Le capital risque est une discipline particulièrement exigeante en matière de création de valeur financière. Les investissements au capital de startups ambitionnent en effet d’accélérer le développement d’entreprises triées sur le volet afin de permettre aux investisseurs et aux fondateurs de réaliser d’importantes plus-values de cession. Cet « exit » est programmé en moins de 10 ans, même si la quête de la liquidité est un enjeu en soi et que les délais effectifs de sortie sont supérieurs à 7 ans pour la moitié des entreprises financées par les fonds de venture capital.
Quelques calculs simples permettent de comprendre le défi que représentent ces investissements en matière d’objectif de valeur globale de cession des startups financées. Si vous levez 1 M€ en échange de 20 % du capital de votre startup, vous la valorisez 5 M€ « post-money » puisque vos investisseurs souscrivent des actions nouvelles représentant un cinquième de l’entreprise. Dans les faits, vous avez valorisé votre startup 4 M€ « pré-money » (avant l’investissement) et vous conservez vos actions, qui constituent 80 % du capital de l’entreprise après cette opération.
Valorisation post-money et objectif de « money-multiple » pour les investisseurs
Si vos investisseurs ont pour objectif de doubler leur mise en l’espace de 5 ans et qu’aucune nouvelle augmentation de capital n’a lieu entre temps, votre entreprise devra être cotée ou (cas le plus fréquent) cédée pour un montant égal ou supérieur à 2X5 = 10 M€, soit 10 fois le montant investi par eux.
Un doublement de la mise des investisseurs en l’espace de 5 ans représente un rendement annuel de 14,9 % ce qui n’est pas excessif en regard du risque de « tout perdre », du fait de la sinistralité particulièrement élevée chez les startups.
Un raisonnement analogue permet de comprendre la pertinence de cet « objectif 10X » en matière de valeur à terme des fonds propres : si vous levez 1 M€ en échange de 30 % du capital de votre startup, vous la valorisez désormais 1M€/30% = 3,33 M€ « post-money ». Si vos investisseurs sont plus exigeants que dans le premier exemple, tant en matière de pourcentage que de rendement financier et que leur objectif minimum est de tripler leur mise en l’espace de 5 ans sans qu’aucune nouvelle augmentation de capital n’intervienne, votre entreprise devra être cotée ou cédée pour un montant égal ou supérieur à 3X3,33 = 10 M€, soit à nouveau 10 fois le montant investi par eux.
Les valeurs médianes d’exit confirment ce postulat des 10X
Ces ordres de grandeur en matière de pourcentage négocié par les investisseurs sont conformes à la réalité des premiers tours de financements des startups. La banque d’affaires Avolta indique en effet que le pourcentage médian pris par les investisseurs en « seed » (amorçage) est de 29% en contrepartie d’un investissement médian de 1,2 M€ et que le pourcentage médian en « série A » (tour de financement suivant) est de 28% en contrepartie d’un apport médian de 3 M€ (données 2022).
Cette étude indique aussi qu’au moment de leur cession, la valeur médiane des entreprises financées par des fonds de capital risque est de 38 M€ pour un financement médian de 4 M€. Ceci corrobore le multiple de 10 à appliquer aux financements en capital-risque pour estimer la valeur-cible d’une startup au moment de sa cession. Nos 4M€ génèrent en effet une valeur de revente proche de 40 M€.
Ces montants fluctuent naturellement au fil du temps mais les données récentes confortent ce « coefficient 10 » qui a le mérite de permettre d’estimer rapidement l’objectif de valorisation d’une startup au moment de sa cession en fonction du cumul des capitaux investis depuis la création.
En 2021, la valeur médiane des entreprises financées par des fonds de capital risque était de 48 M€ au moment de leur cession, pour un financement médian de 3 M€ ce qui donne un coefficient de 16 en période de bulle. Lorsque la conjoncture est euphorique, les multiples s’envolent, de même que les attentes des investisseurs. Mais notre « coef. 10 » demeure une référence utile en première analyse.
Si vous êtes un entrepreneur, ces ordres de grandeur permettent d’appréhender la valeur à créer si vous faites appel à des investisseurs. Vous pouvez, dans ce cas, voir si vous pouvez faire mieux en termes de valeur de revente : plus rapidement et avec moins (ou davantage) de capital que les montants médians évoqués.
Au-delà des fantasmes dérivés d’Excel
Les valeurs médianes constituent d’intéressants indicateurs de tendance centrale car elles ne sont pas sensibles aux valeurs extrêmes qui impactent les valeurs moyennes, de facto moins édifiantes.
Si vous parvenez à faire financer votre startup par des fonds de capital-risque, vous pouvez tenter de la développer plus rapidement et plus avantageusement que ces données médianes, tant en matière de délais que de valeur de cession. Pour autant, la réalité n’est pas toujours aussi simple qu’une simulation Excel. Ceci explique pourquoi les venture capitalists s’ingénient à sélectionner des équipes exceptionnelles capables de créer en quelques années une valeur économique et financière considérable.
Lorsqu’une startup annonce triomphalement une levée de fonds de 15 M€ en série A, vous pouvez en déduire que ses investisseurs anticipent une revente égale ou supérieure à 150 M€… ce qui n’est pourtant le cas que pour 12,5% des startups financées par les professionnels du capital-risque, soit une startup à succès sur 8. Soyez assurés que la pression sur le management sera à la mesure des enjeux.
Exégèse des effets d’annonce relatifs aux levées de fonds de futures licornes
En ayant à l’esprit cette règle des « 10X », en 2021, lorsque les valorisations tutoyaient les sommets et que l’argent coulait à flot, les startups qui effectuaient des levées de fonds égales ou supérieures à 100 M€ étaient vouées à devenir des licornes, valorisées (cédées ou introduites en Bourse) à terme plus d’un milliard d’euros. Entre temps, plusieurs d’entre elles ont mis la clé sous la porte, notamment des startups de « rapid delivery » dont on pouvait légitimement questionner la force de la proposition de valeur.
Le capital risque est une discipline qui convient à des équipes hors du commun partant à la conquête de gros marchés (supérieurs à 1 Md€) avec des propositions de valeur exceptionnelles… mais cela reste une activité particulièrement darwinienne puisque 50% des investissements dans des startups se soldent par une moins-value (source NVCA) et que seuls 5% des investissements génèrent pour les fonds concernés un multiple égal ou supérieur à 3.