Vous créez une entreprise et vous choisissez avec soin votre core-team : les tous premiers collaborateurs qui vous rejoignent pour donner vie au projet. Directeur commercial, CTO, Business Analyst… Ces profils-là arrivent rapidement. Mais parmi ces piliers, il n’y a jamais - ou presque - de DRH. Et curieusement, cela n’étonne personne. Un DRH, pour quatre ou cinq salariés ? « Inutile ». Pour vingt ? Non plus. La plupart du temps, le poste n’apparaît qu’aux alentours du 50e recrutement.
Et ce phénomène n’est pas limité aux startups, comme le souligne Eric Gras, directeur de l’expertise Emploi pour Indeed en France. « En France, comme en Espagne ou en Italie, nous sommes un pays de PME : ce sont elles qui forment plus de 90 % de notre tissu économique. Or, dans n’importe quelle PME française, en-dessous de 50 collaborateurs, la direction des Ressources Humaines n’est pas envisagée dans le business plan de départ. Elle reste considérée comme une fonction administrative. C’est le patron, en meneur d’hommes, qui pense à la fois le recrutement, le management et la montée en compétences de ses équipes. »
Une affaire de survie
Mais le marché est en train de basculer, au point qu’il devrait bientôt inviter les entrepreneurs à changer de posture. C’est structurel, explique Eric Gras : notre taux de chômage s’est réduit de 10 à 7 % et nous nous dirigeons vers le seuil incompressible du plein emploi que les Allemands par exemple ont déjà atteint.
On trouve donc plus d’offres que de candidats, mais aussi un changement d’attentes du côté des collaborateurs, qui demandent à être managés de manière personnalisée, en tant qu’individus. « C’est ainsi que les entreprises commencent à se rendre compte que la fonction RH est essentielle à leur survie, reprend Eric Gras. Sans DRH pour gérer le bien-être au travail, la diversité ou l’inclusion, il n’y a pas d’équipe durable… et l’entreprise perd immédiatement en compétitivité. »
On le voit bien sur les secteurs pénuriques de l’aide à la personne (+340 % d’offres d’emploi) ou encore de l’hôtellerie-restauration (-10 % de candidats, malgré les +18 % sur les salaires) : vous avez beau être le patron et vous lancer sur un marché ultra-porteur, il ne suffit pas de décréter 25 points de croissance pour l’an prochain. Sans équipe, vous pouvez oublier vos objectifs.
Rendre « actionnable » l’intangible
Le DRH passe - lentement - d’un rôle d’exécutant à un rôle stratégique, comme en témoigne Pauline Paquet, Head of Startup Success pour le fonds XAnge : « Ces dernières années, nous avons vu émerger des DRH qui sont des “sparring-partners”. Finis, les administratifs. Ils montent au ComEx, ils comprennent à la fois la vision et le business plan. Leurs salaires ont augmenté de 40 % à 100 % par rapport à 2018. »
Et la jeune femme s’en réjouit, elle qui croit profondément à l’impact de la DRH et qui conseille à ses protégés de ne pas négliger cet aspect. « Il est clef, surtout pour les startups où l’on vit à la fois des plans de recrutement très ambitieux et des crises brutales. Quand on a seulement 18 mois pour passer de 0 à 30 salariés, comme nous l’évoquons dans une étude dédiée, réduire le DRH à un job de recruteur est une sacrée erreur. Un recruteur sélectionne et convainc les talents. Un DRH, c’est un stratège qui accompagne la croissance au même titre que toute autre fonction du ComEx. »
XAnge a financé Lydia, Odoo, Welcome to The Jungle, AB Tasty… « Nous poussons les fondateurs à réfléchir à leur culture d’entreprise, poursuit Pauline Paquet. Le CEO doit incarner cette culture bien sûr, mais pas tout seul. Le DRH est celui qui réussit à rendre actionnable quelque chose d’aussi intangible qu’une culture d’entreprise… Il doit être capable d’ancrer les messages, de les répéter… et de les remettre en question au fil des années. »
Temps partagé et échanges entre pairs
En intégrant dès l’amont la fonction RH, on s’évite aussi de panser les plaies lorsqu’il est trop tard ou d’essayer de faire vivre une culture d’entreprise… qui n’existe pas. Les CEO qui l’ont compris tireront probablement leur épingle du jeu, en particulier dans la tech, dont le climat « progressiste » masque parfois des gouffres en matière de management.
« Choisissez un DRH le plus tôt possible - et cela peut très bien être un DRH à temps partagé, compétent et (légitimement) cher. Pensez-y : il doit être capable de vous challenger », reprend Eric Gras, chez Indeed.
Autre piste, soulevée par Fabien Rault, HR Innovation Partner au Lab RH : le partage d’expérience entre CEO. « Bien sûr qu’il faut dégager du revenu pour pouvoir payer le salaire d’un DRH. Alors souvent, le startupper commence par trouver d’autres chemins : il s’adresse à un avocat par exemple, s’il rencontre un problème avec un salarié. Ou il se tourne vers ses pairs. C’est dans ces discussions spontanées ou organisées par les réseaux d'entrepreneurs qui maillent l'écosystème, que l’on arrive à “parler vrai”, exposer ses doutes et affiner ses choix. »
« Calculer le ROI d’un DRH, c’est à la portée de tout le monde, mais personne ne le fait, conclut Eric Gras. On connaît pourtant le coût d’un mauvais recrutement, le coût du turn-over, et même celui d’une marque-employeur faible. Les entreprises bien notées par rapport à la moyenne de leur secteur reçoivent 20 à 30% de candidatures de plus que les autres. »