HEC, Polytechnique, La Sorbonne, Centrale-Supélec... les annonces de fonds lancés par les élites du secteur académique français s’enchaînent ces dernières années. Les grandes écoles et universités françaises emboîtent le pas à leurs homologues américaines. Toutes proportions gardées. « Aux États-Unis, les universités sont majoritairement privées avec des fonds privés », explique Florence Allouche, partner du fonds Sorbone Ventures lancé en novembre 2023. Cette réalité américaine contraste encore avec la tradition française, mais le paysage change. « Derrière le lancement de ces fonds, il y a une vraie stratégie de propriété intellectuelle. Les universités investissent dans les chercheurs qu’elles forment », avance Florence Allouche.
Si le phénomène n’est pas nouveau aux États-Unis, il est relativement récent en Europe continentale. Les premiers à avoir suivi le mouvement ont été les universités britanniques, Oxford et Cambridge. « C’est une question de momentum. Aux États-Unis, l’écosystème d’innovation est beaucoup plus ancien. En France, il a fallu attendre 2015 pour que l’écosystème démarre vraiment. On a ensuite dû attendre l’émergence d’une première génération d’entrepreneurs à succès qui a du temps et de l’argent à consacrer à la seconde génération », explique Cédric Curtil, directeur de CentraleSupélec Ventures, un fonds lancé il y a environ deux ans sous la houlette de Jean-Marc Patouillaud et Pierre Martini, les parrains du fonds dans la communauté alumni.
Quelle place pour les fonds académiques dans l’écosystème VC ?
Aujourd’hui, les conditions semblent rassemblées, d’autant plus que l’appétence des étudiants des grandes écoles pour l’entrepreneuriat s’est affirmée. « Beaucoup d’écoles ont envie de créer des fonds, mais toutes ne peuvent pas se lancer, il faut une vraie culture de l’entrepreneuriat, un réseau d’alumni fondateurs conséquent, et une équipe opérationnelle compétente », nuance Cédric Curtil.
CentraleSupélec Ventures vise une taille cible de 25 millions d’euros, pour Generations powered by EDHEC, elle est de 40 millions d’euros et pour Sorbone Ventures, de 100 millions d’euros. Mais comment ces nouveaux fonds, souvent petits par la taille, tirent-ils leur épingle du jeu dans un écosystème ou les fonds de capital-risque sont déjà bien nombreux ?
Pour Sorbonne Université, c’est le choix d’une thèse d’investissement bien définie autour de l’innovation dans la santé, rendue pertinente par son écosystème hospitalo-universitaire. « Les fonds originaires du secteur académique sont généralement un peu plus petits. Quand on a des moyens limités, mieux vaut être spécialiste que généraliste », déclare Florence Allouche.
CentraleSupélec aussi mise sur un positionnement différencié. « Nous sommes capables de comprendre ou de trouver le moyen de comprendre des choses compliquées. Nous avons un rôle de traducteur entre les entrepreneurs très tech et les grands fonds. Quand nous voyons une innovation scientifique ou technologique intéressante, mais difficile à comprendre, nous sommes capables, en investissant, de la valoriser auprès des autres fonds », partage Cédric Curtil.
Un écosystème vertueux
Si tous ces fonds misent sur leur écosystème académique, aucun ne se limite stricto-sensu à des fondateurs alumnis. CentraleSupélec Ventures par exemple, s’adresse aussi aux startups passées par les différents systèmes d’accompagnement de CentraleSupélec ou à celles qui pourraient travailler avec ses laboratoires. Sorbone Ventures, quant à lui, bénéficie du dealflow des deux fonds auxquels il est associé, Audacia et Aloe Private Equity.
Opérationnellement, les méthodes varient, CentraleSupélec compte par exemple sur sa propre équipe internalisée quand l’EDHEC a choisi de travailler avec Ring Capital et la Sorbonne avec Audacia et Aloe Private Equity.
Tous ces fonds partagent l’ambition de créer un cercle vertueux de l’innovation. « Nous avons voulu associer l’école avec les alumnis pour créer un fonds d’investissement sur le modèle des alumni funds américains. Cela crée un cercle vertueux où l’école est capable de produire des entrepreneurs, qui par la suite pourront eux-mêmes apporter à la communauté en tant qu’alumni », partage Cédric Curtil.
Un cercle vertueux nourri également par le réemploi du carried par la plupart de ces fonds. Pour le fonds de l’EDHEC par exemple, le carried interest, autrement dit les résultats de la surperformance du fonds, seront reversés à hauteur de 50% à l’association EDHEC Business School. « Tout l’argent servira à l’association, pour la recherche, l’entrepreneuriat et l’ouverture sociale à travers l’octroi de bourses d’études », commente Emmanuel Métais, Directeur général de l’EDHEC Business School.