Phil Jeudy est intarissable lorsqu’on lui demande des histoires et anecdotes sur l’écosystème entrepreneurial. Toute personne qui s’est rendue aux événements startups à Paris autour de 2005 a forcément croisé cet homme à la carrure imposante, avec sa longue chevelure blonde et sa barbe de cinq jours. Malgré tout, Phil Jeudy a surtout œuvré dans l’ombre, participant à l’organisation de nombreux événements et barcamps à l’orée de la deuxième vague internet.
Rien ne le destinait pourtant à rejoindre ce monde-là. Originellement directeur financier pour plusieurs entreprises (et notamment une filiale d’Electrolux), Phil Jeudy va entrer dans le monde de l’entrepreneuriat, comme beaucoup, grâce à une rencontre. Pour lui, c’est celle de James Rebours, directeur général de Sega France : « C’est un visionnaire, il a une grande intelligence et une grande bonté et il m’a recruté alors qu’il voulait faire avancer le mobile gaming chez Sega. Un sujet qui n’existait pas à l’époque. J’ai donc commencé par faire une étude de marché sur le business mobile à l’échelle européenne et je me suis retrouvé à la tête d’un portefeuille sur l’Europe du Sud. » C’est là qu’il attrapera le virus : il ne retournera jamais en direction financière.
“Donner du caviar à des cochons”
Le parcours de Phil Jeudy sera ensuite une succession d’expériences très diverses : évangéliste pour la startup Dismoioù/TellMeWhere, blogueur pour différentes publications, mais aussi cofondateur d’Altaide Valley (filiale d’un cabinet de recrutement français fondé par Jacques Froissant) où il fera office de pont entre la France et la Silicon Valley pour aider les startups hexagonales à se lancer sur la terre tech promise. « Mon parcours est clairement un patchwork, reconnaît l’intéressé. Mais les mots clefs derrières, c’est la passion, la technologie, la curiosité et l’humain. La matière humaine, c’est quand même la plus belle. »
Phil Jeudy est ainsi et avant tout un connecteur, puisqu’il va inlassablement emmener des groupes dans la Silicon Valley entre 2007 et 2015 pour permettre à de nombreuses entreprises de s’inspirer à la source. Il se rappelle avec le sourire de ce premier « Geektrip » : « Le premier, c’était 3500€ tout compris (billets d’avion et hôtel). Tu restais huit jours et tu avais vingt meetings dans la semaine. »
C’est pendant cette période que Phil Jeudy va croiser la route de figures de l’internet américain : de Gary Vaynerchuk à Robert Scoble, en passant par des fondateurs ou grandes figures chez Twitter, Facebook, Yammer, 23andMe et tant d’autres. Il ressort pourtant de ces sept années avec un constat amer. « J’ai eu l’impression de déployer beaucoup d’énergie en pure perte. J’ai créé des moments magiques pour des gens qui n’ont pas vraiment profité de ces opportunités. Il ne se passait quasiment rien derrière. Des fois, j’ai vraiment donné du caviar à des cochons. »
Toujours le partage chevillé au corps
Aujourd’hui, à l’approche de la soixantaine, il se montre assez critique sur l’évolution de l’écosystème. « Sur ces vingt dernières années, il y a eu tellement de belles histoires. Et en même temps, c’est réservé à une certaine catégorie de personnes et il y a aussi des gens qui se sont suicidés au passage… c’est le cas d’un entrepreneur qui voulait créer un réseau social concurrent de Facebook et que j’ai rencontré 15 jours avant sa mort. C’est devenu une industrie avec des startups qui ont détruit des écosystèmes. Financés par des venture capitalists qui ont créé un star-system qui a fait beaucoup de dégâts. »
Phil Jeudy veut pourtant continuer d’apporter sa pierre à l’édifice. Il est ainsi actif au sein d’un groupe de business angels pour identifier les opportunités d’investissement. Il a aussi écrit un livre où il raconte notamment les échecs d’entreprises américaines et les apprentissages à en tirer. Il lui cherche actuellement un éditeur.
« J’ai envie de transmettre d’une façon incroyable, explique-t-il. Parce que j’ai lu la plupart des livres qui ont été écrits sur la Silicon Valley et c’est souvent du grand n’importe quoi. Ce livre, c’est un moyen pour moi de témoigner. » Actuellement basé en Ukraine où il a suivi sa compagne, il essaye aussi de se montrer utile sur place. « Je veux voir comment je peux aider ici en Ukraine, d’une façon ou d’une autre. Mais c’est extrêmement compliqué. Les gens n’ont pas la tête à ça. »