Les entrepreneurs qui s'apprêtent à lever des fonds se posent forcément cette question : existe-t-il une recette magique pour être sûr de céder la bonne part de capital à la bonne valorisation ? Avant toute chose, les experts conseillent de revenir à une approche pragmatique et rationnelle. « Trop d’entrepreneurs s’identifient et se comparent à des ovnis. Par ovnis, j’entends des entrepreneurs qui lèvent des millions sans faire de chiffre d’affaires, ou très peu. Mais ce sont en général des serial entrepreneurs qui ont du pedigree, qui sont matures, très connectés, il ne faut pas s’identifier à eux ! C’est l’un des plus gros problèmes de l’investissement early-stage en France » , soulève Amaury Boelle, fondateur de Kickston, une banque d'affaires qui accompagne les entrepreneurs dans les levées de fonds et opérations de M&A.
Alors quels sont les paramètres à prendre en compte quand on n’est pas Antoine Martin, le fondateur de Zenly ? Comment les standards évoluent-ils en fonction du contexte de marché ? Comment être certain de ne pas se retrouver à court de cash ou à un niveau de valorisation rédhibitoire pour les levées suivantes ?
Dimensionner son besoin : la base en early stage
Pour Alexandre Henault, associé-fondateur chez Leuwen, une entreprise indépendante de conseil stratégique et financier dédiée aux entrepreneurs, la première chose à faire est de bien dimensionner son besoin et d’en définir l’utilisation. « On regarde le business plan, la trésorerie, l’historique de croissance, mais aussi le pipeline commercial », explique l’associé dont l’un des métiers est précisément le conseil en levée de fonds. « Il est difficile de connaître son besoin de financement avant d’avoir fini son business plan. C’est une étape nécessaire pour avoir une idée suffisamment précise de la répartition du montant en dilutif (equity) et en non dilutif (dettes) », ajoute Amaury Boelle.
« Le besoin et l’utilisation des fonds sont dérivés du business plan : embauches, dépenses opérationnelles, marketing, investissements. En tenant compte de ces dépenses, on peut évaluer son cash burn, autrement dit les liquidités dépensées tous les mois, et ainsi dimensionner, en prenant également en compte les investissement, son besoin de financement », poursuit Alexandre Henault. En théorie, une levée de fonds doit permettre à la startup de se donner un certain nombre de mois de cash runway (minimum 12 à 18 mois), c'est-à-dire de temps avant d’arriver à court de trésorerie. Mais à combien correspond ce montant ?
« Il est difficile de faire des moyennes générales, car chaque projet et chaque industrie sont différents, mais en pré-seed, on peut aller chercher quelques centaines de milliers d’euros, en seed entre 300 000 et 1,5 million. Au-dessus du million de chiffre d’affaires, en pré-série A ou série A, on peut aller voir des family offices et des fonds d’investissements et viser plusieurs millions », partage Amaury Boelle. Son cabinet se concentre sur les séries A, quand les associés de Leuwen - tous anciens de Rothschild & Co - accompagnent plutôt des sociétés à partir de la série A-B.
Dernière chose à prendre en compte, le contexte de marché et les potentielles difficultés sur les futures levées. « Aujourd’hui, je conseille aux entrepreneurs de lever un peu plus qu’avant pour se développer avec plus de sérénité dans un espace de temps qui sera plus long jusqu’à la prochaine levée », partage Claudia Vlagea, qui dirige le family office du Groupe Duval.
Quelle méthode de valorisation appliquer quand les revenus sont encore faibles voir nuls ?
Une fois que le besoin est bien dimensionné, il faut alors calculer la valorisation de la startup. « La méthode de valorisation pertinente dépend du stade de maturité de l’entreprise. Pour les plus jeunes startups, appliquer des multiples d’ARR (Annual Reccuring Revenue), de GMV (Gross Merchandise Value) ou d’EBITDA n’a pas vraiment de sens. Ce sont des metrics qui sont utilisés plus tard, voire dans le cas de l'EBITDA, pour des sociétés rentables uniquement », partage Alexandre Henault. La valorisation repose sur une approche triangulaire : dilution cible, montant nécessaire et multiple implicite, ce dernier étant, pour les entreprises les plus jeunes, influencé par la croissance de l’entreprise et le secteur dans lequel elle évolue.
« L’entrepreneur doit définir sa dilution cible maximale », insiste Alexandre Henault. Il indique une moyenne autour de 25% sur les premiers tours. Pour Amaury Boelle, en pré-seed, il faut viser 10 ou 15%, en seed, autour de 20% et en série A entre 20 et 30%. Chez Kickston, les associés regardent les comparables pour avoir une idée de la moyenne sur le marché et appliquent un pourcentage de dilution au montant recherché. « Nous recommandons aux entrepreneurs de donner une fourchette aux investisseurs. Je lève Y et je suis prêt à lâcher entre X et Z », explique-t-il concrètement.
« Quand les entreprises sont très jeunes, il faut anticiper les potentiels prochains tours de tables pour définir son niveau de dilution », indique Amaury Boelle. « Quoi qu’il arrive, le management doit rester majoritaire post série-A pour que l’entrepreneur incarne son entreprise et soit totalement aligné avec son projet entrepreneurial, c’est une condition sine qua none pour de futures levées », alerte Claudia Vlagea.
Trouver le bon équilibre et penser long terme
« La levée de fonds ne doit pas être une course à la valorisation, vouloir la plus haute valorisation possible est souvent une grosse erreur. Plus la valorisation est haute, plus il va être compliqué de lever sur les tours suivants ou de séduire de potentiels acquéreurs. C’est d’autant plus marqué dans un contexte de crise du financement », insiste Amaury Boelle. « La valorisation a toujours été un sujet, mais c’est encore plus le cas aujourd’hui dans un marché ralenti et exigeant », confirme Claudia Vlagea. Pour elle, cela rend plus fragile la méthode de valorisation classique qui reposait sur la confiance des investisseurs en la capacité des sociétés à relever lors des prochains tours de financement.
« J’encourage les entrepreneurs à moins se concentrer sur les niveaux de valorisation, mais surtout à se projeter avec des investisseurs de plus long terme, qui seront capables de réinvestir si besoin et de les accompagner », partage Claudia Vlagea qui précise qu’aujourd’hui, elle n’irait pas sur des valorisations avec 15% de dilution, compte tenu des risques qui sont pris. Si les montants demandés sont plus élevés et que les valorisations doivent être corrigées, cela obligera certainement les investisseurs à se diluer un peu plus et à revenir à des niveaux de valorisation plus raisonnables.