Mise en faillite pour WeWork, placement en redressement judiciaire pour l’insurtech Luko…Outre-Atlantique comme en Europe, les exemples de scaleups ayant connu des périodes d’euphorie et qui font aujourd’hui face à des difficultés financières sont nombreux. Loin de se jouer en un seul acte, leur chute fait l’objet de feuilletons aux multiples rebondissements : repreneurs qui se rétractent, créanciers ou actionnaires qui font échouer des accords, etc…
WeWork comme Luko avaient pourtant été précurseurs sur des marchés porteurs. Si leurs idées ne sont pas remises en questions, les stratégies de financement le sont. Un sujet d’autant plus scruté dans un contexte où les entreprises ont plus de mal à se financer et où les problèmes de trésorerie se multiplient au fur et à mesure que les durées s’allongent entre deux tours de financement. Alors, comment gérer au mieux les difficultés financières et les relations avec ses investisseurs ? Et surtout, comment anticiper au mieux ce genre de situations dès que des investisseurs externes entrent au capital ? Maddyness s’est entretenu avec Fabrice Piollet, associé Private Equity et Timothée Gagnepain, associé Restructuring au sein du cabinet d’avocats McDermott Will & Emery.
Quelles solutions juridiques à disposition des startups en difficultés financières ?
« L’histoire de WeWork est intéressante, elle est symbolique d’une période de valorisations excessives », introduit Timothée Gagnepain. Après une période d’euphorie et de levées records, nombreuses sont les startups qui rencontrent aujourd’hui des difficultés financières et se retrouvent soumises à des décisions de justice. « Le capital-risque a toujours flirté avec la frontière du dépôt de bilan, mais aujourd’hui la prise de conscience du risque est accrue, car les relais de financement se trouvent moins facilement », commente Fabrice Piollet.
Difficile d’appliquer les solutions traditionnelles aux startups dont le modèle économique est différent de celui d’entreprises établies. « Les procédures collectives telles que les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire sont dans la pratique peu adaptées aux startups », souligne Timothée Gagnepain. Ces procédures permettent en effet en général une prolongation de l’activité avec un gel temporaire des créances. Cependant, les sociétés doivent continuer à payer leurs charges courantes : salaires, loyers, etc… Par ailleurs, ce temps doit permettre de restructurer une dette, qui à terme devra bien être remboursée. « Or, par définition, une startup ne fait pas de marge, au contraire, elle consomme de la trésorerie. Ce type de procédure ne peut donc pas fonctionner », analyse Timothée Gagnepain.
Pour les startups, il existe des procédures à l’amiable, comme les mandats ad hoc ou la conciliation. « Ces dernières années, nous avons sensibilisé les présidents des tribunaux de commerce et les administrateurs judiciaires pour pousser l’utilisation des procédures à l’amiable », explique Timothée Gagnepain. « Nous avons aussi dû convaincre les entrepreneurs de privilégier ce type de procédures, ce qui n’a pas toujours été facile. En effet, ouvrir de telles procédures officialise les difficultés, force à réduire les charges, à se séparer d’une partie des effectifs, tout cela dans l’objectif d’augmenter le runway », poursuit-il. « Ces procédures souffrent encore d’un déficit de popularité, mais elles sont de mieux en mieux comprises par le marché et les différentes parties prenantes comprennent qu’elles peuvent permettre un alignement des intérêts », ajoute Fabrice Piollet.
Toutefois, ces procédures à l’amiable ne constituent pas une solution miracle, elles sont un outil qui permet de gagner du temps pour se remettre à flot dans l’objectif d’une nouvelle levée ou d’une vente. De plus, elles impliquent une coopération des différentes parties prenantes. Afin de les faciliter et plus généralement d’éviter des blocages ou des tensions entre les investisseurs et les entrepreneurs, de bonnes pratiques doivent être instaurées dès les toutes premières levées de fonds.
Comment se prémunir de certains risques ?
« Le premier conseil peut sembler assez bateau, mais il demeure trop souvent négligé par certains entrepreneurs : il faut bien choisir ses partenaires », rappelle Fabrice Piollet. En pratique, dans une dynamique de course à la valorisation, beaucoup d’entrepreneurs avaient jusqu’alors tendance à aller au plus offrant sans toujours regarder dans le détail le track-record et la capacité à suivre. Au-delà de l’argent, les investisseurs offrent des degrés d’expertise et d’accompagnement bien différents. « En cas de difficultés, si les membres du board comprennent les enjeux de l’industrie, c’est un vrai atout », avance Fabrice Piollet.
Ensuite, en fonction du profil du partenaire, l’entrepreneur peut être plus ou moins ouvert sur son rôle et son poids dans la gouvernance. « Lors des premiers tours de financement, nous conseillons à nos clients entrepreneurs de faire le maximum pour garder leur capacité à aller financer la société auprès de tiers », explique Fabrice Piollet. L’avocat fait référence à une clause relativement courante dans les term sheets classiques, qui donne la possibilité aux investisseurs de préempter toute opération future. « Nous recommandons aux entrepreneurs de ne pas accepter et de proposer un droit de suivre plutôt qu’un droit de préemption afin d’éviter des situations de blocage », commente Fabrice Piollet.
De manière générale, les avocats encouragent leurs clients à être très vigilants concernant les droits octroyés aux investisseurs historiques. « Un pacte d’actionnaires bien fait dès la série A protège l’entrepreneur et n’a pas vocation à être intégralement renégocié à chaque opération », rappelle Fabrice Piollet. Le pacte d’actionnaires peut aussi prévoir d’accueillir des indépendants, qui n’occupent ni des fonctions d’actionnaires ni de management, et qui pourront intervenir avec une position neutre en cas de conflits entre les managers et les actionnaires. « Mieux rédiger les pactes pourrait permettre de régler plus facilement certaines situations. Aujourd’hui, certaines de ces situations sont déjà résolues grâce aux procédures à l’amiable, et à l’avenir, en continuant à améliorer les pratiques, on pourrait éviter des situations complexes », conclut Timothée Gagnepain.