D'après notre recensement des levées de fonds cette année, les startups françaises ont levé 6,2 milliards d'euros depuis janvier, soit moins de la moitié que l'an passé à la même période. En cause : un contexte de contraction des investissements qui se ressent depuis maintenant plus d'un an, avec l'émergence de nouvelles incertitudes liées aux tensions géopolitiques et leurs répercussions inflationnistes.
Le baromètre In Extenso-Essec-France Angels de juillet dernier confirme aussi cette tendance en Europe : les startups sont parvenues à lever 23,2 milliards d'euros au premier semestre contre 44,7 milliards en 2022 à la même période, soit une baisse de 48%. La France maintient sa deuxième place en termes de levées de fonds devant l'Allemagne, qui a récolté 3,9 milliards d'euros au premier semestre mais demeure toujours devancée par le Royaume-Uni (6,5 Mds€).
D'après les données plus récentes récoltées par Dealroom, le Royaume-Uni cumule à ce jour 14,3 milliards d'euros (soit une baisse pour l'instant de plus de 44% par rapport à 2022) tandis que l'Allemagne (-36%) et la France (-51%) atteignent tous les deux 6,7 milliards d'euros. La suite est occupée par la Suède avec 4,4 milliards d'euros (-11%), les Pays-Bas avec 1,9Md€ (-41%), l'Espagne avec 1,5Md€ (-46%) ou encore l'Italie avec 845M€ (-51%) et la Belgique avec 844M€ (-45%).
Une disparition des méga-levées de fonds tricolores
« Le Royaume-Uni est en tête du classement depuis que le private equity existe en Europe, précise Claude Calmon, fondateur du cabinet Calmon Partners Group. L'écart s'est petit à petit réduit avec la France mais cette progression s'est figée cette année ». Ce dernier justifie une culture entrepreneuriale et une incitation fiscale britannique qui facilite davantage la prise de risques. En France, si la Deeptech a contribué à combler une partie du retard pendant la rentrée de septembre, notamment avec la levée historique de Verkor (850M€), on peut déjà noter une absence significative des méga-levées de fonds, semant davantage le doute quant à la promesse de la France de voir émerger 50 licornes d'ici 2050.
Depuis janvier, la FrenchTech a tout de même enregistré une dizaine d'opérations dépassant le seuil symbolique des 100 millions d'euros, à l'image d'Amolyt Pharma (130M€), Pasqal (100M€), Ledger (100M€), Ynsect (160M€), DriveCo (250M€), Mistral AI (105M€), Verkor (850M€), Aledia (120M€), Accenta (108M€) et Animaj (100M€). Mais cela reste bien moins important que les 29 méga-levées recensées au cours de l'année précédente. Plus encore, le mois de janvier 2022 a été marqué par la naissance de 6 nouvelles licornes, à savoir Qonto (486 millions d’euros levés), Back Market (450 millions), Exotec (293 millions), Payfit (254 millions), Ankorstore (250 millions) et Spendesk (100 millions).
Ainsi, les amorçages, les séries A, voire les séries B gagnent en puissance depuis janvier : on en dénombre respectivement 352, 173 et 46 contre 279, 168 et 3 l'an passé à la même période. Les séries C restent au même niveau (14) mais le décompte des late stages chute à 5, contre 18 en 2022. Même constat en Europe : le nombre d'opérations a augmenté de 23% mais les montants ont drastiquement baissé.
L'avènement de licornes européennes plus "raisonnables"
D'après le rapport « Titans of Tech – Building blocks for the next wave » publié en juin dernier par GP Bullhound, si le marché de la tech européen a subi de plein fouet la récession en 2022, 34 nouvelles licornes ont vu le jour en Europe (contre 125 enregistrées lors du rapport de 2022). La banque d’affaires internationale précise que la tech européenne a généré plus de licornes en 2023 qu'avant la pandémie et les investisseurs ont alloué près de 9,7 milliards de dollars au 1ᵉʳ trimestre 2023, contre 7,8 en 2020.
« Ce n'est pas une mauvaise chose que les licornes soient revenues à des niveaux de valorisation plus raisonnables », estime Claude Calmon, tout en émettant quelques doutes sur la pérennité de cette vague d'assainissement et admettant que « la finance apprend rarement de ses erreurs ». Mention est d'ailleurs faite aux récentes faillites de néo-assureurs comme Luko, qui sont plutôt « symptomatiques de cette tendance ». « Les PGE ont tenu cet écosystème sous perfusion pendant la crise sanitaire, mais cela n'a pas empêché la hausse du nombre de faillites ou du chômage, déplore-t-il. On a vécu trop longtemps avec de l'argent peu cher ».
Dans le même temps, les Limited Partners ont perdu en capacité d’endettement et des fonds d’investissement très bien installés en Europe ont perdu jusqu’à 50 % de leur capacité financière. « La majorité de ces fonds opèrent des arbitrages : faut-il sortir des startups qui ont du mal à atteindre leurs objectifs ? », s'interroge Claude Calmon, qui note une forme « d'attentisme qui devrait durer au moins jusqu'à la fin de l'année tant que les taux d'intérêt n'auront pas baissé ».
En attendant, même si la valorisation de la tech européenne peine à redémarrer, les futures licornes du territoire devraient en majorité émerger depuis l'Hexagone. Cela représenterait environ 10 des 50 pépites les plus prometteuses selon G. P Bulhound, soit 20% au total. Sur ce terrain, la France reste en tête devant le Royaume-Uni (18%), la zone Allemagne-Autriche-Suisse (14%) et l'Europe du Nord (12%).