Un chiffre : 80 milliards de dollars, selon le Financial Times. C’est le volume d’affaires projeté par Shein, temple de la fast-fashion, en 2025 pour sa potentielle IPO, mais c’est surtout le symbole des incohérences de la mode d’aujourd’hui.
Une incohérence écologique d’abord : selon une étude réalisée par l’Ademe, l’industrie du textile serait le 3e plus gros consommateur d’eau dans le monde (après la culture du blé et du riz) et pourrait représenter 26 % des émissions globales de GES à horizon 2050 si les tendances actuelles de consommation se poursuivent. C’est également le marqueur d’une incohérence sociale : une enquête de Public Eye dénonce les conditions de travail des ouvriers (pouvant travailler jusqu’à 75h par semaine !) des usines de Guangzhou fournissant Shein. Tout le monde a également en tête les derniers évènements au Bangladesh, qui est par ailleurs encore le 2e plus gros fournisseur des marques européennes et où le salaire horaire est de 0,32$ dans l’industrie.
Pourtant, j’aime à croire que Shein se fourvoie sur ses projections et que la fast fashion va bientôt laisser place à la sustainable fashion :
- parce que la pression mise par les consommateurs et les gouvernements (ex de la loi AGEC) sur les marques est grandissante, mais surtout,
- parce que les marques ont désormais, grâce à la tech notamment, les moyens de faire avancer cette industrie vers une production et une consommation plus responsable.
La traçabilité comme point de départ
Du fait de la mondialisation, la chaîne de valeur de l’industrie textile s’est complexifiée et le nombre d’interlocuteurs par marque s’est multiplié. Si on prend l’exemple d’un jean vendu en France : son coton sera probablement cultivé en Inde, la toile pourra venir de Chine, les boutons de RDC, la fermeture éclair du Japon et l’assemblage se fera en Tunisie. Pour améliorer l’impact environnemental d’un produit ou les conditions dans lesquelles il est confectionné, il est impératif pour une marque de commencer par mesurer son impact.
De nombreuses startups (comme Carbonfact ou Fairly Made) se sont ainsi verticalisées sur les outils permettant l’Analyse du Cycle de Vie d’un produit textile (ACV) et tentent de remonter la chaîne de valeur pour avoir l’information la plus fine possible.
Un processus de production à repenser
Les matériaux utilisés dans l’industrie nécessitent soit des matières polluantes (le polyester est dérivé du pétrole) soit beaucoup d’eau (comme le coton), notre jean vendu plus haut nécessitant 7.000 à 10.000 litres d’eau pour sa production.
Les alternatives commencent à émerger : des startups comme Ecovative proposent par exemple du textile à partir de mycélium ou Everdye un processus de teinture à température ambiante avec des pigments biosourcés (le textile étant sinon généralement chauffé dans un bain qui contient beaucoup d’eau et des substances chimiques aux noms compliqués comme le formaldéhyde ou les phtalates).
De nouvelles solutions permettent également aux marques de repenser la durabilité des produits et notamment leur qualité (grâce à ses capteurs et une IA de reconnaissance d’image, la startup portugaise Smartex aide par exemple les fabricants à assurer la qualité des produits pendant la production), mais aussi la seconde vie des produits : en amont de la chaîne en utilisant des matériaux ou des assemblages plus simples à recycler et à réemployer, mais également en aval en organisant elles-mêmes la seconde main via des plateformes comme Faume qui permettent à la marque de se débarrasser complètement des contraintes opérationnelles liées à l’activité.
Pousser les nouveaux usages comme la seconde main est primordial pour les marques car elles ne peuvent maintenir la tendance de production actuelle (la production de vêtements dans le monde a doublé entre 2004 et 2014 !). Pour faire mieux avec moins, elles doivent repenser leur business model et notamment repenser leur “parc” de produits en y intégrant la seconde main.
Vers une plateformisation de la sustainable fashion
Il y a encore plusieurs dizaines de solutions que l’on pourrait mentionner et qui permettent aux marques de s’outiller sur la traçabilité, l’utilisation de nouveaux matériaux, la durabilité ou la circularité des produits.
Ces solutions opèrent encore essentiellement en silo, mais nous sommes persuadés que cet écosystème aura vocation à se plateformiser pour offrir une expérience encore plus fluide pour les marques et profiter de l’effet de réseau créé par chaque solution - il sera par exemple essentiel pour le calcul de l’ACV ou l’évaluation de la durabilité d’un produit d’avoir accès à la donnée liée à la vente en 1e, 2nde, 3e (voire plus) main.
La plateformisation est également nécessaire pour renforcer le lien qu’entretient la marque avec son client en l’accompagnant dans de nouveaux usages sur toute la vie du produit et en lui donnant plus de transparence sur l’impact ou les conditions dans lesquelles ses vêtements ont été confectionnés.
La plateformisation est ce qui permettra aux marques responsables de concurrencer les Shein de ce monde. Elle fait entrer la sustainable fashion dans une nouvelle phase : après l'expérimentation, le jour de l’usage est arrivé !