Échouer n’est pas une exception dans la vie entrepreneuriale. Selon les statistiques de l’INSEE, 49,5 % échouent dans les 5 premières années. En lisant le narratif de nombreux CEO mythiques, le flop ferait même partie du processus de réussite. Walt Disney, Henry Ford, Jack Ma (Alibaba) ou Steve Jobs ont tous affronté les pires difficultés avant de connaître le succès. Une belle histoire rétrospectivement. Mais lorsque l’on est embourbé dans les affres de la liquidation judiciaire, les pressions financières ou les dettes, comment ne pas prendre le ressac de la mer d’ennuis en pleine figure ? Surtout, comment retrouver la flamme ?
Nadia Domec, CEO et cofondatrice de Payinnov, a racheté Datronic France en 2009. Une belle acquisition, en apparence. Pourtant, les perspectives de développement tournent rapidement au vinaigre quand la dirigeante découvre la face cachée de l’entreprise. « En voyant la situation financière et le retard technique, j’ai failli tout arrêter. Les premières années, j’ai fait le grand écart entre le remboursement des emprunts, les investissements en développement et le paiement des salaires. » Pendant ce tunnel, Nadia Domec confie avoir travaillé seule - et sans relâche - pour relancer l’entreprise, quitte à sacrifier une partie de sa vie personnelle. Ce qui a payé : l’entreprise a fait sa remontada pour être finalement revendue en 2019.
Bérenger Cadoret, ex-fondateur de Stratosfair, n’a pas vécu le même épilogue. Après une belle levée de fonds en 2022 couplée à du crowdfunding, la situation économique mondiale tendue a sonné le glas de l’aventure. « Le retrait de plusieurs fonds prévus dans le cadre d’une levée de 1,5 M€ début 2023 a déclenché la dégringolade de l’entreprise, jusqu’au placement en redressement judiciaire. En l’absence d’acheteurs, Stratosfair a été liquidée le 7 avril 2023 », explique Bérenger Cadoret.
De l’euphorie créatrice à la solitude de l’échec, l'ascenseur émotionnel n’est pas évident à réguler. Néanmoins, appréhender un nouvel opus professionnel est possible. Conseils croisés d’entrepreneurs et experts en accompagnement et recrutement.
Décrypter le cocktail émotionnel intérieur
Lorsque l’on traverse des phases compliquées, chaque dirigeant réagit à sa manière. Nadia Domec, de nature résiliente, dit avoir vécu « en apnée » pendant les dix années au sein de Datronic : « J’ai tout fait pour ne pas impacter les salariés : j’étais un roc. C’est ainsi que j’ai fait face à l’adversité ». En cas de liquidation, la tempête émotionnelle est encore plus profonde. Déni, colère, marchandage, dépression puis - peut-être - acceptation : la courbe de deuil de Kübler-Ross donne une clé de lecture des différentes phases par lesquelles passe un entrepreneur déchu. Marc Rousse, président de 60 000 rebonds Auvergne Rhône Alpes, une association qui accompagne les entrepreneurs post-faillite, met particulièrement en garde contre l’état dépressionnaire après la fermeture : « Une fois dépossédé de son entreprise, l'ex-dirigeant entre souvent dans une spirale de la souffrance car une partie de son identité sociale le quitte. Il ne veut pas être vu des autres, alors il se met en retrait. Or, c'est l’inverse, il faut s’entourer. »
Se faire accompagner très tôt
L’association 60 000 rebonds est justement l’un des moyens d’être accompagné, à plusieurs niveaux (et gratuitement). « Nous mettons un coach à disposition pour travailler sur les apprentissages et les compétences afin que la personne reprenne confiance en elle. Un parrain ou une marraine est présent pour co-construire la suite, vers du salariat ou une autre aventure entrepreneuriale. Puis, et c’est clé, il y a le pair à pair : tous les mois des groupes d’entrepreneurs se retrouvent pour parler de leur vécu mais aussi de leur reconstruction. Ça permet de se projeter », explique Marc Rousse.
Anticiper les scénarios
Alors qu’il ne restait que deux mois de trésorerie, Bérenger Cadoret a préféré prendre les devants et poser les briques de « l’après » : « J’ai regardé en face l’état des lieux : je n’avais plus le temps pour trouver des sources de financement. J’ai donc contacté le tribunal de commerce et les CCI pour préparer le redressement judiciaire afin de tenter une reprise. »
Sans succès. Néanmoins, cette transition active, et non subie, lui a permis d’être plus serein, notamment auprès de ses équipes : « Je ne supportais pas de laisser quatre personnes sur le carreau : j’ai donc sollicité mon réseau pour les aider à retrouver un poste. »
Oser parler d’échec… pour (enfin) le normaliser
Il s’agit du point névralgique en lien avec le sujet de l’échec : la perception culturelle française qui en est plutôt négative. « Il faut en parler davantage afin de décomplexer les entrepreneurs », insiste Bérenger Cadoret. C’est ce que l’ex-CEO de Stratosfair a décidé de faire sur son profil LinkedIn. Dans plusieurs publications, il n’a pas hésité à s’épancher sur les étapes de la fermeture de la startup. Cette cathartique éditoriale a généré des effets inattendus : Grolleau, un industriel français dans la distribution d’énergie, lui a proposé un poste salarié en tant que chef de produit data center. Une offre qu’il a acceptée : la marque Stratosfair a même pu être rachetée dans la foulée.
N’exclure aucune forme de rebond
Le rebond n’est pas monolithique. Certains repartent de plus belle, dopés par l’ardeur de la création… et ses méandres. D’autres se tournent vers le salariat, une parenthèse pour se reconstruire : « Les entrepreneurs savent que cela demande beaucoup d’énergie pour se relancer. C’est pourquoi, l’option du salariat n’est pas écartée car cela permet de passer un cap, pour, éventuellement, créer une nouvelle entreprise plus tard », souligne Victoire Laurenty, investisseur chez Wendel et cofondatrice de Bsa.club, une plateforme de mise en relation entre startups et talents. Mais comment se passe la réadaptation à la vie salariale ? « L’entrepreneuriat permet de développer un large panel de compétences : adaptation, débrouillardise, proactivité… C’est une forme d’artisanat qui est très valorisée dans les entreprises. Ce sont également des profils intéressants pour travailler en VC (venture capital) : Breega, par exemple, n’embauche que des anciens entrepreneurs. »