Quand le français Hubert Joly devient PDG de Best Buy (magasins de vente de matériel électronique très connu aux États-Unis), l’entreprise est au bord de la faillite. On lui conseille immédiatement de procéder à un grand plan de licenciement pour réduire les charges fixes. Il refuse. « Plutôt que de se centrer sur le financier, qu’il voit comme une conséquence de l’économie, elle-même une conséquence de l’humain, il a décidé de se concentrer sur l’humain lui-même », explique Grégory Pouy, analyste culturel, à Maddyness.
« Les humains sont une source, pas une ressource. Et plutôt que de définir une raison d’être, il a lancé un chantier pour connaître les rêves de chacun de ses employés… pour ensuite venir les connecter à une raison d’être. Napoléon prétendait construire ses plans de bataille sur les rêves de ses soldats… c’est exactement la même dynamique qui est à l'œuvre. » Résultat : Best Buy a vu le cours de son action multiplié par neuf en dix ans.
Entre leader et « care-taker »
La posture adoptée par Hubert Joly, c’est ce que Grégory Pouy désigne comme étant du « Leadership Conscient » ( un concept connu outre-Atlantique mais beaucoup moins dans l’Hexagone ). Il a détaillé ce concept dans un livre blanc qu’il a écrit suite aux nombreuses conversations qu’il a pu mener dans le cadre d’un podcast nommé Ping!.
Grâce au CEO d’Alan, au patron de la Banque Postale ou encore à un ancien général d’armée, il dessine les contours d’un mode de management en rupture avec l’imaginaire actuel autour du leader ( qui serait un homme performant et bien payé ), en venant le croiser avec l’imagine du « care-taker » ( qui serait une femme, qu’elle soit mère de famille ou infirmière, peu performante et mal payée ).
Pour Grégory Pouy, cette nouvelle forme de leadership doit venir d’une introspection du dirigeant, un questionnement profond qui vient alimenter ce besoin de prendre soin ( le fameux « care » ) de toutes les parties prenantes, se souciant aussi bien du bien-être de ses collaborateurs que de l’impact environnemental de ses activités. Pour lui, il s’agit d’un management qui vient réconcilier « économie » et « écologie », deux termes qui possèdent la même racine grecque ( le premier signifiant « la gestion de la maison » et l’autre « le discours de la maison » ). Une opposition qui n’a pas lieu d’être quand il s’agit de prendre soin de notre « maison commune » au travers d’une écosophie : une sagesse de la maison dont le leadership conscient est une composante.
Cette introspection était d’ailleurs bien présente chez Hubert Joly, l’ancien CEO de Best Buy, qui reconnaît avoir été longtemps guidé par une quête de pouvoir, de gloire et d’argent. « Il poursuivait ce succès par accumulation, raconte Grégory Pouy. Jusqu’à réussir son ascension tout en haut pour se rendre compte qu’il n’y avait rien en haut de cette montagne. Il a alors fait un énorme travail d’introspection pour se reconnecter à lui-même, aux autres et au reste du vivant. »
Prendre soin de ses collaborateurs
Grégory Pouy met d’ailleurs en garde le monde des startups contre une fausse impression de prendre soin de ses collaborateurs à partir du moment où l’on propose des cours de yoga, des massages et une cuisine remplie de nourritures en tout genre.
Il a été prouvé que toutes ces choses ne sont pas là pour le « bien-être » des collaborateurs, mais plutôt pour maximiser la productivité des collaborateurs. « Prendre soin de ses collaborateurs, ce n’est pas s’assurer l’optimisation de leur travail et de leur performance », résume-t-il. Être véritablement dans une posture de « care » ou de « leadership conscient » serait plutôt donner de l’autonomie à chacun pour qu’ils puissent décider de ce qui est le mieux pour lui.
« Je préfère une organisation organique, explique Grégory Pouy. De la même manière que, dans le corps humain, ce n’est pas le cerveau qui décide de tout… avec l’ensemble des organes et même les cellules qui sont assez autonomes. » De la même manière, il faudrait des leaders qui construisent leur plan de bataille à partir du rêve de leurs collaborateurs.