Le monde des startups, et plus encore celui de la livraison de repas où il est difficile de dégager des marges, est particulièrement darwiniste. Et à l’heure où les financements sont plus difficiles à décrocher sur le marché du capital-risque, les acquisitions, cessions, liquidations et autres procédures de redressement battent leur plein. C’est dans ce contexte anxiogène pour les sociétés dans le rouge que Frichti a vécu 18 derniers mois particulièrement agités.
Rachetée début 2022 par Gorillas, l’ancienne pépite de la foodtech tricolore, placée en redressement judiciaire en mai dernier, est passée par toutes les émotions jusqu’au début de cet automne 2023 où La Belle Vie a repris l’entreprise après avoir convaincu le tribunal de commerce de Paris. Si une nouvelle ère débute pour Frichti au sein de la startup de Paul Lê, ce renouveau s’effectue avec seulement 168 des 334 salariés de Frichti.
Parmi les collaborateurs qui ont fait leurs cartons, il y a Olivia Coville. General Manager de Frichti entre avril et septembre 2023, elle s’est retrouvée en première ligne dans le processus de reprise de l’entreprise tricolore. Pour Maddyness, elle a accepté de revenir sur cette aventure riche en rebondissements.
Olivia Coville appelée pour doper la croissance de la branche B2B
Après quasiment une décennie passée dans les rangs d’Unibail-Rodamco-Westfield, Olivia Coville a débarqué chez Frichti à l’été 2021 pour développer la branche B2B avec l’offre baptisée «La Cafet’». «C’était un challenge de monter une nouvelle activité. La Caf’ était un produit qui était déjà dans les cartons pour créer des restaurants d’entreprise nouvelle génération. Il fallait donc créer une expérience humaine autour de la marque. L’enjeu était d’intégrer les codes du B2C dans les bureaux», se souvient-elle. Le premier restaurant de cette offre a ouvert ses portes en septembre 2021. En un an et demi, une vingtaine d’établissement sont lancés, notamment dans des startups comme Doctolib et Alan, et des groupes du CAC 40.
Convaincus par son approche, les fondateurs de Frichti ont rapidement décidé de lui confier une nouvelle mission. «En décembre 2021, ils m’ont appelé pour s’occuper de la partie dédiée à la livraison de repas au bureau, à savoir la Cantine 2.0. Cette offre avait été lancée en 2019 et l’objectif était donc de faire grossir cette activité. C’était essentiel car le B2B est plus profitable que le B2C», observe Olivia Coville. Une nouvelle fois, elle s’illustre en parvenant à multiplier par deux le nombre de clients (de 3 500 à plus de 7 000) avec des livraisons effectuées dans 200 villes.
Gorillas et Getir, deux géants du quick commerce aux pieds d’argile
Tous les voyants semblent alors au vert, mais les choses vont basculer en 2022, avec le rachat de Frichti par Gorillas, mastodonte allemand du quick commerce. Mais ce dernier sera à son tour absorbé par le groupe truc Getir quelques mois plus tard. Si autant de changements de propriétaire en si peu de temps n’est pas forcément idéal pour la stabilité d’une startup, le tableau était loin d’être complètement sombre, aux yeux d’Olivia Coville. «Il y a eu des stratégies communes tentées par Gorillas et Getir. Ces deux groupes ont souhaité mutualiser les fonctions ops, supply et tech, tout en conservant les spécificités de Frichti. La marque Frichti n’a jamais été remise en question ni par Gorillas ni par Getir», assure-t-elle. Avant d’ajouter : «Nous étions un peu comme les Gaulois : on défendait notre marque, nos process et notre culture d’entreprise.»
Toutefois, la startup tricolore n’était pas au bout de ses surprises… Elle s’apprêtait, sans le savoir, à vivre en 2023 une nouvelle année particulièrement agitée. «En avril, un nouveau Codir est mis en place. Mon rôle est de gérer toute la partie revenus (B2B et B2C) de Frichti. Dans la foulée, les choses se gâtent. Nous sommes placés en redressement judiciaire le 2 mai. L’enjeu est alors de restructurer l’entreprise pour repartir sur des bases plus saines. Nous préparons donc le plan pour redémarrer avec des équipes communes pour les trois marques (Frichti, Gorillas et Getir). Tout doit être mutualisé, y compris les entrepôts. Mais l’idée est toujours de continuer Frichti», explique Olivia Coville.
Dans ce contexte délicat, les choses s’accélèrent durant l’été. La société française se bat alors pour sa survie. «Getir et Gorillas se retirent de plusieurs villes, tout comme Frichti, mais nous sommes l’entité la moins touchée par le plan de restructuration. Finalement, Getir décide de ne plus continuer en France début juillet. On cherche alors des repreneurs pour les trois sociétés (Frichti, Gorillas et Getir). A l’issue de l’audience du 17 juillet, il s’avère qu’il n’y a pas de repreneur sérieux pour Getir et Gorillas et les branches françaises des deux entreprises entrent en liquidation judiciaire. Pour Frichti en revanche, il y a eu quatre offres de reprise, donc le juge a accepté de poursuivre le processus de redressement jusqu’en septembre», détaille l’ex-General Manager de Frichti.
«Malgré le contexte, les salariés sont restés motivés jusqu’au dernier jour»
Pendant ce temps, la société poursuit ses activités, et ce malgré le climat anxiogène qui pèse sur les collaborateurs. «C’est une période particulièrement intense émotionnellement et humainement. Il faut arriver à expliquer la situation aux salariés de la manière la plus transparente possible. Cela induit notamment de leur faire comprendre que tout le monde ne va pas pouvoir être repris. Dans le même temps, il faut continuer à assurer le business. Il était impératif qu’il n’y ait aucune rupture pour éviter que le rachat n’aboutisse pas», observe Olivia Coville. Avant d’ajouter : «Malgré le contexte, les salariés sont restés motivés jusqu’au dernier jour, comme la brigade d’une cinquantaine de cuisiniers près de Rungis qui continuait à préparer 15 000 repas par jour. Il y a un vrai sentiment d’appartenance autour de cette marque. Les gens n’avaient pas envie que Frichti s’arrête et tout le monde avait conscience qu’il fallait continuer à faire tourner la machine.»
La situation s’est finalement décantée à l’approche de l’automne. C’est La Belle Vie, le spécialiste français des courses à domicile, qui est retenu par le tribunal de commerce de Paris pour reprendre les activités de Frichti. «Nous avons eu tout le mois de septembre pour préparer cette reprise. Il y a eu beaucoup d’échanges avec La Belle Vie pour réfléchir au meilleur mode opérationnel. Le Jour-J, leurs équipes ont pu livrer des repas Frichti. Les stocks de produits frais ont été acheminés dans l’entrepôt du XIIe arrondissement. La bascule s’est faite en 48 heures», révèle Olivia Coville.
Vers l’émergence d’une «mafia» Frichti ?
L’officialisation de la reprise de Frichti par La Belle Vie signifie le départ de plus de 160 salariés. «Pour les équipes du siège qui n’ont pas été gardées, cela représente forcément la fin d'une aventure mais aussi l'opportunité se repartir sur de nouveaux challenges», estime Olivia Coville. Une opportunité qu’elle compte elle-même saisir : «Cela fait un mois que je suis en phase d’exploration pour créer une boîte dans le secteur de l’éducation/formation, j’ai aussi un intérêt pour le marché des seniors. Ce qui est certain, c’est que je veux me concentrer sur les expériences B2B2C, mais pas forcément dans la foodtech (Rires).»
Néanmoins, malgré une aventure qui a été complexe et frustrante, elle ne se montre pas trop amère quant à son expérience chez Frichti. «Être dans une scaleup a été un apprentissage complètement dingue. C’était hallucinant, tant au niveau humain que managérial. Évidemment, il y a eu un peu du gâchis avec ces rachats successifs, des compétences se sont perdues en cours de route. Le principal enseignement de cette aventure pour de futurs projets, c’est qu’il faut faire attention à la manière dont on grandit et à la stratégie pour atteindre la rentabilité. Ça remet les pieds sur terre, et cette expérience m’aidera à faire moins d’erreurs dans le futur je l'espère», déclare Olivia Coville.
Et si de nombreux salariés ont été invités à faire leurs cartons, cette dernière veut croire que l’esprit initial de Frichti va perdurer à travers eux. «Il va rester quelque chose de cette aventure et ce seront les gens qui y ont pris part. Il y a beaucoup de talents à recruter parmi eux», estime-t-elle. Des personnes à recruter, mais aussi certaines qui se lanceront certainement dans le bain de l’entrepreneuriat, à l’image d’Olivia Coville. De là à imaginer qu’une «mafia» Frichti puisse voir le jour, il n’y a qu’un pas. Dans ce sens, l’année 2024 donnera de premiers éléments de réponse.