuer le besoin de consommation de l’avion. C’est-à-dire de rendre l’avion beaucoup plus efficient. Et après avoir réussi, je me suis dit qu’il fallait chercher des solutions d’efficience pour tous les secteurs : pour l’eau, pour l’énergie, pour la mobilité, pour la construction, l’industrie, l’agriculture, la gestion de déchets … Notre monde est inefficient, il est archaïque. Si l’on est dans une situation environnementale aussi grave, c’est parce que nous sommes dans un monde gaspilleur, inefficient et obsolète. Il faut trouver des solutions pour moderniser notre monde et arrêter ce gaspillage. »
Avec la Fondation Solar Impulse, il commence donc à labelliser des solutions à la fois écologiques et rentables économiquement. S’il s’était d’abord fixé l’objectif d’en réunir 1.000, Bertrand Piccard annonce fièrement avoir dépassé les 1.600 à date. « Ce que je voudrais, c’est maintenant avoir un registre exhaustif de toutes les solutions qui existent dans le monde pour protéger l’environnement de manière économiquement viable. Tout en continuant à les promouvoir et à les amener aux gouvernements, aux entreprises et aux institutions comme les Nations Unies. »
De nouveaux narratifs pour le climat
Mais pour changer le monde, encore faut-il commencer par changer la manière de parler de ce monde. En effet, à l’occasion de la COP28, la Fondation Solar Impulse a souligné l’importance de venir créer un nouveau narratif climat. « Il faut montrer la transition écologique comme quelque chose d’enthousiasmant pour les entreprises et les politiques, plutôt que comme quelque chose de cher et de sacrificiel… sinon cela va créer trop d’opposition et de résistance. En tant que psychiatre, j’ai appris qu’il fallait parler le langage de son patient. Quand vous êtes face à un patient qui doit changer, vous devez aussi voir comment contourner les résistances du patient. Le patient qui vit une crise voudrait toujours que les autres changent plutôt que lui. Il faut alors lui donner confiance dans le changement, lui donner envie de changer. La transition écologique, c’est exactement la même chose : on est en face de personnes qui ne veulent pas changer… que ce soit le monde politique, économique ou les citoyens. Les gens ne veulent pas changer. Mais il faut leur montrer les avantages de ce changement, leur donner confiance en leur montrant qu’il y a des solutions qui vont améliorer leur qualité de vie. Vous devez leur présenter un futur qui est désirable. »
Bertrand Piccard propose ainsi un nouveau vocabulaire de la transition écologique, partant du constat que le monde économique et écologique ne pourront s’entendre que s’ils parlent le même langage.
COP28 : le meilleur résultat possible
Quel est donc l’avis de Bertrand Piccard sur la COP28 ? « Plus les jours passent et plus je me dis que c’était le meilleur résultat que l’on pouvait obtenir. Je peux vous dire qu’avec des pays producteurs de pétrole qui avaient menacé de tout bloquer, ce qui s’est passé est le plus ambitieux de ce qui pouvait se faire. »
Le résultat n’est en revanche pas satisfaisant pour les militants écologistes qui espéraient des engagements plus ambitieux. Mais il n’est pas non plus satisfaisant pour les acteurs de l’industrie pétrolière qui ont accepté la mention du besoin de sortir des énergies fossiles. Au final, chaque camp ressort de l’événement avec autant de victoires que de défaites, et c’est peut-être justement cela qui va permettre le rapprochement des deux mondes que Bertrand Piccard appelle de ses vœux.
« Il faut que l’écologie et l’industrie se réconcilient. Il faut que la gauche et la droite de l’échiquier politique arrêtent d’être aussi clivées. L’écologie ne devrait pas être une idée de gauche. En Suisse, un parti vert libéral s’est créé. Je trouve que c’est une manière de résoudre le clivage. »
À force de COP et d’actions, Bertrand Piccard nourrit l’espoir que les deux mondes se rapprochent inexorablement. À voir si la collision des deux se fera à temps. « Quand on voit toutes les solutions économiquement viables qui existent et qui pourraient être introduites très rapidement, je me dis qu’il y a énormément d’espoir. Quand je vois le temps, l’être humain dans son inertie, son court-termisme et son égoïsme, cela tempère mon espoir. »