En plein réchauffement climatique, les feux de forêt ont malheureusement marqué une nouvelle fois l’actualité estivale. Les catastrophes survenues à Hawaï, au Canada ou encore en Grèce rappellent à quel point il est difficile pour les pompiers de combattre les feux qui ravagent des milliers d’hectares de forêt chaque été. Dans ce contexte, la technologie peut constituer un atout non négligeable pour épauler les soldats du feu, et c’est donc dans ce cadre qu’est menée cet été une expérimentation en Occitanie qui implique l’usage de drones pour lutter contre les feux de forêt.
L’aventure a débuté il y a deux ans quand les auteurs d’un rapport sur l’impact de l’IA sur le métier de sapeur-pompier ont contacté Hamdi Chaker, docteur en informatique qui est le patron de la société toulousaine de conseil en transformation digitale Menaps. «A cette occasion, j’ai vu que l’IA pouvait amener quelque chose de positif dans un métier qui n’est pas très digitalisé à l’heure actuelle. Ce qui m’a surpris, c’est que les moyens qu’ils utilisent, notamment pour analyser la propagation du feu et le changement de direction du vent, sont un peu déréglés à cause du réchauffement climatique. Parmi mes recommandations, j’ai donc proposé que les sapeurs-pompiers se dotent de drones avec de l’IA», se souvient-il.
«Au début, nous étions vraiment sur de l’anticipation. Maintenant, nous sommes sur de la prédiction.»
Cette recommandation n’est pas restée lettre morte puisqu’elle a attiré l’attention du lieutenant-colonel Christian Belondrade des sapeurs-pompiers de l’Aude (SDIS11). Ce dernier a ainsi demandé à Hamdi Chaker dans quelle mesure il était possible de mettre en place un tel dispositif pour aider ses hommes. «Ma seule condition, c’était que le métier soit là pour construire ensemble la solution d’intelligence artificielle. C’était indispensable car nous ne connaissions pas les spécificités du métier pour identifier des points chauds ou un départ de feu», explique le patron de Menaps. «Au début, nous étions vraiment sur de l’anticipation. Maintenant, nous sommes sur de la prédiction», ajoute-t-il.
Pour faire de cette ambition une réalité, Menaps et les pompiers de l’Aude ont collaboré ensemble au cours des 18 derniers mois, non seulement pour intégrer les attentes des soldats du feu mais surtout pour mettre au point des modèles de deep learning suffisamment performants pour être efficaces lorsque les drones survolent les forêts. Un travail de longue haleine pour permettre au système d’IA développé par Menaps de détecter les départs de feu afin d'éviter qu’ils ne ravagent des massifs entiers, comme c’est le cas dans l’Aude, département touché chaque année par près de 300 feux de forêt. Objectif : détecter un départ de feu en moins de 2 minutes ou avec pas plus d’un hectare ravagé.
«Le problème au début, c’est qu’il n’y avait pas de données. Les modèles ont d’abord pu être entraînés sur des feux tactiques, puis les pompiers nous ont demandé de leur apprendre à détecter des humains et des voitures, car ce sont des facteurs souvent importants dans les départs de feu», explique Hamdi Chaker. A noter que Menaps s’est exclusivement attelé à concevoir un dispositif software, la partie hardware reposant sur «un drone bon marché».
Vers une flotte de drones autonomes pour couvrir plus de 700 hectares
A force d’itérer, Menaps a ainsi pu aboutir à un premier prototype de drone capable de voler pendant près de 45 minutes, avec une résistance au vent maximale de 12 mètres par seconde et une distance de vol maximale de 32 kilomètres. «Nous sommes parvenus à créer un dispositif qui est en mesure de détecter un feu situé jusqu’à 2 kilomètres du drone», se félicite le PDG de la PME toulousaine. De cette manière, la société assure que son système d’IA peut prédire les départs de feu avec une précision supérieure à 95 %. En cas de problème, une alerte est envoyée aux pompiers via l’application Fire Eagle, «une sorte de Google Maps» créée par Menaps pour quadriller la zone à surveiller.
Dans le cadre de l’expérimentation menée cet été dans le massif de Lézignan-Corbières pour détecter départs ou reprises de feux de forêt, ce sont ainsi deux drones qui ont été déployés pour effectuer des missions de surveillance en toute autonomie, mais sous la houlette des équipes de Menaps basées à Toulouse et Paris, en plus du personnel mobilisé sur le terrain dans l’Aude. A terme, l’objectif est de développer une flotte de drones capables de surveiller plus de 700 hectares en 30 secondes pour chaque appareil, en complément de tours de guet automatisées afin d'assurer une surveillance continue du secteur. Ces drones seraient interconnectés pour mettre en place une surveillance collaborative. «Chaque drone saurait où se situe les autres drones, avec une carte 3D générée grâce aux missions. L’idée, c’est que chaque drone se repose sur sa base, se recharge puis reparte de manière autonome», résume Hamdi Chaker.
Pour l’heure, les équipes se relaient pour faire voler les drones entre cinq et six heures chaque jour. «C’est déjà suffisant pour détecter un problème, puisque les départs de feu surviennent généralement entre 11h et 23h. Mais pour l’instant, aucun feu ne s’est déclenché dans la zone que nous couvrons», indique le patron de Menaps.
6 mois d’avance sur la concurrence
Si ce dispositif est encore expérimental, il pourrait bien s’imposer comme un nouvel outil incontournable pour les pompiers dans les prochaines années afin de mieux combattre les feux de forêt, amenés à être plus fréquents et violents en raison du réchauffement climatique. Dans ce contexte, le système développé par Menaps pourrait faire figure de pionnier à l’échelle internationale. «Pour l’instant, nous avons une avance considérable sur le sujet. On a six mois d’avance sur un géant américain qui va bientôt mettre une somme considérable sur la table. Si on ne crée pas rapidement une startup après cette phase d’expérimentation, il va forcément y avoir une entreprise américaine, canadienne ou australienne qui va prendre la place et vendre une solution similaire aux Français», alerte Hamdi Chaker.
A ses yeux, il est donc urgent que l’écosystème français se mobilise pour éviter qu’une énième pépite en devenir ne soit avalée ou dépassée par un poids lourds étranger. «On ne peut pas soutenir une phase d’industrialisation avec les moyens du bord. Nous voulons créer une entreprise pour faire des cas d’usage similaires, notamment sur la détection de feux invisibles avec l’hydrogène, la surveillance de pipelines ou la lutte contre les trafics de drogues. Mais pour cela, il faut réaliser une grosse levée de fonds. Nous voulons nous concentrer sur la partie software. Pour le hardware, nous pourrions peut-être nous appuyer sur un partenariat avec une entreprise française et européenne», ajoute-t-il. Reste désormais à savoir si les investisseurs et les fabricants de drones du Vieux Continent seront aussi rapides que le dispositif de Menaps pour détecter les feux de forêt.