Nul n'est sans connaître les progrès fulgurants qu'a connu l'intelligence artificielle, et notamment l'IA générative, durant ces derniers mois. Avec eux, sont arrivées de nouvelles perspectives dans le monde du travail... et de nouvelles craintes, aussi. Comment se former à ces outils qui nous semblaient il y a encore quelques années réservés à une catégorie bien spécifique de la population ? Les IA remplaceront-elles un jour les employés ? Comment cohabiter avec elles au travail ?
Dans les écoles d'enseignement supérieur, le sujet a logiquement très vite envahi les esprits. Certaines, comme Sciences Po, ont énoncé de nouvelles règles pour encadrer l'usage de ChatGPT et éviter toute tentative de triche ou plagiat. Mais beaucoup se sont également penchées sur la création de cours, modules, formations ou conférences autour de l'intelligence artificielle pour mieux sensibiliser à ses enjeux... et mieux y préparer les travailleurs de demain.
L'usage de l'intelligence artificielle encadré... mais encouragé
A l'ESCP, l'innovation a toujours fait partie du paysage. Leon Laulusa, son directeur général et doyen, se souvient que la grande école de commerce était déjà parmi les pionnières il y a quinze ans, lorsqu'elle avait décidé de proposer des cours de code informatique à ses élèves. Il y a deux ans, lorsqu'on a commencé à parler de métavers et de NFTs, là encore, l'ESCP a sauté dans le train en marche et a intégré les sujets à ses enseignements. Alors quand l'intelligence artificielle est arrivée à son tour sur le devant de l'actualité, l'établissement n'a pas attendu bien longtemps. Il a tout de suite inclus l'outil dans un grand séminaire dédié aux nouvelles technologies pour les étudiants de deuxième année, puis dans ses cours de formation continue dédiés aux personnes déjà employées... Et s'est mis à développer un nouveau cours spécifiquement centré sur ChatGPT, qui sera disponible l'an prochain.
"L'important, en tant qu'école, c'est de bien suivre l'actualité." Pas question d'avoir peur de la nouveauté. Si l'utilisation des IA a été encadrée de façon stricte à l'ESCP comme à Sciences Po - il est notamment interdit de dépasser une certaine quantité de références liées à ChatGPT dans son mémoire de recherche -, elle est pour autant "encouragée". Pour Leon Laulusa, il serait absurde d'ignorer l'un des grands bouleversements de notre époque.
S'adapter au monde du travail de demain
D'après une étude du réseau social Linkedin, au moins 65% des compétences professionnelles d'aujourd'hui seront différentes en 2030, du fait de l'arrivée de l'intelligence artificielle. On estime que les offres d'emploi mentionnant l'usage d'IA ont d'ores et déjà été multipliées par 2,8 en France (2,2 dans le monde). 82% des professionnels seraient enthousiastes à l'idée d'utiliser cet outil au travail, et 43% voudraient s'y former plus en profondeur. Une étude McKinsey estime elle que 30% des heures de travail seront automatisées d'ici 2030. Difficile dans ce contexte donc, d'ignorer l'intelligence artificielle...
"C'est un peu comme si on venait d'inventer la calculette, compare Matthieu Nebra, le cofondateur d'OpenClassrooms, un organisme de formation et cours en ligne. C'est une transformation majeure qui va concerner à terme tous les domaines, tous les secteurs et les corps de métiers." L'expert de la formation avoue à Maddyness s'être lui-même pris une "véritable claque" en voyant les progrès faits en matière d'intelligence artificielle cette année... et s'être empressé d'adapter ses programmes.
En plus de vastes mises à jour de ses cours incluant des notions d'IA, OpenClassrooms a annoncé au début du mois d'octobre le lancement de son tout premier cycle de formations digitales "100% dédié à l'intelligence artificielle." Au programme, trois enseignements : l'un centré sur ChatGPT, l'autre sur les technologies émergentes, et le troisième, baptisé "Objectif IA", sur l'initiation à l'IA.
Former 1% de la population française aux fondamentaux
Chacun de ces cours répond à un objectif différent. Pour le dernier, Matthieu Nebra s'est par exemple inspiré des modèles suédois ou finlandais, où la formation en intelligence artificielle pour le grand public a déjà été largement amorcée. Avec Objectif IA, il veut sensibiliser et former 1% de la population française - soit 670 000 Français - aux fondamentaux de l'IA.
Le premier cours sur ChatGPT lui, est plus ciblé, dédié "à tous les professionnels qui ont des métiers de bureau". "C'est un outil qui pourra les aider à gagner du temps sur des tâches, à augmenter leur productivité, à éviter un travail trop répétitif, etc..." résume le cofondateur d'OpenClassrooms.
Il note aussi que la demande de formation en IA serait particulièrement forte dans le "top management" des entreprises. "Les boards et comités pressentent, sous l'effet aussi sans doute de la pression médiatique, la forte valeur économique de l'IA. Ils demandent aux dirigeants d'innover en la matière, qui cherchent alors logiquement à se former."
Leon Laulusa, qui voit également passer entre les rangs de son école les leaders de demain, confirme ce phénomène. Pour lui, ce n'est pas parce qu'il ne forme pas des ingénieurs qu'il faut rester à la traîne et "ne pas évoluer avec son temps." Pour autant, l'approche sera différente, nous explique-t-il. "Ce qui va nous intéresser de notre côté, c'est d'apprendre à nos étudiants à l'utiliser certes, mais surtout de les pousser à s'interroger sur leurs impacts, à développer leur capacité d'analyse critique." "L'idée, complète-t-il, ce n'est pas de se lancer dans une course effrenée aux nouvelles technologies, mais de les comprendre sous un angle sociétal."
L'intelligence artificielle, simple sujet d'étude ou véritable outil ?
Chez OpenClassrooms comme à l'ESCP, l'intelligence artificielle n'est plus seulement vue comme un sujet d'étude, mais aussi comme un moyen.
Alors qu'OpenClassrooms a lancé un assistant IA pour apporter un soutien "en temps réel à ses élèves" entre deux sessions de tutorat, à l'ESCP, on réfléchit aussi aux usages possibles. L'école veut créer des parcours d'apprentissage et de tutorat personnalisés grâce à l'IA, et étudie de près l'intelligence artificielle, pour voir de quelle façon elle pourrait faciliter l'apprentissage collectif et la collaboration entre les élèves, ou aider ces derniers à faire des simulations et structurer des données de façon plus rapide. On réfléchit à l'utiliser pour gagner du temps sur la création de quizz d'évaluation, la création de présentations PowerPoint ou la traduction de cours...
D'ici la fin de l'année, le doyen nous apprend que l'école va même développer... sa propre version de ChatGPT. Une IA générative la plus éthique possible, qui puisera ses réponses... dans les cours des professeurs eux-mêmes.