Qui dit grosses entreprises, dit forcément gros budgets dédiés à l’innovation… Ou du moins, c’est ce que l’on pourrait penser de prime abord. Une étude sur les firmes du CAC40 réalisée pour Maddyness par Okay Doc, cabinet de recrutement scientifique et conseil en innovation, et la Fondation Charpak, montre que ce lien est finalement loin d’être évident. Notamment lorsqu’il s’agit de mettre leur responsabilité scientifique au cœur du fonctionnement de l’organisation. La Responsabilité Scientifique des Entreprises (RScE) est un indicateur qui permet d’évaluer l’efficacité des organisations en matière de recherche scientifique.
“En France, le progrès et la science ne sont pas de simples mots, mais des combats essentiels pour notre avenir. En classant nos entreprises selon leurs efforts en termes d’innovation, nous tentons d’apporter des clés de lecture à l’écosystème et offrir notre reconnaissance à ceux qui osent avancer.”, avance Louis Carle, cofondateur de Maddyness et membre du comité scientifique. Alors, quelles sont les entreprises du CAC40 qui ont fait le plus d’efforts pour investir dans la R&D et collaborer avec des chercheurs ?
Pour répondre à cette question, Okay Doc a calculé un score pour chaque entreprises en prenant en compte cinq critères principaux :
- l’efficacité de la recherche ;
- l’emploi des chercheurs ;
- la contribution à la connaissance à la communauté scientifique ;
- la promotion de la science dans la chaîne de valeurs et la contribution à la culture scientifique dans la société
- l’engagement en faveur de l'environnement.
Une multitude d’indicateurs ont été listés pour évaluer indépendamment chacun de ces critères, comme le nombre de brevets déposés, les investissements en R&D ou encore le nombre de doctorants employés. Les données recueillies ont été soumises à un comité scientifique composé de scientifiques, de journalistes et d’experts.
“Si on peut penser que tous ces sujets sont centraux dans les grands groupes, on s’aperçoit que c’est loin d’être le cas partout”, a finalement pu constater Yann-Maël Larher, fondateur d’Okay Doc.
Pourquoi autant d’entreprises du CAC40 sont à la traîne ?
En réalisant cette étude, Yann-Maël Larher s’est en effet aperçu que des sociétés du CAC40 avaient complètement délaissé l’innovation scientifique - en moyenne, leur score est de 40/100 environ. “Cela ne dépend ni de leur taille, ni de leur secteur d'activité”, précise-t-il. “C’est davantage une question de culture d’entreprise. Certains étaient étonnés qu’on leur pose des questions sur ce sujet, car selon eux, cela ne les concernait même pas. D’autres nous ont expliqué ne simplement pas avoir de direction dédiée à l’innovation.”
Plusieurs raisons viennent selon lui expliquer ce retard. La première, c’est la conception souvent faussée de l’innovation scientifique. “En France, quand on parle d’innovation, on pense tout de suite aux mathématiques, à la physique ou à la chimie”, reprend Yann-Maël Larher. “Alors que ce sont aussi les sciences humaines, la psychologie, la sociologie…” Des domaines très importants pour comprendre ses utilisateurs, clients ou employés. “Nos institutions ont besoin d’une dose d’esprit des sciences au cœur même de la gouvernance, à niveau égal avec les ‘autres compétences’”, complète Yves Charpak, président et cofondateur de la Fondation Charpak, l’esprit des sciences.
A ceci, s’ajoute le fait que beaucoup d’entreprises conçoivent l’innovation de façon “exploratoire”. Ils ne l’intègrent pas à leur stratégie, ne réalisent pas de plans précis, ni ne cherchent à chiffrer les résultats. “Parmi celles qui figurent en bas de notre classement”, estime le fondateur d’Okay Doc, “il y en a qui innovent, mais qui n’ont pas sû nous fournir des données concrètes : leur note ne reflète pas forcément leurs actions.”
L’innovation scientifique, un tabou français ?
Dernier obstacle majeur : le fait de ne pas vouloir communiquer sur ses innovations, qui serait là un travers… bien français ! “Les groupes pensent agir de façon stratégique en ne révélant rien sur leurs recherches, mais ils se pénalisent tout seuls”, estime Yann-Maël Larher. “Ils se coupent d’investisseurs, d’opportunités, de partenariats, de soutiens, d’effets de levier qui leur seraient bénéfiques.” Alors que les startups ont tendance à beaucoup communiquer sur l’innovation scientifique, parfois même avant d’avoir développé un produit, le sujet reste tabou chez les plus grands, affirme-t-il.
“Aujourd’hui, il n’est pas de discours possible sur l’énergie, le climat, la santé, les pollutions, la production agricole, l’alimentation, les transports, la communication, le numérique, les modes de vie, l’éducation... sans référence à la connaissance scientifique, en amont même de l’innovation technologique”, affirme Yves Charpak. “Comment imaginer que des dirigeants d’entreprise puissent ne pas s’y référer ?”.