L’aventure a commencé pour Sébastien Burlet et Antoine Orsini sous la forme d’une SSII spécialisée dans les logiciels bancaires. Un fonds d’amorçage étudie leur dossier mais décide de se rapprocher de Damien Guermonprez, qui a récemment quitté son poste de CEO de la banque Oney, pour lui demander conseil. Les trois entrepreneurs se rencontrent et Damien Guermonprez est immédiatement emballé.
« Ils faisaient tout ce que j’aime avec leur volonté de mettre de l’innovation dans les services financiers et notamment du paiement mobile. Je suis revenu vers le fonds d’investissement en disant que j’avais désormais un conflit d’intérêts puisque je voulais investir personnellement dans Lemonway. ». S’il a depuis réalisé une participation dans une trentaine de startups, Damien Guermonprez n’était pas encore business angel à ce moment-là. Il le deviendra à la suite de cette rencontre.
« Ils m’ont tous les deux beaucoup impressionné, se rappelle-t-il. Avec Sébastien Burlet et son profil ingénieur un peu Géo Trouvetou avec une une énorme capacité à innover et Antoine Orsini avec son profil de bâtisseur très carré et un négociateur hors pair. ». Damien Guermonprez investit donc en 2009 et les accompagne sur de nombreux sujets réglementaires qu’il connaît bien.
Un marché compliqué pour Lemonway
Début 2013, Lemonway lance le paiement mobile mais se retrouve à devoir éduquer le marché. Il s’agit d’une mauvaise équation business puisque l’entreprise devait acheter des prestations à la banque pour les offrir gratuitement à leurs clients : « C’était impossible de facturer cette prestation au client final, donc plus ça marchait, et plus on perdait d’argent, raconte-t-il. C’est la même raison pour laquelle j’ai été bien content de pouvoir sortir de Pumpkin quand le Crédit Mutuel Arkéa l’a racheté. C’était un succès commercial indéniable, mais le modèle économique ne fonctionnait pas. ».
L’entreprise poursuit alors son développement en affichant une belle croissance. De 1 million d’euros de chiffre d’affaires en 2014, Lemonway passe à 4 millions en 2015, 6 millions en 2016 et 13 millions d’euros en 2017. « Nous étions dans une phase de développement tous azimuts qui était un peu dangereuse puisque les fondamentaux n’étaient pas encore assez stabilisés. ».
Cette année-là, Lemonway reçoit une amende de 80.000 euros de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en raison de divers manquements relatifs à la législation sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. « On a décidé d’abandonner tous les sites e-commerce plus ou moins risqués, parce que c’était compliqué d’exercer un contrôle suffisant », lâche Damien Guermonprez qui a rejoint l’entreprise de manière opérationnelle en 2015 en tant que CEO, puis en 2017 comme président.
L’entreprise décide alors de se recentrer sur le marché où elle considère apporter la plus grosse valeur ajoutée : celui des marketplaces. En cessant une partie de son activité, Lemonway divise son chiffre d’affaires par deux. Il lui faudra trois ans pour qu’il atteigne de nouveau les 13 millions d’euros.
Transformer un cercle vicieux en cercle vertueux
Entre temps, l’entreprise lève 10 millions d’euros lors d’une Série A auprès de Breega et SpeedInvest, puis 25 millions auprès de Toscafund Asset Management. « Les 25 millions sont pourtant devenus 40 puisque, au fil des années, on venait demander des rallonges, décrypte Damien Guermonprez. On avait besoin d’argent et c’était plus rapide d’aller voir nos investisseurs même si les conditions n’étaient pas extraordinaires. Puis on dépendait de cet argent avant de revenir en chercher davantage puisque nous faisions des pertes. C’était un cercle vicieux qui n’en finissait pas et il était temps que ça s’arrête. Plutôt que de laisser Toscafund devenir majoritaire chez nous, avec Antoine Orsini, on a décidé qu’il était temps d’arrêter de se diluer pour atteindre le point d’équilibre. ».
Lemonway se met alors sur le pied de guerre avec un plan pour devenir rentable en moins de six mois. Cela commence donc par une réduction des effectifs de 24 % (passant de 166 collaborateurs à 126) et une rationalisation du coût à tous les niveaux. L’entreprise renégocie avec l’ensemble de ses sous-traitants. Elle va aussi commencer à sous-traiter son processus de connaissance client en Roumanie avec un gain de 30 %. Elle réduit ses abonnements à des solutions softwares dont certains étaient en double emploi et va utiliser un concurrent de la solution Swift qui est gratuit pour réaliser des virements instantanés.
« Nous avons aussi fermé notre filiale au UK, partage le président de Lemonway avec transparence. Et nous avons fermé des clients non rentables qui n’avaient pas accepté nos hausses tarifaires. ». Parce qu’en parallèle de sa baisse des coûts généralisée, Lemonway était bien décidée à augmenter ses recettes et notamment en augmentant ses tarifs. « Ce n’est pas une bonne chose que de vendre beaucoup moins cher que la concurrence, explique-t-il. Nous étions trois fois moins chers que nos concurrents anglo-saxons. Nous sommes maintenant deux fois moins chers. ».
Une dynamique qui aurait mis, d’après l’entrepreneur, Lemonway dans un cercle vertueux cette fois : « le succès amène le succès. Le fait d’être rentable est un signal positif pour nos collaborateurs, qui amène davantage de confiance de nos partenaires bancaires. Les grands groupes signent aussi plus facilement. On se retrouve donc à pouvoir racheter des entreprises, à lever de la dette, à redistribuer des gains aux collaborateurs. ».
Après 15 ans, Damien Guermonprez, qui annonce ce jeudi la signature d’un partenariat stratégique avec Payplug, est ravi de pouvoir afficher la rentabilité. « Cela me rendait malade, avoue-t-il. J’ai eu des nuits blanches pour payer tous les salaires. Perdre de l’argent constamment est une source de stress. C’est souvent un passage obligé pour lancer une entreprise, mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Certains diront que même Amazon n’a pas été rentable pendant 15 ans. Nous non plus, mais il fallait sortir de là. Cela ne peut pas être une réussite que de perdre de l’argent. ».